Un titre intrigant pour le premier roman d'Ahmed Brahimi : Meurs, tu vivras plus heureux, paru aux éditions Casbah. Deux âmes tourmentées, que rien ne prédestinait à se rencontrer dans la vraie vie, croisent leurs destins. Dans leur détresse personnelle, chacune d'elles sera la béquille de l'autre et chemineront ensemble jusqu'à entrevoir une lueur d'espoir au bout du tunnel. Nabil et Salah appartiennent à deux mondes différents. Le premier a fait de brillantes études, une situation sociale enviable et possède un bel appartement. Le second, un quinquagénaire illettré, vit de la pêche et a commis plusieurs larcins. Bras tatoué, œil de pirate et gouaille méditerranéenne, Salah adore la musique et la fantasia. Le roman déroule sa trame dans la ville d'Oran. Un soir, alors qu'il taquine tranquillement le poisson, Salah assiste à une scène surréaliste. Une voiture se lance à toute berzingue du haut d'une falaise et tombe dans les vagues. Salah ne réfléchit pas longtemps. Il plonge dans l'eau glacée et remonte in extremis le corps du conducteur. Nabil, c'est son nom, a raté son suicide. Le jeune homme voulait en finir avec la vie : «Le choc contre l'eau et l'airbag qui me boxa la figure me firent presque perdre connaissance. J'avais intentionnellement laissé les vitres ouvertes. L'eau froide m'assaillit de toutes parts... Avec le peu de conscience qui me restait, je priai Dieu pour que ça finisse vite.» De ses bras musclés de pêcheur, Salah agrippe le corps de Nabil et le remonte sur la falaise. Le jeune homme a bu la tasse mais ses jours ne sont plus en danger. Pour détendre l'atmosphère, son sauveur lâche : «Je suis l'ange de la mort, venu te dire que l'enfer est complet pour le moment.» La curiosité de Salah, sorte de «Zorba» algérien, est titillée. «Pourquoi, diable, un homme si jeune et si beau veut-il abréger sa vie sur terre ?» se demande-t-il. De peur que Nabil refasse une seconde tentative de suicide, il ne le quitte plus d'une semelle et lui offre son amitié spontanément : «Si tu n'as pas d'amis à qui tu peux faire confiance, alors considère-moi désormais comme ton ami. Tu peux compter sur Salah les yeux fermés», le rassure-t-il. Sur cette plage oranaise, le pêcheur fait griller du poisson. Pour pousser Nabil à lui ouvrir son cœur, il commence à lui raconter sa propre vie. Lui aussi a un passé cabossé. Salah est originaire d'une petite bourgade de Mascara. Fils d'un modeste cultivateur, il était bagarreur et peu porté sur l'école. Enfant, il a connu la faim et la soif. Il frappait ses petits camarades et leur arrachait leur morceau de galette des mains au grand dam de sa maman : «Yasmina, ma mère, pâlissait de honte lorsque les mamans des victimes venaient se plaindre, leurs bouches écumantes et leurs yeux étincelants de rage. Elle ne soufflait mot à mon père. Elle m'avait tellement attendu ! Elle ne m'avait eu qu'après deux filles.» Renvoyé de l'école, Salah cherche sa voie. Sa mère décède quelque temps plus tard et Tahar, son père, se remarie. À 20 ans, Salah étouffe dans son petit village. Il n'a pas envie de passer le restant de ses jours entre les poules, les vaches et les chèvres. Il décide alors de se rendre à Oran, contre l'avis de son père. «Sa malédiction planait encore sur ma tête lorsque je m'installais sur la charrette de notre voisin El Arbi qui m'emmena vers la gare routière.» Salah est ébloui par la ville d'El Bahia. En ce début des années 1980, la ville respire la joie de vivre et l'insouciance. Il n'a qu'une seule envie, s'y établir au plus vite. Tayeb, un ami de la famille, lui promet un boulot mais l'entraîne sur des pistes savonneuses... À son tour, Nabil tombe le masque. Ce jeune trentenaire, cadre supérieur, venait d'être promu directeur. Ce poste, il l'avait tant attendu. Pourtant, le jour même de sa promotion, il a remis sa démission. À la maison, c'est la consternation. En apprenant la nouvelle, sa femme le traita de fou et demanda le divorce. Mais cette séparation cache une ancienne blessure : Kenza, sa première épouse. Elle avait choisi de partir car elle ne pouvait lui donner un enfant. Salah comprend que seul ce premier amour pourra réconcilier Nabil avec la vie. Il pousse son nouvel ami à reconquérir son ex-femme et propose même de l'accompagner à Tlemcen où elle réside. Durant le trajet, les lecteurs découvrent l'autre face cachée de Salah. Dans les années 1990, il a fait partie d'une troupe de djihadistes. Il a connu la prison et la descente aux enfers. Une parenthèse qui a également coûté la vie à sa chère et tendre épouse, Atika. Cette rencontre miraculeuse entre ces deux êtres aux âmes torturées apportera à chacun apaisement et nouveau départ dans la vie. Ahmed Brahimi est professeur d'anglais. Il vit et travaille à Oran, sa ville natale. Meurs, tu vivras plus heureux est son premier roman. Soraya Naili Meurs, tu vivras plus heureux. Ahmed Brahimi. Casbah éditions. 2021. 158 p. 700 da.