Un double anniversaire. Le mardi 11 septembre 2001, le monde explosait à New York. Le mardi 11 septembre 1973, un coup d'Etat fomenté par le général fasciste Pinochet et la CIA mettait fin au régime socialiste du Président démocratiquement élu Salvador Allende qui, après avoir adressé un ultime message aux Chiliens préférait se donner la mort plutôt que de se rendre aux putschistes. Double évènement dont l'un – la fin d'Allende – a conforté momentanément les dictatures existantes en Amérique latine – tandis que le second a fait entrer le monde dans une ère de bouleversements et d'instabilité dont on paie encore les effets. Ce 11 septembre, des milliards de téléspectateurs avaient assisté en direct à la destruction du World Trade Center («Centre du commerce mondial» en français), qui symbolisait, dix ans après l'effondrement du mur de Berlin et la disparition de l'ex-URSS et des pays socialistes d'Europe, la toute puissance des Etats-Unis. Les pirates voulaient aussi porter un coup irrémédiable à une ville, New York, où le vivre ensemble, en dépit des inégalités sociales et de classes, était une réalité. Cette attaque kamikaze attribuée à al-Qaida a donné lieu, sous prétexte de punir les commanditaires des attentats, à une spirale d'interventions militaires américaines, d'abord en Afghanistan qui abritait Ben Laden, puis en Irak, accusé de complicité et de posséder des «armes de destruction massive». Le 7 octobre, les forces US envahissent l'Afghanistan, mettent fin au régime des talibans et installent un régime à leur solde. Deux ans plus tard, en mars 2003, soutenu par les pays du Golfe qui abritaient – et abritent encore – des bases US, l'Irak est envahi à son tour et Saddam renversé. L'Irak est alors administré par Paul Bremer, un haut fonctionnaire du Département d'Etat, assisté d'opposants irakiens ramenés dans les fourgons blindés US. Bremer et ses dévoués locaux vont s'employer à détruire l'Etat irakien y compris les services publics, plongeant le pays dans une totale désorganisation sociale.(1) Ce qui va rendre difficile la reconstruction d'un pays dont les infrastructures socio-économiques et culturelles ont été détruites par les bombardements US, ramenant ainsi l'Irak «50 ans en arrière», selon le vœu exprimé par James Baker, l'ex-chef de la diplomatie de Bush père. Quant aux «armes de destruction massive», qui ont servi de prétexte, elles n'ont naturellement jamais existé. Les invasions de l'Afghanistan et de l'Irak s'inscrivaient dans le projet de Grand Moyen-Orient (GMO) – conçu par les néoconservateurs américains, visant à remodeler au nom de la démocratie un espace englobant le Maghreb, le Proche-Orient, la Turquie, l'Afghanistan bien sûr, le Pakistan et même les lointaines Indonésie et Malaisie ! Au lieu et en place de la démocratie visée par le projet de GMO, la double invasion de l'Afghanistan et de l'Irak a surtout boosté et légitimé un islamisme radical en déclin et en besoin d'un second souffle. Et tout en restant prudent, il est permis de penser que ce qu'il est advenu par la suite, la naissance de Daech, la guerre en Syrie où l'islamisme radical n'a pas dit son dernier mot et au Yémen, la destruction de la Libye et ses effets sur les pays du Sahel, avec l'apparition d'une floraison de groupes djihadistes sahéliens, sont, à des degrés divers, des conséquences du projet de GMO et de l'invasion de l'Irak. En Algérie, l'attentat du World Trade Center est survenu au plus fort moment du mouvement de contestation populaire connu sous le nom des âarchs, dont le pic aura été l'imposante mobilisation du 14 juin 2001 à Alger à l'appel des coordinations de l'interwilayas.(2 L'inter-wilayas était porteuse de la Plateforme d'El-Kseur qui devait être remise, si je m'en souviens bien, à l'issue de cette marche à la présidence de la République. Cette marche, nous le savons, a alors été brutalement dispersée place du 1er-Mai. Ce jour-là, le pouvoir du Président Bouteflika, qui avait prononcé neuf discours entre le 26 avril et le 22 juin et fait le choix de préserver le système, a raté l'occasion historique d'amorcer une vraie transition politique et de faire entrer l'Algérie dans un siècle de démocratie pluraliste et de progrès, ce qui fait qu'on en paie les frais aujourd'hui. D'autant que ce mouvement populaire, dit âarch, s'inscrivait dans une perspective citoyenne et nationale, et non dans une perspective régionaliste ou autonomiste, et ce, dans le contexte d'un terrorisme islamiste dont le déclin amorcé en 1998, bien avant l'arrivée de Bouteflika au pouvoir, se poursuivait. H. Z. (1) J'étais présent en tant que journaliste pour l'Humanité et le Matin à Baghdad en mars-avril 2003 et y suis retourné en avril-mai 2004. (2) L'inter-wilayas regroupait les coordinations des comités des daïras et communes des wilayas de Tizi-Ouzou, Béjaïa, Bordj Bou-Arreridj, Alger, Boumerdès, Bouira, Sétif.