J'envie l'histoire des enfants que nous étions. Colonisés, fuyant nos maisons brûlées, nos villages rasés. J'ai envie de raconter nos revanches gagnées grâce à l'école, ce territoire, aujourd'hui, abandonné par nos gouvernants. Pays livré à de faux prophètes qui prêchent l'enfermement, le repli et la haine, la fin du rire et du bonheur. Il y a bien longtemps que l'école algérienne a choisi d'apprendre à ses enfants les affres de l'enfer avant le bonheur que peut procurer le savoir, avant de leur conter les fées, le soleil, les horizons... Enfant d'Iflissen dans la Kabylie maritime, féru de théâtre et de poésie, inconditionnel de Kateb et de Matoub, Salah Oudahar, comme beaucoup de ses concitoyens créateurs, a quitté l'Algérie à contre-cœur, l'âme meurtrie, saturée de cicatrices après avoir, longtemps, enseigné les sciences politiques à l'université de Tizi-Ouzou. À soixante-dix ans, il a, avec une détermination en granit, réussi à soigner quelques-unes de ses blessures originelles. Etabli depuis 1992 à Strasbourg, en Alsace, terre d'immigration s'il en est, il n'a eu de cesse, par le mot et le geste, de créer du lien entre «sa» Méditerranée et sa terre d'accueil. En 1999, il fonde avec d'autres compagnons de sa région le festival multiculturel Strasbourg-Méditerranée dont il est le directeur artistique. Parallèlement, il préside la compagnie de théâtre et de danses «mémoires vives». Toujours ce souci de convoquer l'histoire pour ne rien oublier ni des ancêtres, ni des mots ou des pierres qu'ils nous ont laissés ! En trente années de présence en France, l'hyperactif Salah a créé évènement sur évènement, toujours en lien avec l'Algérie, l'identité amazighe, la mémoire, l'immigration ou encore la citoyenneté. Aurait-il pu produire le considérable travail fourni en Alsace avec l'appui de certaines volontés dans son pays d'origine ? Il est permis d'en douter au regard du spectacle que nous offre «la nouvelle Algérie». Son expérience et celle de quelques-uns de ses semblables à travers les différents continents prouve que naître en Algérie n'est pas une tare en soi. Le gâchis devenu endémique n'est pas le fait de nos gènes ! Il vient bien de ceux qui ont si lamentablement régi notre devenir... Rien ne prédestinait Salah Oudahar, promis à une carrière universitaire en Algérie à devenir «alsacien» avec pour employeur l'exil. Il se raconte un peu : «Je suis né face à la mer. Je suis de Kabylie mais je ne suis pas un montagnard. J'ai cependant, très vite, fait connaissance avec les populations montagnardes, de toute l'Algérie. Je suis surtout, un enfant de la guerre. Enfant, j'ai vu mon village rasé, deux frères aînés abattus, pendant la guerre, la tourmente s'est abattue sur nous. Nous avons connu les viols, les descentes, les expulsions, la peur... À 12 ans, je me suis retrouvé dans un foyer d'enfants de chouhadas à Boukhalfa, près de Tizi-Ouzou. Ce n'est qu'à ce moment là, en 1963 donc, que j'ai commencé à l'école. Grâce au soutien de monsieur Raynerie, un indépendantiste qui m'a fait confiance, j'ai très vite rattrapé mon retard au point de devenir écrivain public. L'école, les livres, l'ambiance très militante du lycée Amirouche de Tizi, puis plus tard, les publications de l'Académie berbère et le théâtre m'ont ouvert un boulevard sur le savoir et m'ont permis de forger ma conscience identitaire.» C'est, sans doute, à ce moment là, il y a bien longtemps qu'ont été fécondés les mots qui donnent corps au dernier ouvrage du poète Les témoins du temps et autres traces-photograhies paru dans la collection Les cahiers de la poésie aux éditions à plus d'un titre. Le militant Salah Oudahar naît véritablement à l'aube du printemps berbère dans l'agitation contestataire qui régnait à la cité universitaire de Ben Aknoun, le théâtre, le FFS clandestin puis plus tard, la Ligue des droits de l'Homme et l'Association des enfants de chouhadas, toutes structures qui ont valu à bien de ses camarades des années de prison. Aux début des années 90, sentant le péril vert fondre sur lui et sur son cher pays, il fait ses valises ; aujourd'hui dit-il , il est content d'être à la tête du festival Strasbourg-Méditerranée. «Ma mer intérieure, dit-il !» Laissons Salah clore cette chronique avec un extrait d'un des poèmes de son dernier recueil : Les occupations. Les dominations. Les conquêtes. Phéniciens, Romains, Vandales, Byzantins Arabes, Turcs, Français. Terre de passage des brassages des métissages. Terre des ancrages et du grand large. Souvent vaincue jamais soumise. Le pays des Hommes libres ! M. O.