Construite par les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, un ordre catholique militaire, l'imposante forteresse médiévale qui pouvait accueillir une garnison de 2 000 hommes se dresse sur une haute colline, dominant ses environs. Armée d'une scie, Rana Jreij élimine les broussailles entre les pierres pluricentenaires d'un des plus célèbres châteaux des croisades. Objectif : requinquer le Krak des chevaliers, classé au patrimoine de l'Unesco, et le protéger des feux qui ont sévi récemment dans la Syrie en guerre. Comme elle, des dizaines de volontaires, munis de râteaux, de pioches, de pelles et de balais, se sont mobilisés pour débroussailler le site du château, érigé au XIIe siècle dans la région centrale de Homs. «Cette citadelle, c'est nos souvenirs, notre mémoire et j'ai peur pour elle», confie Mme Jreij, 32 ans, les cheveux ramenés en arrière. Si les feux de forêt qui ont ravagé le centre et le nord-ouest de la Syrie à la mi-octobre ont été maîtrisés, ils ont eu le temps de détruire plus de 9 000 hectares de terres agricoles, d'oliveraies et de forêts, selon les Nations unies. Avec les toutes dernières chaleurs estivales, le risque d'une reprise n'est jamais totalement écarté. Alors dans les étroits couloirs sombres de la citadelle, ses cours intérieures ou directement sur le flanc de ses épaisses murailles, des volontaires déblaient les branches mortes et la végétation touffue. Au total, plus de 400 étudiants ont participé au chantier, explique Naji Darwiche, directeur d'un programme de responsabilité civique dans une université locale. «Isolement» Construite par les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, un ordre catholique militaire, l'imposante forteresse médiévale qui pouvait accueillir une garnison de 2 000 hommes se dresse sur une haute colline dominant ses environs. Dans une Syrie en guerre depuis 2011, cette position stratégique est finalement reconquise en 2014 par les autorités à l'issue de féroces batailles. «Le château avait fermé ses portes en 2012», raconte la directrice du site, Naïma Mouharatam, qui supervise les opérations de débroussaillage après avoir géré des travaux de restauration. Les combats avaient entraîné des dommages, notamment dans l'église et la Grande salle, célèbre pour ses colonnettes et ses voûtes inspirées par l'architecture gothique. La restauration avait bien avancé, mais elle a été interrompue par les restrictions liées au nouveau coronavirus, qui ont aussi fait chuter la fréquentation du site rouvert seulement fin 2018. «En 2019 nous avions eu 23 000 visiteurs, cette année ils étaient 5 000 seulement», déplore-t-elle. «Le coronavirus a rétabli l'isolement de la citadelle», dit-elle. Heureuse de voir « la vie revenir » grâce aux volontaires qui ont investi les lieux, elle rêve du retour de la période faste des grands événements culturels. «J'espère que le jour viendra où j'assisterai à des concerts dans la citadelle, comme avant la guerre», soupire-t-elle. «Venir du monde entier» En 2013, alors que les combats faisaient rage, le Krak des chevaliers, mais aussi les ruines de Palmyre ou la vieille ville d'Alep ont été inscrits par l'Unesco sur sa liste du patrimoine en péril. A l'entrée de la Grande salle, Hazem Hanna ne se remet pas des dégâts essuyés par les voûtes gothiques qui se sont en partie écroulées. Mais «tant que les matériaux de base sont disponibles, on pourra les restaurer», tempère cet ingénieur chargé des travaux dans l'édifice. La citadelle avait bénéficié en 2016 de l'aide d'archéologues hongrois pour restaurer, notamment, le clocher de l'église. Dans une Syrie qui peut se targuer d'avoir six sites inscrits au patrimoine mondial de l'Humanité, le gouvernement avait participé en 2018 au Salon international du tourisme à Madrid pour relancer le secteur. Car, ces dernières années, les autorités ont consolidé leur emprise sur plus de 70% du pays morcelé et les combats ont globalement baissé en intensité. Mais si des visiteurs venus du Liban, d'Irak ou de Jordanie voisine font facilement le déplacement, parfois pour des excursions d'un jour, les touristes occidentaux ont, eux, déserté le pays. Darwiche, qui accompagne ses étudiants lors de leurs séances de volontariat, rêve, lui, de voir «les touristes venir du monde entier» car «la citadelle a hâte de retrouver ses visiteurs».