Le Maroc est accusé avec d'autres Etats d'avoir utilisé Pegasus, un logiciel développé par une entreprise israélienne, pour espionner les smartphones de nombreuses personnalités à travers le monde. Les services de renseignement de Mohammed IV ont ciblé un des numéros du Président français Emmanuel Macron ainsi qu'un nombre important de numéros algériens appartenant à de hauts responsables politiques et militaires et à des journalistes. Tarek Hafid - Alger (Le Soir) - La grande kechfa. Lundi 19 juillet, les ONG Forbidden Stories et Amnesty International ainsi que 80 journalistes de 17 médias à travers le monde rendent publique une grande enquête intitulée «Projet Pegasus». Ce travail d'investigation, basé sur des fuites massives de données, montre comment le logiciel espion Pegasus de la société israélienne NSO sert à surveiller les smartphones de nombreux dirigeants, militaires, militants et journalistes. Onze pays sont accusés d'utiliser ce système : l'Arabie Saoudite, l'Azerbaïdjan, le Bahreïn, les Emirats arabes unis, la Hongrie, l'Inde, le Kazakhstan, le Mexique, le Maroc, le Rwanda et le Togo. L'objectif consiste à pénétrer l'appareil et à avoir, ainsi, accès aux conversations, aux messages, aux photos et à l'ensemble des données. En Europe et au Maghreb, les médias s'intéressent particulièrement à l'utilisation par le Maroc de ce logiciel. Les services de renseignement marocains n'hésitent pas à utiliser Pegasus contre les plus proches alliés de leur roi. C'est notamment le cas du Président Emmanuel Macron dont un des smartphones a été sélectionné «pour une éventuelle mise sous surveillance». Une information révélée par le journal Le Monde partenaire de l'enquête internationale Projet Pegasus. Idem pour l'ex-Premier ministre Edouard Philippe et quatorze autres membres du gouvernement. Lundi, au terme du Conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement français déclarait que l'affaire Pegasus «est un sujet grave» à une question sur une possible compromission du smartphone d'Emmanuel Macron. «Si ces faits sont avérés ils sont très graves. Nous tentons actuellement de regarder ce dossier attentivement», a affirmé Gabriel Attal. Le lendemain, le journal Le Monde recevait cette précision du palais de l'Elysée : «Si les faits sont avérés, ils sont évidemment très graves. Toute la lumière sera faite sur ces révélations de presse. Certaines victimes françaises ont déjà annoncé qu'elles porteraient plainte, et donc des enquêtes judiciaires vont être lancées.» Les deux premières victimes qui ont saisi la justice sont Dominique Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté et ancienne journaliste au Canard Enchaîné et Edwy Plenel, directeur du site d'investigation et d'information Mediapart. D'autres victimes ont décidé de déposer plainte, notamment d'anciens ministres et des députés. Ces graves révélations ont mis dans l'embarras les milieux français proches du Makhzen. Les lobbyistes parisiens abonnés à l'hôtel La Mamounia ont tenté de réagir pour dédouaner le roi Mohammed VI et le Maroc. Le palais actionne Bernard Squarcini, ancien patron de la DST et de la DCRI. Invité d'Europe 1, l'ancien commissaire natif à Rabat assure que le Maroc «est accusé à tort» et «qu'il n'est pas à l'origine de l'espionnage d'Emmanuel Macron». Autre élément qui caractérise l'usage de Pegasus par les services marocains, le nombre important de numéros algériens ciblés par le logiciel espion israélien. 6 000 environ, soit plus de 10% de l'ensemble des opérations menées par les 11 pays concernés par cette enquête internationale. Parmi les cibles algériennes figurent des dirigeants politiques, des militaires, des responsables de partis, des militants et des journalistes. Le journal Le Monde a notamment évoqué les noms du général Ahmed Gaïd Salah, du général Wassini Bouaza et de la fratrie Bouteflika. Ramtane Lamamra, Abdelkader Messahel, Nourredine Bedoui, Noureddine Ayadi, Zoubida Assoul, Abdelaziz Rahabi ainsi que des dizaines d'ambassadeurs algériens figurent sur ce listing. Un niveau de surveillance très élevé qui confirme la volonté de Rabat de tout savoir sur les personnalités civiles et militaires algériennes. Expert en sécurité informatique, Karim Khelouiati tient cependant à relativiser la portée des révélations sur l'Algérie contenues dans cette enquête internationale. «Les responsables militaires connaissent parfaitement l'existence et la capacité de surveillance de Pegasus qui est apparu à la lumière en 2015. Ils étaient certainement au courant de son utilisation par le Maroc. Ils ont certainement introduit des procédures pour éviter d'utiliser les smartphones pour les communications sensibles», assure l'expert. Selon lui, l'enquête en elle-même est «certainement le résultats de fuites opérées grâce à un concurrent de la firme israélienne NSO». T. H.