Après plusieurs mois de guerre larvée, les couteaux sont désormais tirés au grand jour entre le Parti destourien libre (PDL), dirigé par Abir Moussi, la passionaria de la vie politique tunisienne, et la formation islamiste Ennahdha de Rached Ghannouchi, par ailleurs président de l'Assemblée des Représentants du Peuple, le Parlement tunisien. Le PDL a mobilisé ses troupes, samedi dernier, à Sfax, deuxième grande ville du pays, pour y marteler des slogans ouvertement hostiles au parti d'inspiration islamiste ainsi qu'au système parlementaire mis en place au lendemain de la Révolution de 2011. Et c'est aux cris de «Tunisie libre, les Frères musulmans dehors», clamés par quelques milliers de partisans mobilisés au centre-ville, au gré de divers chants traditionnels, qu'a été célébré le 65e anniversaire de l'indépendance de la Tunisie. Cette manifestation intervient alors que le PDL mène, depuis de nombreuses semaines, un combat au sein de l'ARP pour faire adopter une motion de censure destiné à détrôner Rached Ghannouchi du perchoir conquis avec le soutien de l'autre coalition islamiste, al Karama, et de Qalb Tounes, allié circonstanciel d'Ennahdha. Pour le PDL et Abir Moussi, Ennahdha et les deux autres membres de la troïka qui domine le Parlement s'inscrivent dans la mouvance directe des Frères musulmans et c'est pourquoi le parti de Ghannouchi, réclame le PDL, devrait être à nouveau interdit, comme c'était le cas à l'époque de Bourguiba puis de Ben Ali. Ces deux dernières semaines, les joutes parlementaires ont dégénéré au point que des altercations médiatisées sur les réseaux sociaux ont illustré l'atmosphère de tensions grandissantes au sein d'un Parlement de plus en plus divisé. C'est ainsi qu'un responsable de la formation islamo-populiste al Karama en est venu à gifler une élue du PDL, après avoir tenté, mais en vain, de lui arracher son portable parce qu'elle filmait des propos très agressifs. Le PDL est un des partis les plus en voie au sein de l'ARP où il compte 15 sièges et, sous la houlette de la «lionne» Abir Moussi, connue pour avoir été un pilier du parti de Zine El Abidine Ben Ali dont elle n'a jamais cessé de défendre le parcours, avec bec et ongles, il réclame le retour au régime présidentiel. Son argument majeur se réfère au blocage politique actuel qui perdure depuis plus de deux mois, le président Kaïs Saïed refusant la prestation de serment au gouvernement de Hichem Mechichi, soutenu par la troïka et conditionnant tout dialogue et toute sortie de crise par la démission de ce dernier. Abir Moussi qui a obtenu lors de la présidentielle de 2019 seulement 4% des voix, est portée par un vaste mouvement de mécontentement qui agite le pays, tributaire d'une grave crise socio-économique aggravée par la pandémie de nouveau coronavirus, d'une part, et d'une paralysie de la vie politique marquée par des luttes de pouvoir exacerbées, d'autre part. «Pour sortir de cette crise», clame-t-elle sans cesse, depuis des mois, il n'y a qu'une solution, «l'union des forces populaires» et «l'adoption d'une nouvelle Constitution». A Sfax, elle a aussi pourfendu certains partis, «des agents de renseignement» financés par des organisations étrangères. Une polémique est effectivement apparue quant aux salaires de certains assistants parlementaires, ces jours derniers. «Joe Biden, tu ne dirigeras pas la Tunisie», a ainsi clamé Abir Moussi, devant ses partisans, toujours aussi motivés après les rassemblements précédents, à Sousse puis à Béja.