Par Maâmar FARAH [email protected] Retour sur une finale qui a été remportée par le plus habile et non le plus présent sur la balle. La confusion d'un schéma déroutant face à la tranquille assurance d'un bloc qui, quand il ne défend pas, avance le plus naturellement et le plus rapidement vers les bois adverses. Ce fut un match passionnant, heurté, mais finalement remporté par le plus déterminé et le mieux organisé. Quel impact sur l'évolution des stratégies tactiques ? Pour cette finale dont le sort semblait scellé au bout de 45 minutes, il y a de tout : le suspens, l'engagement physique qui a contraint à la sortie des deux stars de Chelsea et City (Thiago Silva et De Bruyne), des batailles tactiques, des dominations stériles et, surtout, un manque de conviction terrible de la part des Citizens dont la machine semblait enrayée. Le facteur psychologique, certes asphyxiant, n'explique pas tout ; il y a forcément de mauvais choix tactiques. Cependant, et quelles que soient les erreurs de Guardiola dans le choix d'un schéma de jeu pouvant venir à bout de cette terrible machine londonienne, il semble bien que nous soyons à la fin d'une époque. Le football, qui a connu tant d'évolutions dans l'organisation du jeu sur le terrain, est en phase d'en connaître une nouvelle qui, forcément, va abandonner certaines règles devenues oppressantes pour en connaître d'autres adaptées aux défis des saisons trop longues, trop chargées, trop épuisantes. Mauvais choix tactiques Parlons d'abord des choix tactiques de Guardiola pour cette rencontre capitale. Je pense que c'est une erreur d'avoir laissé sur le banc de touche un joueur comme Fernandino dont l'apport au milieu de terrain aurait certainement assis une meilleure organisation du jeu, en ce sens qu'il est vif et bon relayeur mais sans oublier qu'il est capable de faire échec aux attaques adverses dès leurs déclenchements. Il aurait été, dès le départ, cette barricade tant utile face au bloc ultra rapide de Chelsea qui évolue en position avancée. La sortie de De Bruyne qui palliait un tant soit peu les insuffisances tactiques a mis à nu les faiblesses du système guardiolien pour cette rencontre. Le recul de Foden, l'isolement de Mahrez, l'égoïsme et le jeu brouillon de Sterling ont ajouté à la désorganisation globale en attaque où l'on notait beaucoup de déchets entre mauvaises passes, des pertes de balles faciles, etc. Ce qui montre d'une manière générale que le génie offensif de City était en panne ce jour-là et, au fil de minutes, s'installera la certitude qu'il ne sortira rien de ce jeu décousu et sans panache et qu'il sera, au final, fatal pour le onze de Manchester. Evidemment, avec une ligne d'attaque qui perd facilement le ballon, un milieu sans force motrice, une défense qui, de par même sa position avancée, reste prenable par des contre-attaques rapides et foudroyantes, il ne fallait pas être grand clerc pour deviner la suite des événements. Sans la mauvaise chance, Chelsea aurait pu d'ailleurs scorer plusieurs fois. Certes, City a eu une plus longue possession de balle, mais autant ses attaques laissaient une impression de confusion et de dispersion des efforts, autant celles de Chelsea brillaient par leur éclat et leur dangerosité. Il y a la classe individuelle mais aussi un bon schéma tactique qui, tout en collant aux modes de l'heure, ne perd pas ses fondamentaux. Du WM au football total Le football a évolué au cours des décennies. Au début, on le pratiquait comme le rugby. Mais ce n'était pas commode car les dix joueurs de champ risquaient de rester devant leurs goals à se regarder en chiens de faïence. La règle de l'interdiction d'envoyer le ballon en avant fut donc rapidement stoppée et le jeu à onze se mit à bouger. À cette époque, on cherchait à marquer en tirant vers le goal et en dribblant. C'était l'ère du jeu individuel. Puis, on se mit à développer le jeu collectif pour ne pas trop fatiguer les joueurs qui n'allaient plus passer leur temps à courir sur le terrain et ce fut, désormais, le ballon qui bougeait entre les joueurs. À partir de ce moment, il fallait définir un rôle pour chaque bloc occupant une partie du terrain : défense, demis (le terme a été abandonné au profit de milieu) et attaque. Les différentes formules mises en place évoluèrent rapidement et comme les règles devenaient plus simples (évolution du hors-jeu), les stratèges imposèrent rapidement le WM, un système qui dura longtemps mais dont le principal handicap fut le côté figé du schéma dont les milieux (deux) et les inters (deux) n'avaient pas de rôles distincts et précis, ce qui créait des confusions dont les répercussions se manifestaient au niveau de l'attaque et, avec plus de dégâts, au niveau de la défense. Le WM fut remplacé par le 4-2-4, beaucoup plus aéré et remettant les fameux inters dans leur rôle offensif. Cela voulait dire aussi que les deux milieux devaient être au four et moulin. Les Brésiliens furent les rois du 4-2-4 et cela leur réussit bien avec une longue domination du football mondial. Ce système dura jusqu'en 1970 avec différentes versions, mais l'apparition du football total va changer radicalement l'organisation du jeu, en ce sens que les différents blocs n'étaient plus astreints à occuper un espace défini au préalable, mais bougeaient tous ensemble en fonction du jeu. Les défenseurs pouvaient attaquer et les attaquants défendre. Ce fut l'ère impériale de l'Ajax dont les schémas tactiques furent une véritable révolution face aux deux tendances qui s'opposaient sur le plan philosophique : les partisans du football offensif et ceux qui préféraient le béton. C'est cette tendance du jeu total qui aboutira tout récemment à la mise en place d'un nouveau système révolutionnaire dont le Barça fut le porte-drapeau : le jeu de possession. C'est une évolution certes du football total, mais c'est aussi une tactique qui nécessite une préparation minutieuse pour une maîtrise totale. Parce qu'il faudra nécessairement évoluer dans une surface réduite en attaque et face à des blocs regroupés autour des bois. Il faut aussi disposer d'une même composante pour mieux maîtriser les automatismes. Et puis, il faut bien des finisseurs de talent, de véritables maestros qui ont le but au bout des pieds. C'est à eux de finir ce travail de broderie qui peut avoir des temps d'exécution très longs parfois. Guardiola est connu pour être le maître à penser de ce jeu-là. Après le grand Barça, c'est ce qu'il pratique avec succès à City et on voit bien que les difficultés surviennent parfois à cause des changements de joueurs qu'il opère pour les faire tourner dans des compétitions harassantes. Foot ou hand ? Mais, depuis quelque temps, le jeu de possession est battu en brèche par le retour du football direct qui peut permettre à des équipes ayant des possessions faibles de créer ce coup de génie qui leur permet d'avancer au score. C'est le retour du jeu par les ailes, des débordements spectaculaires, des contre-attaques inattendues, etc. Et cela marche bien face à des équipes qui jouent en bloc avancé et qui, dès la perte du ballon, se retrouvent en faiblesse numérique. C'est ce qui est arrivé avant-hier à Porto. Et la même situation se renouvellera plusieurs fois. De l'autre côté, on a vu une ligne d'attaque qui essayait de construire mais sans trop de conviction. Mahrez qui pouvait créer le coup de génie était dans un jour sans. Et puis, ce n'était pas évident d'évoluer sans un véritable numéro 9, un avant-centre comme on disait. Les ailiers et les éléments du milieu devaient à la fois faire le travail d'approche, de débordement et tenter de se retrouver dans la situation idéale pour scorer. On a vu que cela était pratiquement impossible. Le jeu de possession enlève au football tout son charme. Peu de contre-attaques alléchantes, très peu de tirs de loin (Mahrez a failli faire mouche à la dernière minute), obligation presque de rentrer dans les filets la balle au pied : cela est trop compliqué et s'éloigne du football pour ressembler au... handball ! Oui, quand des équipes jouent la possession et les longues occupations stériles des périmètres adverses, sans se résoudre à attaquer franchement, cela donne ces longues circulations de balle à l'horizontale qui nous font penser au jeu à sept. Mais s'il est aisé de trouver la faille et de tromper le goal adverse en handball, la tâche reste complexe en football. Lors de la Coupe du monde de 2018, le jeu de possession fut mis en déroute par des équipes pratiquant un football rapide et direct qui comptait sur la vélocité des joueurs de pointe et leur parfaite maîtrise des courses, ballon au pied. La France fut l'exemple parfait de ce football. Et c'est elle qui gagna le trophée. Actuellement, un tour d'horizon européen montre que le jeu opposé à la possession est en train de monter en flèche avec des systèmes de jeu évolués et remettant en cause la philosophie guardiolienne. Certes, City est à la tête du football anglais, mais la défaite de samedi aura des conséquences sur le club et beaucoup penseront que les conceptions de la dernière décennie ont fait leur temps. En France, le champion, Lille, pratique un football agréable à voir, fait de panache et de force. En Espagne, le titre a été emporté par l'Athlético drivé par un Semioni qui n'a jamais voulu s'enfermer dans des schémas tactiques rigides. La dernière saison, il a totalement revu la stratégie sur le terrain et ça a porté. En optant pour trois défenseurs centraux, il a innové mais, dans l'ensemble, il n'a pas perdu ses fondamentaux. Toujours favorable au 4-4-2, il ose parfois le losange et ça marche au point de hisser le second club madrilène à la tête du Championnat. Remporter la Liga n'est pas facile d'autant plus que les deux loups ne dorment pas mais le Barça ne se retrouve plus avec son jeu de possession dépassé et le Real stagne dans des schémas qui n'évoluent que rarement. Compter sur le génie d'un ou deux joueurs ne paie plus car dès ça cale chez les stars, c'est la déroute. L'inspiration du moment, irremplaçable ! L'avenir appartient aux clubs qui auront intégré les leçons des échecs tactiques pour apporter les correctifs nécessaires à leurs systèmes de jeu. Mais les écoles continueront à s'affronter et à inventer de nouvelles méthodes qui s'appuieront sur des joueurs qualifiés, de véritables athlètes accomplis mais aussi sur des moyens considérables dans l'entraînement, la remise en forme, l'hygiène de vie, etc. Mais ce ne sont pas les moyens financiers et matériels qui feront la différence. L'échec du PSG en France montre que l'argent ne fait pas le football. C'est la rencontre du génie d'un maître à penser et de joueurs talentueux fidèles aux schémas tactiques, mais ayant la capacité des inspirations inventives, qui fait aussi la différence. M. F.