Dans son nouveau livre La Cantera : il était une fois Bab-el-Oued, paru aux éditions El Okbia, Mahdi Boukhalfa revisite l'histoire de l'un des quartiers les plus emblématiques de la capitale. Dans un microcosme atypique créé au début des années 1830 avec l'arrivée de milliers de migrants essentiellement espagnols, l'auteur raconte sa jeunesse, au détour de ses établissements scolaires, de ses cafés, de ses marchés, de ses cinémas. Un quartier avec ses multiples brassages : Maltais, Espagnols, Italiens... « Il y aura également, dès les années 1850, des Italiens du Sud, dont des pêcheurs napolitains, des bergers maltais, des agriculteurs mahonnais qui vont donner une première âme à Bab-el-Oued.Vers 1881, sur les 181 000 Européens résidents en Algérie, 114 320 étaient des Espagnols », écrit l'auteur. Un quartier à dimension de ville qui renferme une diversité culturelle, religieuse, sociale et ethnique. Un melting-pot qui a traversé bien des histoires et des légendes. Encouragés par l'administration coloniale française, des migrants indigents, originaires notamment de Valence, débarquent à Alger au XIXe siècle, dans l'espoir d'avoir une vie meilleure. À la poursuite de « leur rêve américain », ils s'installent au pied de la carrière de Sidi-Bennour. C'est ainsi qu'est née la Cantera (la carrière) en espagnol. C'est de là qu'étaient acheminées les pierres vers les différents chantiers de la capitale. Des baraquements furent construits à proximité d'un grand bassin où les femmes des tailleurs de pierre espagnols faisaient leur lessive. Celui-ci faisait également office d'abreuvoir pour les chevaux. Ce quartier fut baptisé « La Basetta », en référence à ce bassin. Mahdi Boukhalfa remonte le temps. Il propulse ses lecteurs dans cet univers urbain éclectique avec ses immeubles haussmanniens Art déco et ses barres HLM édifiées dans les années 1950 sous la houlette de l'architecte Fernand Pouillon. Le livre est également chargé de clins d'œil aux personnages légendaires qui ont marqué ce quartier populaire tels que Rass Kabous, Himoud Barhimi, alias Momo, et Bouzid dit le « King » qui paradait dans les rues de Bab-el-Oued à bord de sa 203 noire, la radio cassette diffusant à fond des chansons d'Elvis Presley. Les fantômes des lycées et collèges de Bab-el-Oued se réveillent aussi au fil des pages. Ces terreaux fertiles à l'intelligentsia ont produit de brillants enseignants, des chercheurs émérites, des médecins accomplis et même un prix Nobel en 1957 en la personne de l'écrivain et journaliste Albert Camus qui a fréquenté le lycée Emir-Abdelkader. Sous la plume de Mahdi Boukhalfa, les salles obscures de ce quartier renaissent aussi de leurs cendres : Marignan, Plaza, ou le Lynx. Ce dernier fut racheté par le chanteur Lili Boniche. Tout au long de cet ouvrage, la mémoire des artistes dont les noms sont associés pour toujours à Bab-el-Oued est ressuscitée : Amar Ezzahi, Hadj M'Hamed El Anka, Guy Bedos, Roger Hanin... Par ailleurs, un ouvrage sur Bab-el-Oued manquerait de consistance sans une référence au sport. « La vraie identité d'un gars de Bab-el-Oued devrait être sportive, soit MCA, soit USMA, surtout pas CRB, et va pour JSK, pas autre chose. Le Mouloudia et son alter ego du quartier algérois sont deux faces ambivalentes d'une même population, de vrais ''frères ennemis''. Les supporters de ces deux clubs faisaient partie de la même famille, père et fils...» p127. L'histoire de Bab-el-Oued est revisitée durant plus d'un siècle. Les évènements d'Octobre 1988 et les inondations de 2001 ne sont pas en reste. « Bab-el-Oued ''eddah el oued'' ; cette expression a toujours assombri la belle image d'un quartier où il fait bon vivre depuis sa naissance au pied de la 'Cantera'. Et jamais le terme ''martyr'' n'a été d'une telle intensité pour les habitants de Bab-el-Oued et ses hauteurs boisées, ses excroissances urbaines des cités Perez, Chevalier ou Climat-de-France. » p215. Sociologue et urbaniste de formation, Mahdi Boukhalfa a débuté une carrière de journaliste en 1983 à l'APS. En tant qu'écrivain, il a signé plusieurs livres : Mama Binette, naufragée en Barbarie, La révolution du 22 février, de la contestation à la chute de Bouteflika, La marche d'un peuple et Pavillon Covid-19, sept jours en enfer. Soraya Naili La Cantera : il était une fois Bab-el-Oued. Editions El Okbia. 2021. 231 pages.