Joe Biden a salué une «victoire historique» avec l'adoption de son plan colossal de relance cette semaine au Congrès. Mais derrière ce succès démocrate, plusieurs lois emblématiques de son programme risquent désormais de mourir au Sénat, faute d'une majorité suffisante. «Le cimetière législatif, c'est terminé», a promis jeudi le chef des sénateurs démocrates, Chuck Schumer, en faisant référence aux années de blocage de projets démocrates par l'ancienne majorité républicaine à la Chambre haute. Moins de deux mois après avoir pris les rênes de sa nouvelle majorité, très étroite, le sénateur de New York est pourtant déjà surnommé le «gardien du cimetière». Avec 50 démocrates contre 50 républicains depuis le 20 janvier, son groupe peut compter sur la voix de la vice-présidente Kamala Harris pour départager les votes ne nécessitant qu'une majorité simple. Pour la plupart des grandes lois voulues par Joe Biden, les démocrates ont toutefois besoin de 60 voix s'ils veulent éviter le fameux «filibuster», un terme de piraterie qui désigne un type d'obstruction parlementaire. Limitation à l'achat des armes à feu, réforme de la police, loi anti-discrimination, renforcement de la participation électorale et des droits des syndicats : la Chambre des représentants, contrôlée par les démocrates, a déjà approuvé une volée de projets de lois au cœur du programme Biden. Pour l'instant, ils apparaissent tous «mort-nés» au Sénat. Certes, il reste un espoir de compromis sur une réforme de la police ou les armes. Mais dans un Congrès profondément divisé, la perspective du ralliement de dix sénateurs républicains aux projets déjà approuvés par la Chambre démocrate semble très improbable. S'il a encore promis jeudi de ne plus laisser mourir les textes au Sénat, Chuck Schumer a fait l'aveu jeudi, en filigrane, de son actuelle impuissance en parlant d'un texte voté dans la matinée à la Chambre pour encadrer plus strictement la vente des armes. Ce projet «sera soumis à un vote au Sénat», a-t-il déclaré. «Peut-être que nous aurons assez de voix», a-t-il poursuivi sans grande conviction. «Et si non, nous nous rassemblerons au sein du groupe (démocrate) et verrons comment avancer.» Le démocrate n'est que trop conscient du grand obstacle qui menace l'approbation des lois voulues par Joe Biden: le «filibuster» et l'opposition farouche de deux démocrates conservateurs à l'élimination de cette règle polémique. «Jamais! Mais bon sang, qu'est-ce que vous ne comprenez pas avec ‘'Jamais''», a récemment lancé à des journalistes, qui lui redemandaient s'il était prêt à s'en débarrasser, Joe Manchin, élu de Virginie occidentale. Avec lui, la sénatrice démocrate de l'Arizona Kyrsten Sinema a aussi affiché son opposition. Tous deux jugeant qu'elle pousse à la recherche de compromis. Pendant longtemps, le Sénat américain n'imposait pas de limite à la durée des débats. Une option parfois saisie par des parlementaires pour faire durer la procédure et empêcher d'arriver à un vote final. C'est le «filibuster». Depuis 1917, un vote de procédure permet de clore le débat, à condition de rassembler assez de voix. Aujourd'hui : 60 sénateurs. En 2013, les démocrates avaient toutefois opté pour une «option nucléaire», ainsi surnommée tant elle rompt avec la tradition: abaisser la barre des 60 voix à 51 lorsqu'il s'agit des candidats au cabinet du Président et la plupart des nominations judiciaires. En 2017, les républicains avaient à leur tour déclenché l'option nucléaire pour abaisser également le seuil à 51 voix lors des nominations à vie à la Cour suprême, provoquant un tollé chez les démocrates. Mais la limite des 60 voix reste en vigueur pour la plupart des projets de loi. Et si les démocrates sont parvenus à le contourner pour faire adopter le plan de relance économique de Joe Biden, c'est grâce à une exception valide uniquement pour les lois budgétaires. Même si le «filibuster» risque d'entraver son mandat, Joe Biden n'est pas favorable à son élimination, a encore rappelé lundi la Maison-Banche. Pourquoi ? L'ex-sénateur pendant plus de 35 ans aime à rappeler sa volonté de chercher des terrains d'entente avec les républicains. Sur la même ligne, Joe Manchin a lancé une mise en garde aux démocrates, qui pourraient bien voir les républicains s'emparer, après les élections parlementaires de 2022, d'un Sénat alors débarrassé du «filibuster». «Quoi que vous fassiez aujourd'hui parce que vous pensez que vous êtes en mesure de le faire», a-t-il confié cette semaine au journal The Hill, «cela vous reviendra en pleine figure».