Tarik Djerroud est connu comme un romancier ayant parmi ses succès Hold-up à la Casbah et Un butin de guerre. Pour cette fin 2017, ce jeune auteur prend un virage, se met à l'essai et publie un ouvrage sur la question de l'amazighité. Divisé en deux tomes, Tamazight, âme de l'Afrique du Nord (Tafat éditions) se veut un long voyage dans l'histoire ponctué d'interrogations, d'un examen sur les conditions du déclin et de la renaissance de tamazight. Bref, cet essai analyse avec une approche scientifique ce duel séculaire entre les facteurs endogènes (attachement populaire) et facteurs exogènes (pressions coloniales) ayant imprimé à tamazight un destin plutôt cruel que florissant. Ce voyage dans l'histoire a aussi pour ambition de jeter un regard serein dans le miroir du récit national. Chaque chapitre en est un fragment. Ainsi, en trente chapitres alimentés d'une écriture ciselée, des faits saillants émergent avec une influence indéniable ; la proximité entre le punique et tamazight ; le voisinage entre tifinagh et le latin ; l'instabilité politique comme facteur empêchant tamazight de se hisser de langue officielle sur son propre territoire. L'arrivée des Arabes est une étape qui a lancé tamazight dans une sorte de rivalité avec la langue du texte coranique, c'est-à-dire l'arabe, laquelle est accompagnée du sceau de la sacralité dont le profit politique est cueilli comme un fruit mûr, du gouverneur de Damas Abdelamlek jusqu'au zaïm du PPA, Messali Hadj. La force suprême de cet ouvrage réside, en effet, dans le coup de pied donné par Tarik Djerroud à l'histoire officielle. Ainsi constate-t-on avec l'auteur qui s'évertue à déconstruire une histoire rédigée avec des œillères à démonter une mécanique huilée par l'idéologie arabo-baathiste agrémentée d'un fanatisme morbide ; à mettre en relief aussi la poussée contraire d'une conscience à la sauce amazighe amorcée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Voir tamazight ignorée sinon traînée dans la boue ressemble à un choc, à une inconsolable déception. Mais, à l'indépendance du pays, tout va basculer, dans la difficulté il est vrai. Avec l'Académie berbère, la chanson engagée, le mouvement sportif avec une JSK dont chaque victoire résonne comme un clairon identitaire, avril 80, ce sont les chaînes de la peur qui explosent et la parole se met à se libérer peu à peu. De revendication populaire à l'exigence politique, tamazight a été pendant des décennies un enjeu majeur ayant secoué la société en profondeur et créant, par ricochet, du rififi dans les arcanes des sphères dirigeantes. Pour Tarik Djerroud, tamazight et la laïcité constituent l'épicentre de la démocratie à l'algérienne : l'une et l'autre se condensent pour formuler des symboles d'altérité et de diversité. Evoquant les pages sombres de cette aventure linguistique et culturelle, avec le souci de l'exactitude et du ton libre qui le caractérise, l'auteur se fend en divers hommages aux chevaliers défenseurs de l'amazighité et annonce, tout de go, que le XXIe siècle verra la fin d'un Maghreb arabe omnipotent et fait le pari que la place la plus sûre pour tamazight est bel et bien le cœur des hommes et des femmes qui en utilisent les syllabes et la perpétuent au quotidien. "La question de l'amazighité reste un livre ouvert", peut-on lire en quatrième de couverture comme un clin d'œil : l'officialisation n'est pas suffisante, les défis à venir sont nombreux... M. Mouloudj Tamazight, âme de l'Afrique du Nord, de Tarik Djerroud, Tafat éditions, 2017, 192 pages chaque tome, 500 DA le tome.