Par Ahmed Halli Lorsqu'une personne a survécu à nos êtres les plus chers, dont elle faisait partie, étant de la même lignée, on la sentait encore plus proche qu'avant, et plus présente du fait de l'absence de nos disparus. On avait coutume de dire à propos de ces personnes qu'elles étaient le reflet sur terre de ceux ou celles qui étaient dans l'Au-delà, c'était leur «odeur» ou leur parfum sensible et inodore. Na Dhehvia Halli, fille de Moh Saïd, fils de Si Moh Ou Slimane, du clan des Ath-Dahmane, de la tribu des Ath-Vougherdhane, née en 1928, avait le même prénom que ma mère. Elles étaient cousines, et n'avaient pas été rassasiées de l'affection paternelle, pour des raisons qui ne tiennent pas seulement aux us et coutumes en vigueur dans leur village et en Kabylie. Ma mère, fille de Hadjila, avait à peine quitté le berceau lorsqu'on avait perdu la trace de son père, égaré dans les brumes froides du nord de la France et dans les draps de ses filles. Sa cousine et nièce par son père de Hadjila, ma grand-mère maternelle, a eu plus de chance, si j'ose dire, puisque c'est autour de la vingtaine qu'elle a été privée de son frère puis, de son père. Les deux étaient partis, en l'espace de deux ou trois ans, victimes de ces maladies dont on ne se souvient plus, mais qui ont enfanté d'autres maux comme celui qui vient de nous infliger un nouveau deuil. Ces deux destins ont sans doute contribué à resserrer davantage les liens tissés par leur parenté et l'affection que les deux Dhehvia avaient su entretenir entre leurs enfants. Na Dhehvia a accompagné notre enfance, notre adolescence, et nos vies d'adultes, et sa maison était la destination aimantée où mes pas me menaient à chacun de mes voyages au village. Ces liens avec elle et son mari et cousin Da M'hamedh, j'ai toujours eu à cœur de les maintenir et de les renforcer auprès de mes enfants, en particulier auprès de ma fille Dalila. J'espère que je raconterai ou qu'elle racontera, un jour, une anecdote pleine d'humour que Na Dhehvia nous a fait vivre, lors d'une de ses tentatives, pas souvent abouties, de marier ses proches. Quant aux histoires sur le village dont elle nous régalait, ce sont de vrais morceaux d'anthologie, et je regrette beaucoup de n'avoir pas pensé à les enregistrer, trop confiants en l'avenir. Il y a une dizaine de jours, je disais à mon cousin Amar que sa mère et son père étaient les derniers parents encore en vie qui me restaient, je mesure mieux, après Na Dhehvia, le poids de ces mots. A. H.