L'Algérie dispose de capacités de production d'oxygène médicinal suffisantes pour faire face à une nouvelle vague importante de Covid-19. Mais la vente, en 2007, de 66% du capital de l'ex-Entreprise nationale des gaz industriels a placé le groupe allemand Linde Gas dans une position de monopole qui aurait pu être fatale pour le pays. Tarek Hafid - Alger (Le Soir) - Au bord de l'asphyxie à cause d'une importante vague de Covid-19, la Tunisie a récemment reçu une quantité de 81 000 litres d'oxygène médicinal livré par l'entreprise algérienne Calgaz. Principale ressource pour la prise en charge des patients atteints de coronavirus, l'oxygène est devenu un produit stratégique depuis le début de cette crise sanitaire en mars 2020. Si aujourd'hui l'Algérie intervient en urgence pour apporter son aide à la Tunisie, elle aurait pu subir une situation encore plus dramatique. Pour mieux comprendre comment les autorités ont géré avec légèreté le très sensible secteur des gaz industriels, il est nécessaire de revenir à l'année 2007. À l'époque, le gouvernement était pleinement engagé dans la politique de privatisations tous azimuts, lancée lors du second mandat d'Abdelaziz Bouteflika. Abdelhamid Temmar, alors ministre de la Participation et de la Promotion des investissements, est aux commandes de ce programme de privatisation. À l'instar de nombreuses autres compagnies publiques, ce ministère décide de vendre une partie du capital de l'Entreprise nationale des gaz industriels (ENGI). Cette entreprise est chargée de produire de l'azote, gaz d'une importance capitale pour toute l'industrie et le secteur pétrolier, ainsi que l'oxygène nécessaire pour le fonctionnement de certaines activités industrielles comme les aciéries. L'ENGI produit également de l'oxygène médicinal, qui reçoit un traitement spécifique pour lui assurer une plus grande pureté, ainsi que des gaz rares comme l'argon. Pour une bouchée de pain Un avis de cession du capital est donc lancé par la Société de gestion des participations de l'Etat chimie pharmacie (GEPHAC), dont dépend l'ENGI. Le français Air Liquide et l'allemand Linde Gas, considérés comme les leaders mondiaux dans le domaine des gaz industriels, sont en concurrence pour prendre 66% du capital de l'entreprise algérienne. Et c'est finalement Linde Gas qui rafle la mise pour 27, 7 millions d'euros. GEPHAC, qui a été remplacée par la suite par la Holding publique Algeria Chemical Specialities (ACS), est donc minoritaire avec 34% du capital. Autant dire que l'Algérie a offert sur un plateau d'argent le monopole des gaz industriels à un opérateur étranger. Lors de la signature du contrat, les autorités algériennes ont imposé une série d'engagements au nouvel actionnaire : «Maintien et préservation des emplois, maintien et développement de l'activité, modernisation des capacités de production, mise à niveau de l'entreprise, et mise en œuvre du programme d'investissement.» Quatorze ans après cette entrée dans le capital de l'ENGI, dans le secteur industriel algérien, on estime que Linde Gas n'a pas respecté ses principaux engagements, notamment ceux liés à la production. Face au groupe allemand, Air Liquide a pu prendre quelques parts de marché, puisque ses capacités de production sont limitées. La situation est restée ainsi durant une douzaine d'années, jusqu'à l'arrivée de Calgaz, un opérateur privé algérien qui a construit deux unités de séparation d'air à Laghouat et Ouargla. Opérationnelle depuis 2019, cette entreprise a pu s'imposer face aux deux grands groupes mondiaux. Mais la crise sanitaire a totalement chamboulé ce secteur. Mutualisation des capacités Lors de la première vague de coronavirus, de nombreux hôpitaux se sont retrouvés face à une pénurie d'oxygène suite à l'afflux de nombreux patients dans les services de réanimation. Les autorités ont donc exigé de Linde Gas et d'Air Liquide, les deux opérateurs sous contrat avec les établissements hospitaliers, de répondre à cette forte demande. Sauf que leurs capacités de production n'étaient pas suffisantes. Pour sa part, Calgaz, qui dispose d'une capacité de production d'oxygène médicinal quotidienne de 110 tonnes, avait lancé une opération de distribution gratuite d'un million de litres d'oxygène au profit de l'ensemble des hôpitaux d'Algérie. Le ministère de l'Industrie pharmaceutique a donc dû se tourner vers l'opérateur privé. Au mois de juillet, lors d'une réunion avec le ministre Lotfi Benbahmed, les responsables des trois entreprises ont accepté de mutualiser leurs capacités afin de faire face à la crise. Ainsi, Calgaz a accepté de vendre de l'oxygène à Linde Gas et à Air Liquide, qui pouvaient ainsi livrer les hôpitaux. C'est cette démarche qui a permis à l'Algérie d'éviter une catastrophe durant la seconde vague de Covid-19 de l'automne 2020. Depuis, les contrats avec les hôpitaux étant récemment arrivés à terme, Calgaz a pu remporter des avis d'appel d'offres et livrer directement aux établissements hospitaliers. La défaillance de la filiale algérienne de Linde Gas a été prouvée la semaine dernière, puisque ce n'est pas auprès d'elle que Linde Gas Tunisie s'est approvisionnée en oxygène médicinal mais auprès de son concurrent algérien Calgaz. Les opérations de livraison vers notre voisin vont se poursuivre, indique-t-on du côté de Calgaz. Lundi, quatre camions chargés de 100 000 litres d'oxygène liquide étaient d'ailleurs attendus au poste frontalier de Bouchebka pour être livrés à Linde Gas Tunisie. T. H.