Tenir un volant est synonyme de liberté, de maîtrise du temps et de sécurité. En quelques années, le nombre de délivrances de permis de conduire a connu un bond très important en Algérie. Mais détenir ce « papier » ne veut pas forcément dire que la conduite est possible. Nombreux sont ceux qui en restent à ce stade... Sarah, 30 ans, cadre : «Quand je disais à une personne de mon entourage que j'ai le permis mais que j'ai peur de conduire, personne ne me prenait réellement au sérieux. Cela a été toujours la même réponse : avoir peur, on a eu tous peur... Mais pas au point de t'empêcher de conduire. Et pourtant si ! Je ne sais pas si c'est le facteur temps mais j'ai eu beaucoup de difficultés. J'ai préféré obtenir mon permis de conduire puis acheter mon véhicule. De ce fait, j'ai demandé à mon frère de m'apprendre. Il était près de moi, il m'a appris quelques techniques mais en mauvais pédagogue, il n'arrêtait pas de crier. À l'entendre parler, je ne pourrais jamais conduire de ma vie. Donc, je ne voulais plus de lui. Je me suis dit, la meilleure façon est de payer un professionnel. J'ai pris l'option de 8 heures de perfectionnement. Le moniteur ne m'a jamais mise en confiance. Durant la séance, il ne cessait pas de faire des grimaces de mécontentement, me parlait de ce que des candidats ont fait à sa voiture ainsi que du prix qu'il lui a valu pour la réparer. Je me suis rendue à une autre auto-école et là j'ai également déboursé des sommes importantes. Deux ans après avoir obtenu mon permis de conduire, je ne conduisais toujours pas. Je n'avais plus envie. Ma mère m'a encouragée quand même pour acheter un véhicule et prendre un chauffeur s'il le fallait. Après l'acquisition de la voiture, je me suis dit, je tente une dernière fois avec une femme. J'en ai trouvé une juste comme il faut, très patiente et très douée. D'abord, elle m'a mise en confiance. Au bout de deux heures de conduite avec elle, j'ai repris goût. Une séance chaque matin où elle me faisait prendre le chemin vers mon travail en aller-retour durant une semaine, et c'est tout. La semaine d'après, je partais au boulot toute seule. Je la considère comme un ange ! Elle m'a fait prendre conscience que je pouvais dépasser ma peur !» Tout cela pour dire qu'il faut s'entourer des bonnes personnes et dépasser sa frayeur ! Soumia, femme au foyer : «il ne faut pas apprendre à conduire avec un membre de sa famille» «Je me faisais une joie de pouvoir conduire. J'ai fait des économies et je me suis payé mon permis. Durant les cours, j'étais la plus enthousiaste de tous les candidats. Je m'imaginais conduire, avec mes enfants derrière. Pour moi, c'était le début d'une aventure. Mais, dès que j'ai eu mon permis, et du fait que mon mari travaille durant un mois au Sud et me laisse la voiture, j'ai demandé à mon père de m'accompagner pour avoir plus d'assurance. Ce fut une horreur. Il hurlait, à s'égosiller, me lançait des mots blessants et me répétait qu'avec ma conduite j'allais tuer tout le monde. J'ai arrêté parce que je commençais vraiment à avoir peur et je me disais que je ne saurais jamais conduire. J'ai commencé à faire des cauchemars le jour où il a levé le frein à main sec sans me prévenir en me disant que j'allais entrer dans une passante alors qu'elle était vraiment loin. Avec mon frère, j'ai vécu la même galère. Lui, me ressassait sans cesse que j'étais une incapable. Et quand mon mari m'appelait pour me demander comment ça se passait, j'esquivais le sujet. Ça tournait presque au drame. Conduire pour moi était devenu une vraie phobie. À son retour du Sud, mon époux m'a demandé de démarrer la voiture et lui montrer les progrès que j'ai faits. Je n'ai même pas pu mettre la clef dans le contact, tellement j'avais peur ! Et c'est là que je lui ai tout raconté. Deux jours après, il m'a obligé à démarrer le véhicule et nous sommes allés dans un endroit isolé. Il m'a remise d'aplomb. Et il m'a encouragée à être autonome. Nous avons vécu des moments très complices dans cet apprentissage et j'ai pu, grâce à lui, reprendre courage et conduire tout doucement. Lorsqu'il a repris son travail, je pouvais emmener les enfants à la crèche, qui se trouvait à dix minutes de chez moi, juste pour ne pas perdre la main. Et puis, petit à petit, j'ai pu conduire aisément. » Conseils de moniteur Farid est moniteur d'auto-école. Il cumule plusieurs années d'expérience. Il livre quelques conseils : « Après l'obtention du permis, le mieux dans un premier temps est de conduire avec une personne, mais il faut qu'elle soit patiente et qu'elle ne dicte pas ce qu'il faut faire. Il ne faut pas qu'elle intervienne dans la façon de conduire. Je veux dire qu'il faut qu'elle soit là juste pour rassurer. Ensuite, petit à petit, essayer de conduire seul, en prenant des trajets faciles, comme des endroits où il y a peu de circulation, peu de pentes. Aussi, il ne faut pas faire attention à ce que pensent les autres conducteurs : prendre son temps, si on est perdu, au lieu de faire n'importe quoi, et surtout il ne faut pas que la colère des autres soit une priorité, à chacun son rythme. Mais surtout, il est nécessaire de conduire, conduire et conduire aussi longtemps que possible, c'est le seul moyen de se perfectionner, acquérir les bons réflexes, avoir confiance en soi et dépasser sa peur. » L'amaxophobie, une maladie qui est la peur de conduire Eh, oui ! Ces témoignages sont le reflet d'une véritable phobie. Il s'agit de l'amaxophobie. Elle désigne la peur de conduire un véhicule. Ce terme est formé à partir des mots grecs amaxa (chariot) et phobia (peur). C'est peut-être aussi une cause qu'une conséquence possible de l'insécurité routière. Que ce soit dans le monde ou en Algérie, difficile de connaître son étendue car il n'y a pas d'enquête rigoureuse sur la question. «Beaucoup de personnes n'en parlent pas, par gêne ou même par honte. Plusieurs cas de figure sont possibles. Il y a des personnes qui ont passé le permis avec difficulté et n'ont jamais conduit régulièrement ou qui se sont limitées à de très courts trajets, des conducteurs aguerris qui, parfois sans raison évidente, commencent à avoir peur de conduire assez soudainement à un moment donné ; des personnes âgées qui redoutent progressivement la conduite automobile. Le handicap peut être léger. On parvient malgré tout à prendre la route dans la vie de tous les jours. Parfois, il est nettement plus lourd : la conduite est totalement impossible. Dans tous les cas, des solutions existent pour surmonter cette crainte. «Il s'agit avant tout de persévérance », explique le Dr Didiche, médecin généraliste. Sarah Raymouche