Paru aux éditions Aframed, ce roman s'intéresse au phénomène migratoire, un sujet qui fait couler beaucoup d'encre. C'est le second roman de Djamila Abdelli-Labiod, après La réglisse de mon enfance paru en 2011. Le personnage principal s'appelle Mourad. Agé de 19 ans, il vit à Constantine. Son échec scolaire a eu raison de ses études. Mourad a déserté les bancs du lycée. Pour gagner quelques sous, il récupère un fatras d'objets en fer et en plastique dans des décharges publiques. Veuve, sa mère roule du couscous pour les voisines. C'est sa seule source de revenus. Elle harcèle son fils pour qu'il trouve un vrai boulot et l'aider à faire face aux dépenses du quotidien. Mourad n'a qu'une idée en tête : mettre les voiles pour un ailleurs où il fait bon vivre. Obnubilé par les images que lui renvoient les écrans télé, il fantasme sur Ibiza. Partir, s'exiler et retrouver cette île des Baléares, avec ses soirées festives, ses jeunes filles aux corps bronzés et sa légère insouciance qui tranche avec sa mal- vie actuelle. «Mourad était comme ces jeunes sans perspectives pour leur avenir, englués dans une oisiveté tellement usante, qu'ils la surnomment dans leur jargon : le ''digoutage''». À 19 ans, Mourad est complétement aigri, désabusé et désorienté. Il s'en ouvre à ses amis et même à ceux qui ont l'espoir chevillé au corps, comme Arezki qui caresse le rêve de faire carrière dans la diplomatie algérienne : «Descends sur terre, ça vaut mieux pour toi ! Tu es vraiment naïf mon pauvre. Un fils de planton, peut-il devenir diplomate ?», lui assène-t-il. Mourad finit par dénicher un petit boulot où il se rend chaque jour à contre cœur. Il est aide-cuisinier ; éplucher des légumes toute la journée dans une gargote tranche complètement avec son rêve de rejoindre son Eldorado : Ibiza. Il veut à tout prix sortir de sa condition de pauvreté. L'Europe, pense-t-il, sera son seul salut. Pour y arriver il fera comme les autres. Il tentera la «harga» sur une embarcation de fortune, quitte à se faire bouffer par les poissons. Lorsque Mourad accompagne sa mère pour se recueillir sur la tombe de Mokhtar, son frère policier assassiné durant la décennie rouge, il observe la déliquescence des lieux et se dit que tout est complétement fichu dans ce pays : «Mourad cibla du regard l'olivier tout près de la tombe de son frère Mokhtar. Sa mère jeta un regard sur les trois énergumènes qui consommaient de l'alcool, à proximité de l'arbre en jacassant à haute voix sans la moindre gêne... Certains d'entre eux ivres morts, déconnectés quelque peu de la réalité, clament en riant, qu'ils sont des morts-vivants.» L'arrivée de Khaled pour quelques jours de vacances d'un cousin qui vit à Montréal (Canada) depuis huit ans est l'occasion pour les deux jeunes hommes de confronter leurs idées. Khaled a pris du recul par rapport à la société algérienne. Il épingle Mourad : «J'ai remarqué que vous avez tous les nerfs à vif. Vous vous excitez pour un rien». Réponse de Mourad : «On se sent exister quand on hurle, figure-toi !». Khaled observe qu'il est en porte à faux avec le pays qu'il a quitté huit ans plus tôt. Son cousin le taquine un peu : «J'ai l'impression que tu ne comprends plus ton peuple ! Tu es Canadien pour de bon on dirait ! Comme dit l'adage populaire 'Parce qu'il a passé une nuit avec les crapauds, se croyant des leurs, il se réveille en croassant'». L'idée de tenter la «harga» ne quitte plus l'esprit de Mourad. Lorsqu'il disparaît subitement pendant 48 heures, tout le monde se lance à sa recherche. Sa mère se fait un sang d'encre. Mourad a-t-il mis son projet à exécution ? La nouvelle de son cadavre repêché au large des côtes ibériques va-t-elle tomber comme un couperet ? Outre l'émigration clandestine, d'autres thématiques sont au cœur du roman de Djamila Abdelli-Labiod : le changement climatique, la société de consommation, la famine, la dégradation de la qualité de vie en Algérie, la détresse de la jeunesse, la modernité, le vivre-ensemble... Passionnée de lecture et d'écriture, Djamila Abdelli-Labiod a déjà publié un premier roman intitulé La réglisse de mon enfance en 2011. Soraya Naïli Survivre pour Ibiza !, Djamila Abdelli-Labiod. Editions Aframed. 2020. 600 DA.