Entretien réalisé par Salima Akkouche Dans cet entretien, le président de la Société algérienne d'immunologie clinique, Kamel Djenouhat, qui a abordé plusieurs sujets liés à la pandémie du Covid-19, a indiqué que le taux d'immunité collective protectrice contre la transmission du virus SARS-CoV-2, est passé de 65-70% à 85-90%. Toutefois, avec une moyenne de 500 nouveaux cas et 30 décès par jour, le chef de service de biologie et du centre de transfusion sanguine de l'EPH de Rouiba, Alger, estime que nous ne sommes pas encore sortis de la troisième vague. Néanmoins, selon lui, sans l'arrivée du variant Delta, l'épidémie serait en train de disparaître. Le Soir d'Algérie : L'Algérie vient de déconfiner suite à une décrue des contaminations du Covid-19. Nous venons donc de sortir d'une troisième vague de la pandémie, aurions-nous vécu le même scénario catastrophique, notamment en nombre de décès, si le pays avait lancé la campagne de vaccination un peu plus tôt ? Professeur Kamel Djenouhat : Juste une petite précision si vous le permettez, et comme vous l'aviez bien mentionné, on est certes, dans la phase descendante de la courbe, mais on n'est pas encore sorti de la troisième vague puisqu'on est toujours dans une moyenne de presque 500 nouveaux cas et trente décès par jour. C'est sûr que si le taux de vaccination était élevé, on n'aurait pas assisté au même scénario. D'ailleurs, cette vague est surnommée «la vague des non-vaccinés», et moi, je préfère plutôt dire des «non immunisés» et heureusement que le taux des sujets immunisés par l'infection naturelle durant la deuxième vague était considérable, sinon on aurait assisté à un scénario plus catastrophique. Certains pays, notamment occidentaux, qui ont vacciné plus tôt, depuis le mois de décembre 2020, sont en train de faire face à une 4e vague de la pandémie du variant Delta. L'Algérie doit-elle appréhender le même scénario ? Vous le savez, cette pandémie reste une énigme. Les courbes épidémiologiques sont très disparates entre les pays et parfois, ces courbes n'ont rien en commun. Pourquoi l'Inde a vécu le scénario le plus catastrophique avec le variant Delta ? L'Inde n'a connu qu'une seule vague avant le Delta, et l'arrivée de ce dernier a trouvé la plus grande partie de la population non immunisée, rajoutant à cela ce grand pouvoir de transmission et de virulence de ce variant. Les pays qui sont en train de vivre la quatrième vague, le variant alpha (anglais) étant à l'origine de leur troisième vague, alors que chez nous, la prédominance du variant alpha (mai-juin) était incapable de faire augmenter le nombre de nouveaux cas d'une manière exponentielle, et c'est l'arrivée du variant Delta qui a bouleversé la situation. Donc, on a synchronisé notre courbe épidémiologique qui était en décalage de, généralement, deux mois par rapport à ce qui se passe ailleurs. Avec la rentrée sociale, moi personnellement, je m'attends à un léger rebond qui sera certainement moins intense que la vague précédente. N'oubliez pas un fait important, c'est que le variant Delta est toujours parmi nous et il a comme cible principale les personnes non encore immunisées, pour mettre l'accent encore une fois sur l'importance du respect des mesures barrières et de la vaccination de masse. Quel est le taux vaccinal qui devrait être atteint pour que le pays puisse affronter une éventuelle quatrième vague moins meurtrière que la précédente ? Le variant Delta a changé également le taux d'immunité collective protectrice contre la transmission du virus SARS-CoV-2, le taux est passé de 65-70% à 85-90%. Pour calculer le taux vaccinal, il faut soustraire les enfants de moins de 12 ans et les sujets qui ont fait l'infection ces derniers mois, ainsi que les sujets vaccinés à ce jour (aux environs de sept millions) du nombre de la population. La survenue de nouvelles vagues avec de nouvelles variantes est-il dû, selon vous, à la perte d'efficacité des vaccins existants, et donc risque-t-on d'aller vers une vaccination annuelle comme c'est le cas de la grippe saisonnière ? Il est très difficile, voire impossible de prévoir ou prédire l'évolution de cette pandémie. Moi, personnellement, je ne m'attendais pas du tout à cette ampleur de la troisième vague et à un virus de la famille des coronavirus, qui se transmet aussi rapidement que celui de la varicelle (une personne qui contamine neuf personnes), fait qui n'a jamais été vécu dans l'histoire de cette famille de virus. Je pense qu'on est plus dans le début de la pandémie, sur tous les plans : connaissance du virus, taux d'immunité collective et disponibilité des vaccins, et l'adhésion de la population à la campagne vaccinale. Et si ce n'est l'arrivée du variant Delta, nous serions en train de vivre la fin de la pandémie. Si le virus continue à vivre avec nous, je suppose que c'est beaucoup plus la catégorie vulnérable de la population qui bénéficiera d'une éventuelle vaccination annuelle. Un problème se pose actuellement en Algérie concernant les doses de rappel des vaccins AstraZeneca et le Sputnik V. Pensez-vous que ces personnes peuvent recevoir leur deuxième dose d'un autre vaccin disponible ? Vu qu'il y a actuellement des études sur la vaccination mixte, et qu'en Algérie, ce sujet n'a pas été abordé. En tant que médecin et professeur en immunologie, je préfère plutôt rassurer la population par rapport à ce retard : la plupart des études ont montré que plus la durée entre les deux doses est longue, meilleure sera la réponse immunitaire postvaccinale. Le jour où on s'assure qu'il y aura plus d'approvisionnement de la deuxième dose, on ouvrira le sujet de la vaccination mixte. Les officines viennent d'être autorisées à faire la vaccination, cette démarche va-t-elle nous permettre d'atteindre un taux de couverture vaccinale qui nous permettra d'entamer la rentrée sociale sereinement ? L'objectif principal de la vaccination est de vacciner le maximum de personnes dans un délai le plus court possible. Cela repose principalement sur les trois éléments suivants : l'acquisition de grandes quantités de vaccins, l'adhésion de la population et l'augmentation du nombre de centres de vaccination. L'implication des officines dans cette opération ne peut qu'augmenter les chances de la réussite de l'opération de la vaccination. Certains pays ont validé la vaccination des enfants âgés entre 12 ans et 17 ans, la rentrée scolaire sera bientôt lancée chez nous, et le sujet ne fait visiblement pas encore débat. Pour quelle raison ? Avant l'arrivée du variant Delta, les enfants étaient presque épargnés du Covid-19 et la question de leur vaccination n'a jamais été à l'ordre du jour. Néanmoins, ce variant a encore une fois changé même les données épidémiologiques de cette pandémie qui n'épargne aujourd'hui aucune tranche d'âge, bien que les décès concernent beaucoup plus les adultes que les enfants. Un autre point crucial est que les pays qui ont validé la vaccination des enfants âgés entre 12 et 17 ans ont presque fini la vaccination des adultes, ce qui n'est pas encore le cas chez nous. Les disponibilités graduelles des vaccins imposent le recours à la priorisation des groupes à vacciner, et cette catégorie d'enfants occupe certainement les derniers rangs dans le calendrier vaccinal. Qu'en est-il du nouveau variant, (MU), dont on parle actuellement ? La principale menace n'est pas les nouveaux variants qui apparaîtront mais je dirais que la seule menace, c'est le variant Delta avec son taux de transmissibilité. S. A.