- C'est quoi toutes ces chaussures, à l'entrée de l'immeuble ? - Le siège du MDS ! - ??? Oui ! Je la voyais bien l'affiche ! Une ardoise d'écolier avec écrit dessus, en français « Latcha 800 dinars ». Je posais malgré tout la question au marchand. En arabe. En arabe classique. « Kem el latcha ? » L'homme me regarda d'un œil suspicieux, mais consentit à grommeler en arabe : « 800 دينار ». Sans me démonter, parce que je n'avais pas prévu ce vendredi matin de me démonter ni de passer le reste de cette journée sainte à me remonter, j'entrepris alors de lui reposer la même question une troisième fois, mais en tamazight, cette fois. Mal m'en prit ! Il commença à m'invectiver dans une langue inconnue. Un mélange de patois du terroir, de sabir de la rive gauche de l'oued El-Harrach et de roulements d'yeux féroces comme autant de ponctuations annonciatrices de danger imminent pour mes abattis. Ayant mis quelques bons mètres de distanciation physique entre la latcha à 800 dinars et moi, seul, sur une portion de trottoir d'une rue aux enseignes bariolées, dont certaines en cantonais du Sud, j'entrepris de réfléchir. De cogiter. En parler algérien. Mais à voix basse. Eh oui ! Forcément ! Secoué par tout ça, je ne savais plus s'il m'était encore possible d'analyser en dialectal les enjeux économiques autour de la latcha de moins de trois heures, sans airbags psychologiques. Alors, plutôt que de courir le risque de me faire remarquer, que le bruit court qu'un dangereux pervers linguistique importunait par ses questions vicieuses la bonne marche du commerce national « en frac », je jetais un œil sur la liste des courses rédigée en chaoui de N'gaous, le matin par ma compagne, et me rendait compte que ça allait se compliquer pour moi, cette affaire-là. Bien en évidence, surligné en rouge vif, il y avait écrit « n'oublie surtout pas d'acheter de l'huile de table ». J'avais beau poser mon regard stressé sur tous les étals ! Ni huile de table. Ni huile de chaise. Ni huile de coude. Ni huile moteur. Ni ardoise. Ni prix affiché. Que ce soit en arabe, en français, en tamazight ou en mandarin de Bab Ezzouar-Est. Je me résignais alors à rentrer à la maison, le panier vide. Mais avec la ferme résolution de déclamer, un genou à terre, dans la cuisine, un long poème de « Ghazal » qui calmerait peut-être la fureur de ma tendre moitié. À défaut de latcha et d'huile, nous pourrions ensemble, en harmonie linguistique domestique, intra-muros, fumer du «شاي» pour rester éveillés à notre cauchemar qui continuait. H. L.