L'audition d'anciens directeurs de ports a révélé l'ampleur des privilèges accordés à Ali Haddad qui, affirment ces derniers, bénéficiait de ces avantages grâce au ministère des Transports. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - L'ex-directeur du port d'Alger est le premier a être appelé à la barre ce mercredi, troisième jour du procès de Haddad. Il est poursuivi pour mauvaise utilisation de fonction, utilisation de deniers publics de manière contraire à la loi et octroi d'indus avantages. Mohamed Kerrah nie d'emblée tous les faits qui lui sont reprochés et insiste sur le fait que tous les avantages ont été octroyés à l'homme d'affaires durant une période où il n'était pas en fonction. « J'étais en poste de 2011 à 2017, dit-il. Les premiers accords conclus avec Haddad au port d'Alger ont eu lieu en 2002, soit neuf ans avant mon arrivée. Quand je suis arrivé, un contrat se trouvait donc déjà en cours. Dans le document en question, il y avait des clauses qui permettaient un renouvellement de tous les accords passés, le ministère des Transports est seul responsable de ces accords. Avant d'entreprendre quoi que ce soit, il fallait son accord, je n'ai signé aucun contrat, les seuls documents que j'ai signés portaient sur le renouvellement du bail. Même après mon départ à la retraite, tout a été renouvelé avec l'accord du ministère concerné .» Il ajoute : « Le terrain a été acquis par Haddad en 2006, je n'étais pas en poste à cette époque. Le droit de jouissance lui a été accordé par le ministère des Transports. En 2012, Haddad a changé l'appellation d'une de ses sociétés, un document nous a été adressé pour nous en informer et j'ai signé une nouvelle fois .» L'enquête menée sur les faits qui se sont déroulés a établi qu'en janvier 2018, l'ex-ministre des Transports, Abdelghani Zaâlane, lui avait accordé un renouvellement pour une durée de vingt ans de concessions de trois structures portuaires au port d'Alger, 64 447 m2, au quai 36, 3 735 m2 au môle et 5 860 m2 au quai 26, servant à la construction d'une unité de bitume. L'ancien directeur du port de Mostaganem est appelé à son tour à la barre. Poursuivi pour mauvaise utilisation de fonction, conflit d'intérêts et octroi d'indus avantages, il nie à son tour tous les faits qui lui sont reprochés et affirme que rien ne pouvait être entrepris sans l'accord du ministère des Transports. « En 2016, déclare ce dernier, de nombreuses entreprises privées et publiques ont présenté des demandes pour des concessions portuaires, la décision était du ressort du ministère du Transports (...) les demandes de Haddad ont été acceptées ». L'enquête menée a établi là, également, que Ali Haddad avait pu bénéficier d'un espace de stockage de bitume de 2 600 mètres carrés pour une durée de quinze années. Les mêmes avantages lui ont été accordés au port de Annaba où il a pu bénéficier de deux espaces d'une superficie de 3 500 mètres carrés et de 4 230 mètres carrés. La première assiette lui a été octroyée en 2014. Une année après, le ministère des Transports l'autorise à acquérir la seconde unité de stockage de bitume. A. C. LE PATRON DE L'ETRHB AU JUGE : «J'ai été jugé avant de comparaître devant un tribunal» Le juge entame l'audition de Ali Haddad en lui rappelant qu'il est poursuivi pour blanchiment d'argent. Le prévenu, jugé à partir du pénitencier de Tazoult, exige que le droit de présomption d'innocence lui soit appliqué. «C'est de votre droit», répond le magistrat. Haddad poursuit : «C'est un droit dont je n'ai jamais bénéficié (...) On m'accuse d'avoir accaparé tous les marchés du pays, On impute à Haddad tout ce qu'il y a de plus mauvais, tout ce qu'il y a de mal dans le pays. L'entreprise que je gère a été mise sur pied en 1988 avec mes frères.» L'ex-patron de l'ETRHB est interrogé sur les nombreux crédits bancaires qui lui ont été octroyés. «Douze crédits ont été accordés à mon entreprise, soutient le prévenu. Neuf d'entre eux ont été totalement remboursés, et les trois autres crédits ont été remboursés à hauteur de 25%.» Le rapport de l'enquête menée autour de l'ETRHB a démontré que l'entreprise avait pu bénéficier de 452 crédits auprès des banques, pour un montant de 211 000 milliards de centimes. Sur la somme globale, 167 000 milliards de centimes ont été accordés par des banques publiques, à leur tête le CPA (Crédit populaire d'Algérie) qui, à lui seul, a accordé 73 000 milliards de centimes. Le juge interroge ensuite Haddad au sujet de l'affaire du tramways. Réponse : «Mon entreprise, l'ETRHB, participait à hauteur de 5%, le reste était détenu par Alstor France. La société mère et une entreprise italienne. Je ne peux pas me défendre comme les autres. Je ne peux pas me défendre correctement puisque le juge d'instruction ne m'a remis aucun document et que je me trouve en prison. Ils ont voulu ternir mon image, me salir. J'ai été jugé avant de comparaître devant la justice. La presse m'a sali dès mon arrestation.» Le magistrat demande ensuite à Ali Haddad se s'exprimer au sujet des 124 marchés publics dont a bénéficié le groupe ETRHB pour un montant de 78 410 milliards de centimes. Réponse : «J'ai obtenu 124 marchés sur les 5 000 autres existants. En 2015, j'ai perdu deux milliards de DA, entre 2017 et 2018, les gains de l'entreprise ont chuté de 4 milliards de DA.» Haddad se plaint : «À chaque comparution, on m'accuse d'une nouvelle chose. La première fois, on a dit que j'allais prendre la fuite et que j'étais britannique. La seconde fois, on m'a dit que j'avais une casemate pleine d'armes, et à présent, que je suis l'ami de Trump.» Haddad tente de s'exprimer au sujet de l'affaire, qui l'a conduit à Tazoult, du contrat de lobbying passé avec un cabinet américain pour un montant de dix millions de dollars. Mais le juge lui demande de mettre fin à son discours car n'étant pas concerné par ce dossier. Il est 18h30. Le tribunal lève la séance. L'audition de Haddad se poursuivra aujourd'hui. A. C. Rebbouh Haddad : «Je n'avais pas de salaire au groupe» Rebbouh Haddad, frère du principal inculpé dans l'affaire de l'ETRHB, a été, à son tour, auditionné hier au niveau de la cour d'Alger. Face au juge, ce dernier a affirmé qu'il ne possédait aucun bien immobilier en son nom tant en Algérie qu'à l'étranger, mais qu'il détenait, en revanche, un compte bancaire commun, avec son épouse et ses enfants, qui contient 70 000 euros. «Je ne suis pas concerné par la gestion de l'ETRHB», soutient encore ce dernier en expliquant que son rôle au sein de cette entreprise se limitait à assurer la coordination entre les différentes commissions et que celles-ci étaient dotées chacune de son propre responsable. À une question du juge sur le montant qu'il percevait au niveau de l'entreprise de son frère, Rebbouh répond qu'il n'était pas payé : «Je n'avais pas besoin de salaire, je prenais de l'argent lorsque j'en avais besoin.» À une autre question relative au rôle qu'il jouait au sein du club sportif de Haddad, il répond encore : «J'étais bénévole, j'étais là pour aider, c'est d'ailleurs moi qui ai amené Djamel Belmadi.» Rebbouh Haddad a été placé sous mandat de dépôt le 1er mars dernier après avoir été auditionné dans le cadre de l'enquête qui a touché l'ETRHB. Il avait été écouté par un juge d'instruction du tribunal de Bir-Mourad-Raïs qui avait conclu à sa culpabilité dans l'affaire Ali Haddad. Mardi, second jour du procès, Amer, un autre des frères Haddad, avait comparu devant le juge, affirmant, à son tour, qu'il n'était nullement concerné par la gestion de l'ETRHB : «J'ai une part dans l'héritage qu'a laissé mon défunt père. J'ai une société versée dans les travaux publics mais elle est gérée par un spécialiste, quant à moi, je perçois un salaire mensuel de 200 000 DA.» Lors du procès en première instance qui s'était déroulé au tribunal de Sidi-M'hamed, Ali Haddad avait paru très contrarié par la présence de ses frères, affirmant au juge qu'il était le seul responsable de l'ETRHB et qu'aucun des membres de sa fratrie n'avait de responsabilité dans cette affaire. A. C.