La « nomophobie », contraction de l'expression anglaise « No mobile phone phobia », désigne la peur excessive d'être séparé de son téléphone mobile. Eh, oui ! Il y a des personnes pour qui le smartphone représente plus qu'une âme sœur. Il est vital. Et avec les périodes de confinement et la distanciation sociale, il a pris encore plus de place ! Mounir, 30 ans, marié : « remplir le vide et passer le temps » « Oui, j'ai peur de perdre mon téléphone, tout le temps ! Je vais être honnête, ce n'est pas uniquement parce qu'il est plus qu'un ami ! J'ai mal aussi au porte-monnaie quand je vois le prix que m'a coûté mon smartphone, et pourtant il fait partie des bas de gamme. Mais il n'empêche que se balader avec l'équivalent de quelques millions de centimes dans la poche, ça peut créer du stress, et pas qu'un peu, surtout quand tu sais pertinemment que tu n'as pas la somme pour le remplacer si on te le chope, si tu le perds ou si tu le pètes. Et comme je ne suis pas un employé régulier, j'y fais très attention. Il me permet de passer le temps, de remplir le vide, de me faire rire. Des fois, la nuit, je l'allume, pour voir s'il n'y a rien de nouveau sur mon fil Facebook ou Tiktok. Et j'interdis à qui que ce soit d'y toucher, y compris mon épouse. Elle, elle pense que j'ai des copines sur Messenger mais ce n'est pas du tout le cas. Je trouve que c'est personnel, il y a des blagues de mes amis, des photos d'eux... Voilà, cela n'appartient qu'à moi ! » Mehdi, 45 ans, célibataire : « si je n'ai pas mon téléphone sous les yeux, je suis perdu » « C'est simple, pour moi, mon téléphone, c'est ma vie. Je ne veux même pas le changer. Il ne me sert plus seulement à téléphoner mais aussi à échanger des messages, à prendre et à stocker des vidéos et des photos, à regarder des trucs sur internet, à checker mes mails, à jouer, à écouter de la musique, à m'organiser, à m'orienter, à me donner l'heure, à me réveiller... Bref, ça sert à plein de trucs de la vie quotidienne et sociale. Sauf que c'est contenu dans un seul appareil. Avant, quand tu perdais ton téléphone, tu perdais majoritairement les numéros de ton répertoire, maintenant, c'est aussi comme si tu perdais ton iPod, ton PC, ta console, ton réveil, ton carnet avec des messages de tes potes et tes idées perso, ton agenda, ton moniteur de sport, ton GPS — entre autres. Franchement, sans mon téléphone, la nuit, je ne peux pas dormir. En plus, avec le confinement et le coronavirus, il est devenu plus qu'important. Il me tenait compagnie et me permettait de rester pratiquement en vie et à me destresser. Avec lui, je ne me rends pas compte du temps qui passe .» Interrogation des spécialistes «L'addiction au virtuel, de l'usage à la dépendance, une problématique émergente en Algérie.» Tel est le thème du colloque initié par le Laboratoire santé mentale et neurosciences, en collaboration avec la Faculté des sciences humaines et sociales et la Faculté de médecine de l'université Abderrahmane-Mira de Béjaïa. Dans leur présentation, les organisateurs de ce colloque ont affirmé que dans le monde contemporain, les TIC peuvent, en dépit de leur utilité, entraîner un usage excessif chez les internautes, capable d'engendrer un dédoublement d'existence fractionnée en deux dimensions : une vie réelle et une autre virtuelle. Actuellement, une affirmation s'est généralisée à travers le monde et dans toutes les sociétés, à mesure que ces technologies deviennent de plus en plus sophistiquées et d'accès facile aux grand public : une addiction au monde virtuel a vu le jour, où il faut redéfinir les rapports du sujet à la réalité. Par ailleurs, l'appropriation d'un smartphone, d'un microordinateur portable, d'une tablette... ou tout autre outil connecté est devenue un phénomène social, notamment avec la démocratisation des TIC et de leur usage. À cet effet, il est rare de trouver une personne qui n'en possède pas. Cependant, ces usagers peuvent, progressivement, développer des conduites de dépendance facilitées par le recours excessif, répétitif et justifié par l'utilité de ces TIC dans leur vie quotidienne mais aussi individuelle et socioprofessionnelle, au point de refléter une dimension spectaculaire. Comme disait Michael Stora, psychologue et psychanalyste français : «Montrez-moi vos applications, je vous dirai qui vous êtes !» De là est apparue une nouvelle problématique, qui traite la dépendance des usagers aux TIC et dans laquelle sont évoqués les concepts d'addiction, d'hyper-connexion, de cyberdépendance... pour rendre compte de l'intensité et de la fréquence de leur usage, en termes de temps et de gratification, chez les sujets « dépendants» ou addicts». En outre, les objectifs assignés à ce colloque consistent à « échanger et approfondir les connaissances sur l'hyper-connexion et ses notions connexes, présenter les recherches réalisées en Algérie, créer un réseau national de recherche sur la question et assurer une prise en charge des sujets addicts et de leurs familles par des moyens efficaces basés sur des travaux scientifiques ». Aussi, plusieurs autres sujets seront traités, à savoir : l'addiction au virtuel (champs disciplinaires, concepts avoisinants, définitions, mécanismes, théories explicatives), les types d'addiction virtuelle (réseaux sociaux numériques, jeux vidéo, achat en ligne, sexualité), les conséquences psychosociales de l'addiction aux TIC (harga, déperdition scolaire, fragilisation du lien social), les familles face à l'addiction, notamment chez les adolescents et les jeunes, l'hyper-connexion au travail et bur-nout, la prévention et la prise en charge (service de psychiatrie, thérapies cognitivo-comportementales, psychothérapie d'inspiration psychanalytique PIP) et, enfin, les acteurs de sensibilisation et d'éducation aux TIC (école, centres culturels). Comprendre la nomophobie Les spécialistes s'accordent à dire que cette nouvelle peur résulterait du stress lié à la privation des informations en continu du smartphone. La pression sociale qui pousse à toujours connaître les dernières nouvelles ou avoir lu les derniers mails peut provoquer chez certaines personnes une angoisse insupportable à l'idée d'être privées de leur téléphone. Les signes de la nomophobie peuvent apparaître rapidement en quelques semaines comme une consultation frénétique de son téléphone qui empêche de passer du temps en famille ou avec des amis ; ou bien un abandon de ses activités habituelles, ou de son travail au profit du smartphone ; et cela peut aller vers des troubles du sommeil, de la concentration ou une irritabilité. Et contrairement à ce que l'on croit, cette nouvelle phobie ne toucherait pas seulement les jeunes, mais toute personne qui fait un usage quotidien de son smartphone. S'interroger sur le temps passé à consulter les réseaux sociaux, sa boîte mail ou toute autre application de news ou de jeux permet de prendre du recul et de replacer le smartphone dans son contexte, c'est-à-dire un outil qui ne doit pas faire oublier le monde réel. Sarah Raymouche