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Al-Nawawi, ressuscité au Mouloud !
Publié dans Le Soir d'Algérie le 01 - 11 - 2021

Au bon vieux temps du FLN, devenu parti unique, une fois débarrassé de la deuxième partie du sigle, après le tiret, à savoir ALN, et faute de liberté, les journalistes nomadisaient. Ainsi, on pouvait nomadiser de rubrique en rubrique à l'intérieur d'une même rédaction, et certains d'entre nous se croyaient plus libres à l'international, où la critique était beaucoup plus aisée. Il arrivait parfois que le changement s'impose à cause d'une mésentente avec un chef de rubrique, un rédacteur en chef, voire un directeur général, ce qui était le plus souvent le cas. Ainsi, la nomination d'un nouveau DG, moment de liesse ou de détresse selon le cas, était toujours précédée de supputations et de pronostics plus ou moins crédibles sur le futur patron. Comme on était majoritairement de gauche, c'est ce que l'on croyait du moins, et si le nouveau promis ne sortait pas de nos rangs, les plus informés ou les plus malins sortaient leurs fiches. On n'avait pas l'embarras du choix, puisqu'il s'agissait de savoir si le prochain DG était un progressiste ou un réactionnaire, bien qu'il nous soit arrivé souvent de nous tromper d'étiquette. On s'en est rendu compte parfois trop tard, mais le jeu était à ce point entré dans nos mœurs que les anciens gardent en mémoire ce cri du cœur d'un confrère apprenant le nom du nouveau : «Youpi,(1) c'est notre ami !»
Il est arrivé parfois que l'ami espéré ne réponde pas à tous les critères de l'amitié, mais bon an mal an, simple clause de style les mauvaises années étant les plus longues, on repartait quand même. Comme je le disais, certains n'aimaient pas le nouveau DG, la réciproque étant vraie, quoique plus rare il faut le dire, mais on avait le choix de demander sa mutation au ministère de l'Information. C'est ce ministère qui gérait les mouvements de journalistes entre les médias sous sa tutelle et de façon assez souple contrairement aux autorisations de sortie du territoire plus ardues.(2) Pour changer d'air à l'intérieur de la même bulle, ce qui est un exploit en soi, on avait donc le choix entre la RTA, El Moudjahid (Al-Chaâb pour les arabophones), et l'agence APS.(3) Ces médias publics ou répondant à cette appellation délimitaient notre horizon professionnel si on s'obstinait à persévérer dans le métier, c'était en quelque sorte notre «Sainte Trinité». Je vous parle, bien entendu, des journalistes qui ont persisté et survécu et ceux qui en sont morts par désespoir ou par «l'épée» (FIS=SIF) islamiste ou bien en sont sortis. Ceux-là, pour leur plus grand bonheur et un peu le nôtre. Beaucoup de progressistes se sont révélés être, plus tard, des opportunistes ou des «Arsène Lupin» qui n'avaient rien de gentlemen.(4)
Parmi ces deux catégories, les opportunistes déguisés en progressistes ou étiquetés pareils, et les squatters, entrés par effraction dans la presse, il y en avait de pieux et de pas pieux du tout. Ne pouvant lire dans l'avenir et croyant en la pérennité des idéaux, auxquels certains préféraient le terme plus vague de principes, nous trinquions en toute confiance avec les seconds. Quant aux premiers, assez rares il faut le dire avant la grande vague, ils ne nous obligeaient pas à prier avec eux, ni à faire semblant de jeûner, et je pense qu'ils étaient de vrais démocrates. Avant l'éradication complète et sans espoir de retour, de l'athéisme, puis de la laïcité qui l'a suivi sur l'échafaud, les plus hardis ou les provocateurs se disaient ouvertement athées. Certains d'entre eux étaient des militants communistes, du moins tels qu'ils figuraient dans les BRQ dont les rédacteurs infiltrés ou sous-chefs s'ingéniaient à trouver des formules savantes. Selon les rares et éphémères sources dont je disposais dans ce domaine, la formule préférée et la plus usitée était «marxiste, cryptoberbériste», ça en jetait et ça graduait la dangerosité. De tout ce monde, étiqueté et plus ou moins surveillé quand il ne faisait pas office (dans office il y a officier et officiel) de surveillant, certains sont partis à la retraite ou dans l'Au-delà.
Cette chronique est un hommage à ceux qui sont partis avec leurs illusions ou après avoir écarquillé les yeux, et aux autres survivants qui continuent à y croire et qui espèrent, malgré tout. L'espoir, je ne le vois pas du tout venir de l'Arabie Saoudite, ni d'Al-Azhar, la plus grande conquête du wahhabisme de ces dernières années et encore moins de cette duperie israélo-arabe qui se profile. La lueur, à mes yeux, est venue ce samedi 23 octobre de la Grande Mosquée de Paris, lors de la célébration du Mouloud, avec la résurrection d'un certain Abou Zakaria Al-Nawawi. L'imam Al-Nawawi (1233-1278), couramment appelé ainsi par référence à sa ville natale de Nawa (Syrie), est l'auteur des 40 hadiths, un condensé des dits du Prophète de l'Islam. J'ai parlé de résurrection parce que la mosquée a organisé à cette occasion un concours pour les enfants ayant appris les 40 hadiths, jadis enseignés aux élèves du primaire. Avec l'avènement du nouvel Islam et l'irruption des milliers de hadiths, en majorité apocryphes, le livret écrasé par les volumineux ouvrages consacrés à Mouslim et Boukhari a survécu. C'est sans doute une piste à explorer pour ceux qui œuvrent sincèrement à l'avènement d'un Islam de France, ainsi que pour les musulmans en général et les Algériens en particulier.
A. H.
1) L'expression arabe est beaucoup plus triviale, aussi ai-je pris la liberté de la traduire par «Youpi» qui pourraient s'en rapprocher le plus.
2) J'ai subi personnellement cette contrainte, puisque ma demande a été rejetée sous prétexte que «j'étais sorti» l'année précédente.
3) Il y a eu des refus comme la mauvaise surprise que j'ai eue en arrivant un matin à l'APS pour y prendre mes nouvelles fonctions, et d'apprendre que je devais rester à El Moudjahid. Je ne sais toujours pas qui a téléphoné «en haut» pour bloquer ma mutation.
4) L'expression est de mon défunt confrère du quotidien historique La République, et enseignant à l'Ecole de journalisme, Djamel Abdelmalek.


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