De Tunis, Mohamed Kettou Les violences au Parlement sont devenues des actes récurrents qui ont atteint, récemment, un point culminant. Mercredi dernier fut une journée tristement historique pour la Tunisie. Au Parlement, le député, chef de la coalition Al-Karama (Dignité), allié du parti islamiste majoritaire Ennahdha, et un député indépendant ont franchi toutes les lignes rouges en agressant physiquement, en pleine séance plénière, leur collègue Abir Moussi, cheffe du Parti destourien libre (PDL). Celle-ci avait été, de son côté, l'auteure, à maintes reprises, de plusieurs agressions verbales non seulement contre ses collègues députés, mais aussi contre des ministres. Pour le député démissionnaire du bureau de l'Assemblée, Mabrouk Kourchid, l'agression n'avait rien d'imprévisible alors que l'un de ses collègues indépendants est allé plus loin en affirmant que tout est programmé pour faire taire toute voix de l'opposition. A ce propos, il a été clair en nommant Ennahdha et son président Rached Ghannouchi qui «cherchent à réinstaurer la dictature» dans le pays. C'était un grave évènement. Car, même si tous les Tunisiens ont pris l'habitude de voir leurs élus s'entre-déchirer à chaque séance plénière, ils ne pouvaient pas imaginer que l'hémicycle du Parlement se transformerait un jour en une arène de combat physique dont la victime serait, de surcroît, une femme. Les réactions condamnant cet acte sont venues de la présidence du Parlement et du gouvernement sans que ni l'une ni l'autre saisissent la justice. Seule la centrale syndicale a demandé l'intervention de la justice. Le président de la République Kaïs Saïed s'est, quant à lui, dit indigné par cette agression ajoutant que «quiconque recourt à la violence doit répondre de ses actes». Est-ce un appel indirect au ministère public pour intervenir d'autant plus que, selon des spécialistes en droit, de telles agressions ne sont pas couvertes par l'immunité parlementaire ? Selon les observateurs, le risque est, maintenant, grand de voir cette affaire faire boule de neige. Le plus navrant pour la population, estime-t-on, est que l'actuelle législature n'arrivera à échéance qu'en 2024, soit dans trois ans, période suffisante aux divers blocs parlementaires pour aiguiser leurs armes en prévision de futures batailles. Suffisante aussi pour que le peuple tunisien découvre les véritables intentions de ses élus. D'autant plus que les deux dernières années, soit depuis l'entrée au Parlement de Abir Moussi (ennemie jurée des islamistes) ont offert l'occasion aux électeurs pour se faire une idée précise du clivage caractérisant la société tunisienne qui vit, actuellement, une période de dichotomie. À qui la faute ? Une question qui ne trouve réponse que dans l'évolution de la situation. En effet, depuis 2011, date du départ de feu Ben Ali, les Tunisiens qui vivaient loin de toutes les manigances politiques, ont découvert, subitement, un intérêt démesuré à la politique et s'y sont investis, corps et âme. La décision de changer de régime a donné naissance à une Assemblée constituante qui a fini, avec du retard, par accoucher d'une Constitution devenue, rapidement, source de tous les malheurs qui affectent le pays. Du coup, les élus habitués au silence, sous l'ère Ben Ali, et peu ou pas habitués au débat politique, se sont trompés de direction et, surtout, de la nature des prérogatives de la députation. Au risque de devenir la risée de tous, ils ne font, depuis des années, que s'échanger des diatribes vides de toute référence où allusion à l'intérêt de leurs électeurs et du pays. M. K.