Le procès en appel de Ali Haddad s'est poursuivi, hier mardi, à la cour d'Alger où ont été auditionnés une grande partie des inculpés qui ont, une nouvelle fois, tenté de se disculper comme ils le pouvaient, en affirmant, chacun à sa manière, que la politique d'octroi de marchés importants et surtout accordés de gré à gré à l'ETRHB avait été mise en place au niveau de la présidence de la République. Amar Ghoul, ancien ministre des Transports et des Travaux publics, a d'ailleurs bâti toute sa stratégie sur ce fait, assurant que tout était décidé à la présidence et que le ministère qu'il gérait ne faisait qu'exécuter. Le juge a également écouté l'ancien ministre de l'Industrie Mahdjoub Bedda, qui s'est retrouvé acculé par une information de taille révélée par ce même magistrat. Celui-ci a, en effet, fait savoir que l'ancienne secrétaire générale du ministère de l'Industrie chargée de délivrer les autorisations dans ces marchés avait quitté son poste pour rejoindre les troupes de Haddad, ce qui suppose, laisse entendre le tribunal, que cette dernière faisait partie des réseaux de l'homme d'affaires. Des réseaux qui étaient visiblement étendus à d'autres ministères. Le juge a d'ailleurs très bien laissé entrevoir la chose en révélant, encore une fois, que des parties avaient «éventé», selon ses termes, des informations sensibles pour permettre à Haddad d'agir à sa guise et d'arracher les marchés qui lui convenaient. Le magistrat s'adressait alors à Amar Ghoul qui figure parmi les prévenus qui ont eu droit à une très longue audition. À la barre, ont également défilé Amar Haddad, frère de Ali Haddad, qui affirme n'avoir aucun lien avec l'ETRHB, et l'ancien wali de Annaba, Mohamed Slimani, qui impute à son prédécesseur l'octroi d'un terrain de 166 hectares à Berrahel. Le plus important reste à venir, puisque le principal inculpé, Ali Haddad, sera auditionné aujourd'hui, à partir de la prison de Tazoult. Amar Ghoul : «les marchés ont été octroyés à Haddad sur ordre du président de la République» Amar Ghoul a été soumis à une très longue séance de questions-réponses hier à la cour d'Alger. Le juge, qui avait à l'évidence une très grande maîtrise du dossier, a mené l'ancien ministre des Transports au point qu'il avait préalablement ciblé. Ces questions semblent a priori différentes, mais elles ne tournent, en réalité, qu'autour d'un seul point : les raisons pour lesquelles les marchés ont été conclus de gré à gré avec Haddad. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Ghoul tente au départ de verser dans des explications techniques et n'hésite pas à faire référence à des articles de loi, ce qui semble déplaire au magistrat qui l'interpelle en lui demandant de ne pas s'écarter du sujet. Le juge lui demande alors le coût des projets qui ont été octroyés à Haddad : « 123 milliards de DA .» Le magistrat n'est pas convaincu, il insiste. Ghoul répond : « Plus de 200 milliards de DA avec les rallonges qui ont été accordées .» L'ancien ministre doit à présent s'exprimer au sujet du projet routier de Lakhdaria. « Lors des auditions qui se sont déroulées lundi, dit-il, des points tres importants ont été évoqués, c'est un projet qui a effectivement été entamé au début des années 1980 par Cosider, avant mon arrivée à la tête du ministère. Le choix s'est porté sur un terrain très désavantageux, très difficile. Ces travaux ont eu lieu dans un contexte sécuritaire très dangereux. Lakhdaria était réputée. Je veux également vous dire que des camionneurs chargés d'acheminer du sable n'ont pas laissé les équipes travailler normalement et accomplir les travaux comme il se doit .» Le magistrat pose une nouvelle question relative au projet de mise en place de fibres optiques à Bordj-Bou-Arréridj et El Tarf et attribué au groupe Haddad. Ghoul explique : « Nous avons opté pour le gré à gré car il revêtait un caractère urgent .» Il lui est ensuite demandé de révéler les montants accordés. Réponse du prévenu : « 620 milliards de centimes à l'Est et 580 milliards de centimes au Centre. C'est un découpage qui a été mis en place dans les années 1990, il est stratégique. Cela s'est fait sur une demande urgente du ministère de la Défense et du ministère des Télécommunications .» Le juge refuse de le laisser s'écarter du sujet principal et le relance : « Ma question est claire, pourquoi avez-vous passé un marché de gré à gré avec Haddad ?» Ghoul assène : « C'était une instruction du président de la République .» Le magistrat se fait encore plus dur : « Des parties ont éventé les secrets d'une entreprise publique, informant Haddad que Cosider avait soumissionné pour onze milliards ce projet, c'est pour cela qu'il s'est empressé de proposer neuf milliards .» Le juge poursuit : «J'essaye depuis un moment d'arriver à ce point mais vous tournez autour du pot, vous êtes le père spirituel du projet de l'autoroute Est-Ouest qui a connu de très nombreuses irrégularités .» Il laisse à Ghoul encore deux minutes pour s'exprimer. « J'ai été ministre pendant dix années, déclare le prévenu. Sur cinq mille projets, seuls deux ont été octroyés à Haddad. Treize marchés de gré à gré ont été octroyés à des entreprises étatiques et privées ». Ghoul poursuit : « Toutes les décisions étaient prises soit suite à des instructions du président de la République, du chef du gouvernement ou du Premier ministre. Tous les dossiers dont il est question ici relevaient de la présidence de la République, le ministère exécutait.» Le juge : «Toutes ces démarches cachaient de mauvaises intentions, des secrets sensibles ont été éventés, c'est pour cela que vous aviez peur de recourir à l'arbitrage international dans certains litiges .» A. C. Amar Haddad : «j'ai un salaire de 200 000 DA par mois» Amar Haddad est l'un des trois frères de Ali Haddad qui comparaissent en liberté, mais en qualité d'inculpés, dans le procès de l'ETRHB. Voici sa déclaration devant le juge : « J'ai une part dans l'héritage qu'a laissé mon défunt père. J'ai une société versée dans les travaux publics mais elle est gérée par un spécialiste. Quant à moi, je perçois un salaire mensuel de 200 000 DA .» Le juge le relance : «Avez-vous assisté à des réunions du conseil d'administration de l'entreprise de Ali Haddad de façon officielle ? » Réponse du prévenu : « Je n'ai aucun lien avec la gestion de l'entreprise .» Nouvelles questions du juge : «Quel est votre niveau d'instruction ? Détenez-vous des biens ?» « 9e année fondamentale. J'ai dû arrêter mes études en raison d'un accident de la route. Je ne détiens aucun bien en mon nom, j'ai deux comptes bancaires, l'un en DA l'autre en devises, je n'ai aucun lien avec la politique ni avec le financement des campagnes électorales. Je voulais me rendre a Azeffoun pour voter, mais on m'a dit que c'était impossible, ils n'ont pas retrouvé mon nom sur les listes .» A. C. Mohamed Slimani, ancien wali : «c'est Youcef Chorfa qui a octroyé à Haddad un terrain à Annaba» Mohamed Slimani a été interrogé au sujet des avantages accordés à Ali Haddad dans la wilaya de Annaba. « Qui a signé l'autorisation d'octroi d'un terrain de 166 hectares dans la région de Berrahal à Haddad ? » L'ancien wali répond : « Je vais vous expliquer. C'est une décision qui avait été signée par mon prédécesseur avant ma prise de fonction .» Le juge lui demande alors de révéler le nom de cet ancien wali. Le mis en cause répond : «Youcef Chorfa .» A. C. Mahdjoub Bedda : «j'ai été ministre deux mois et demi seulement» «J'étais parlementaire, j'ai été nommé ministre de l'Industrie pour réviser certaines dispositions, pour faire une évaluation du secteur de l'industrie qui avait connu plusieurs dérapages, j'ai occupé ce poste durant deux mois et demi uniquement.» Le juge intervient : «Le ministère était donc à la dérive ? » Bedda répond : «Les dossiers étaient très nombreux. Voici une lettre qui affirme que j'ai tout étudié. Je vais la lire.» Le magistrat juge sa déclaration offensante : «Le juge a pris connaissance de tout le dossier avant de passer au procès. Cette intervention peut être considérée comme étant une offense, car elle suggère que je ne connais pas l'affaire .» L'ex-ministre de l'Industrie s'excuse. Le juge lui demande de poursuivre. Bedda : «J'ai quitté le ministère après deux mois et demi. Dans une expertise, il est dit que j'avais octroyé un terrain pour des réalisations techniques sans visite préalable. J'ai expliqué au juge d'instruction que j'avais gelé toutes les opérations de ce genre. Le ministère de l'Industrie se trouvait, quant à lui, dans une situation catastrophique au moment où j'ai pris mes fonctions.» L'ex-ministre de l'Industrie est, ensuite, interrogé sur les fonctions qu'occupait Kherfi Rabéa. Bedda répond : « Elle était secrétaire générale chargée de la commission de surveillance technique et d'octroi des autorisations .» Le juge poursuit : « Où est-elle allée après avoir quitté le ministère ?» Bedda répond à voix basse : « Au FCE .» Le magistrat lui demande de s'exprimer à voix haute. « Au FCE .» Le juge souligne alors qu'il s'agit d'un conflit d'intérêts. «Je n'ai pas mis fin à ses fonctions. J'ai quitté mon poste avant, c'est Youcef Yousfi qui l'a fait en arrivant au ministère .» «Où est-elle allée travailler ?» insiste le juge. « Chez Haddad », répond Bedda. A. C. Boudjemaa Talai : «j'ai assaini les ports» Le juge entre immédiatement dans le vif du sujet avec l'ancien ministre des Transports et des Travaux publics. Le prévenu nie d'emblée toutes les charges retenues à son encontre. «Je n'ai aucun lien avec la corruption, dit-il, je n'ai jamais octroyé d'avantages à quiconque ». Le juge l'interroge au sujet des avantages portuaires accordés à l'ETRHB à Djendjen, Alger, Béjaïa. Talai répond : «Les dossiers étaient déjà prêts une année et demie avant mon arrivée au ministère. Lorsque j'ai pris mes fonctions, je n'ai absolument rien accordé, aucun mètre carré. J'ai, par contre, réglé des problèmes et des litiges. À Djendjen, il y avait un litige avec la société Cimal, versée dans le ciment. Il a été réglé par la justice. Tout le matériel a été vendu au groupe Haddad. Pour ce qui est du port d'Alger, les avantages ont été octroyés sur la base d'un décret présidentiel et je n'étais pas en poste à cette époque. Durant mes fonctions de ministre, j'ai, au contraire, assaini toutes les situations qu'il y avait dans les ports .» Le juge réagit : «C'est vrai, j'en ai pris connaissance dans le dossier. C'est une très bonne chose que vous avez faite.» A. C.