Le cycle cinématographique dédié au cinéaste danois Thomas Winterberg s'est clôturé jeudi dernier à l'Institut français d'Alger. Quatre films étaient à l'affiche de ce mini-festival, dont Drunk, une œuvre aussi surprenante que troublante. L'Institut français d'Alger a organisé, en collaboration avec l'ambassade du Danemark, un cycle cinématographique dédié à Thomas Winterberg, l'un des cinéastes contemporains danois les plus appréciés en ce moment, tant par la critique que par le public. Co-fondateur avec Lars Von Trier (un autre monstre du cinéma danois et international) du mouvement Dogma, Thomas Winterberg se distingue par un style épuré et une approche psychologique originale des thèmes qu'il aborde. Multi-primé depuis le début de sa carrière, ce réalisateur né en 1969 n'a jamais cédé aux facilités et au confort qu'accorde généralement le plébiscite international ; il poursuit au contraire une quête incessante de renouvellement artistique. Oscar du meilleur film en langue étrangère, sélectionné à Cannes et primé aux Césars et aux Bafta, Drunk est le dernier long-métrage du réalisateur, projeté dernièrement à l'Institut français d'Alger. En tête d'affiche, le non moins brillant Mads Mikkelsen, acteur fétiche de Winterberg, qui y campe le rôle de Martin, un prof d'histoire blasé, marié et père de deux enfants dans un foyer terne, et qui a pour seuls amis ses trois collègues. Lors d'une soirée d'anniversaire, où Martin est le seul à boire de l'eau, l'un de ses copains évoque la théorie d'un psychiatre norvégien affirmant que l'être humain vit avec un déficit d'alcool de 0,5 gramme et qu'il lui faut une consommation quotidienne équivalente pour mieux vivre. Les quatre amis décident alors de mettre en pratique ce conseil dans le cadre d'une expérience pseudo-scientifique qui ne manquera pas de chambouler leurs vies, d'abord vers le meilleur. En effet, le Martin effacé et désabusé, ennuyant ses élèves et menant une vie morose, se transformera en un personnage sûr de lui, amusant et passionnant grâce à sa dose d'alcool journalière qui dépassera crescendo le taux initial ! A l'instar de ses trois «alcolytes», Martin retrouvera donc peu à peu sa joie de vivre, son énergie et même sa vivacité d'esprit, allant même jusqu'à reconquérir sa femme, ses enfants et ses élèves. Mais, cette renaissance éthylique ne sera pas sans dégâts à mesure que les excès s'accumulent : le drame guette les protagonistes et la théorie du bonheur ne tient pas longtemps. C'est à ce moment-là que l'on peut craindre un virage moralisateur dans un film transgressif et politiquement incorrect qui s'était allègrement débarrassé de tous les poncifs du genre. En effet, Winterberg s'y risque dans une performance à la fois psychologique et cinématographie tant il réussit à mêler le tragique au comique, la réalité à la sublimation, la grâce et la déchéance dans un maelstrom enivrant qui emporte le spectateur et le plonge dans une espèce d'ambiguïté émotionnelle loin des sentiers battus. Mads Mikkelsen est au sommet de son art, tanguant avec maestria entre sobriété et démesure, et faisant de chaque état d'âme de son personnage un moment exquis de cinéma. Imprévisible jusqu'au bout, Drunk déjouera nos craintes quant à une possible «dérive» moralisatrice puisqu'il se clôture sur l'inoubliable scène de Martin, festoyant et se lançant dans une chorégraphie de jazz dont la grâce et l'élégance offrent au film une apothéose à la mesure de son scénario. Pour rappel, le cycle dédié à Winterberg par l'IFA incluait également les films La communauté (2016), La chasse (2016) et Festen (1998). Sarah H.