Le procès de l'ancien ministre de la Justice, Tayeb Louh, dans lequel est impliqué Saïd Bouteflika et Ali Haddad, entres autres, s'est ouvert, hier, au tribunal criminel de Dar-el-Beïda à Alger. Niant toutes les accusations à son encontre, l'ancien homme fort du régime de Bouteflika a chargé l'ex-vice ministre de la Défense, Gaïd Salah, et l'ex-ministre de la Justice, Belkacem Zeghmati, affirmant que son affaire est politique. Karim Aimeur - Alger (Le Soir) - Tayeb Louh est poursuivi pour plusieurs chefs d'inculpation : entrave au bon déroulement du travail de la justice, mauvaise utilisation de la fonction et abus de fonction. Dans le box des accusés, à côté de Saïd Bouteflika, frère et conseiller du Président déchu, et de Tayeb Hachemi, ancien inspecteur du ministère de la Justice, Louh offre l'image d'un homme perdu dans ses pensées, hésitant à regarder dans la direction de l'assistance et en veillant à ce que son masque de protection soit maintenu au-dessous de son nez. L'accusé, au regard égaré, paraît triste, comme un homme qui ne comprend pas ce qui lui est arrivé. Les trois accusés en détention, dans le box, sont entourés de plusieurs éléments de la Gendarmerie nationale, de la police et de l'administration pénitentiaire. Ancien homme fort du régime, Saïd Bouteflika, bavette sous le cou, est presque méconnaissable. C'est à peine s'il essaye d'esquisser des sourires avant de les réprimer sous le poids des charges qui pèsent sur lui. D'un œil affligé, il jette de temps à autre un regard sur la salle et échange quelques mots avec ses co-accusés. Accusé dans la même affaire, Ali Haddad, l'ancien président du FCE, suivait le procès de la prison de Tazoult à Batna, où il est incarcéré, par visio-conférence, au moment où Mahieddine Tahkout, convoqué en tant que témoin, le suivait à partir de la prison de Babar à Khenchela où il est en détention. Après une longue bataille de procédure, le président de la séance a refusé de reporter le procès comme demandé par la défense. C'est à midi moins quelques minutes que le procès a commencé. J'accuse... Après l'audition de l'ancien inspecteur du ministère de la Justice, Tayeb Hachemi, qui a nié toutes les charges à son encontre, le juge appelle l'ancien ministre de la Justice, Tayeb Louh. Ce dernier s'est défoncé sur l'ancien chef d'état-major de l'ANP et vice-ministre de la Défense nationale, Ahmed Gaïd Salah, et l'ancien ministre de la Justice, Belkacem Zeghmati, accusés d'être derrière ses déboires judiciaires. « Cette affaire, une première dans l'histoire de la justice algérienne, est un précédent grave pour les magistrats, les citoyens, la défense et pour l'Algérie. Ceux qui l'ont actionnée en assumeront la responsabilité devant Dieu, l'Algérie, les Algériens et devant les accusés incarcérés arbitrairement », a lancé Tayeb Louh alors que pesait un silence religieux sur la salle. Dans son élan, il poursuit : « C'est terrible. Les conditions du déclenchement de l'affaire et mon emprisonnement étaient pour des raisons strictement politiques et nul ne peut les nier, ni à l'intérieur ni à l'extérieur du pays .» L'accusé explique que la plainte portée contre lui et sa détention ont eu lieu au moment où la présidence de la République était vacante et n'était pas dirigée par un président élu mais par un chef de l'Etat (Abdelkader Bensalah, ndlr). « L'affaire s'est déroulée sous un ministre de la Justice désigné de manière illégale et contraire à la constitution (Belkacem Zeghmati, ndlr) sur instruction de l'ancien vice-ministre de la Défense (Ahmed Gaïd Salah) pour des fins politiques », a-t-il ajouté. En s'adressant au président de la séance, Tayeb Louh a indiqué que « l'affaire est très dangereuse et vous devez assumer votre responsabilité », soulignant qu'il a été arrêté alors que « tous, y compris des figures du Hirak », demandaient à reporter les dossiers des hommes du régime de Bouteflika jusqu'à l'élection d'un nouveau président. Aussi, il a soutenu que les faits qui lui sont reprochés n'ont rien de criminel, en évoquant « sa défense de l'indépendance de la justice » depuis qu'il était syndicaliste jusqu'à devenir ministre. « Au lieu d'être honoré, je suis devant un tribunal criminel que j'ai moi-même inauguré ! C'est la vérité amère de cette affaire », a-t-il déploré. Cela avant d'en venir aux faits. À peine l'accusé commence à se défendre, une voix fuse du milieu de la salle, une dame criant de toutes ses forces (certains expliqueront plus tard qu'il s'agit d'une magistrate victime de Louh). Les policiers sont intervenus pour l'évacuer mais face à son refus de se calmer et de quitter la salle, le magistrat a levé la séance. En reprenant, Tayeb Louh a nié toutes les accusations et a défendu son bilan à la tête du ministère, énumérant les infrastructures réalisées et la modernisation du secteur. Le juge le ramène aux faits et l'interroge sur l'affaire d'une personne âgée libérée après avoir été condamnée à six mois de prison ferme par le tribunal de Rouiba dans une affaire familiale, liée à la garde d'une fillette suite au divorce de sa fille. Louh a révélé que c'est l'ancien Premier ministre Noureddine Bedoui qui l'avait appelé à propos de cette personne incarcérée, selon lui, arbitrairement. Et à lui de demander à trouver un moyen « légal », a-t-il insisté, pour sa remise en liberté. Interrogé sur l'annulation des élections sénatoriales à Tlemcen, l'accusé a affirmé que l'opération de dépouillement n'a pas été menée à son terme à cause de l'anarchie qui avait régné dans la salle, ajoutant qu'une arme a été utilisée lors de cet incident. Soulignant qu'il n'a exercé aucune pression sur quiconque dans cette affaire, il a indiqué que c'est le Conseil constitutionnel qui avait annulé l'élection avant d'en organiser une autre. Le juge l'interroge ensuite sur l'affaire de l'annulation des mandats d'arrêt internationaux émis à l'encontre de l'ancien ministre de l'Energie, Chakib Khelil, et des membres de sa famille. Il a répondu que les mandats d'arrêt souffraient d'un vice de procédure, précisant que Belkacem Zeghmati, ancien procureur général d'Alger qui avait lancé la procédure, « m'a dit qu'il avait commis une faute ». « Le mandat d'arrêt a été annulé à l'époque du même Zeghmati », a-t-il rappelé. L'accusé a indiqué que Saïd Bouteflika n'a rien à voir dans cette affaire. Selon lui, c'est l'ancien Président qui lui avait demandé d'agir dans ce dossier, « conformément à la loi ». « Je vous jure que Saïd n'a rien à voir dans ce dossier », a-t-il lancé. Dans le box des accusés, Saïd Bouteflika hoche la tête, pressé, semble-t-il, de passer à la barre. K. A.