PAPIER. Conséquence oblique de l'épidémie de la Covid : la raréfaction du papier. Pas seulement du PQ. Du papier tout court, ce qui est préjudiciable entre autres à l'édition. Si déjà les pays développés en sont affectés, quid des bleds plus fragiles économiquement, comme le nôtre ? La rentrée littéraire est malingre en partie à cause de ce défaut de papier. Le chouia qui arrive en terre algérienne ne parvient pas toujours jusque chez les petits éditeurs indépendants, dont certains pourtant redonnent ses... lettres de noblesse au livre. Même en France, les petits éditeurs sont plus pénalisés que la moyenne. C'est pourtant chez l'un de ces petits éditeurs sans pignon sur rue qu'a été publié le roman qui a obtenu le Prix Goncourt 2021. Patatras ! Le prix convoité n'a pas été attribué à un auteur de ces grosses écuries parisiennes formatées pour rafler les prix littéraires et le pognon qui va avec. Enfin, c'est heureux que le papier soit tiré de l'alfa car s'il était extrait de la pomme de terre, il coûterait bien plus cher, du moins chez nous où, devant l'absurde, on refile gaiement la patate chaude ! GONCOURT. En contradiction avec les pronostics extralucides, le Prix Goncourt a donc été remis non pas au poulain de l'une de ces grosses cylindrées qui déboulent en conquérantes à chaque rentrée littéraire, mais à un auteur sénégalais de 31 ans, Mohamed Mbougar Sarr, pour son roman, La plus secrète mémoire des hommes, paru chez Philippe Rey/ Jimsaan, cette dernière étant une boîte d'édition... sénégalaise. De quoi donner le tournis à un Zemmour ! Même si, quelques jours plus tôt, les critiques ont flairé la pépite qui allait toucher le jackpot, il faut dire tout de même que personne ne s'attendait à ce que l'un des plus prestigieux prix littéraire français soit attribué à un auteur, non seulement sénégalais, mais aussi inconnu et qui, pour finir, porte le prénom rédhibitoire par les temps qui courent de Mohamed. Cette distinction arrive à un moment où l'envol dans les sondages du polémiste raciste Eric Zemmour aidant, la portée raciale et identitaire a le vent en poupe dans les milieux de la droite extrême déteignant sur le débat public en France. Un Mohamed loué pour ses qualités littéraires en français, prophète en quelque sorte de la langue du colonisateur, ça ne peut que sonner un Zemmour partisan de la pureté hexagonale qui, faut-il le rappeler, aime tant et défend si bien la langue française qu'il a commencé son dernier ouvrage La France n'a pas dit son dernier mot, par une faute d'orthographe ! Pour le Prix Goncourt et sa physionomie guindée, il n'y a pas que l'auteur qui est atypique. Ce prix demeure pour beaucoup d'écrivains originaires des anciennes colonies françaises la porte d'entrée absolue dans l'univers littéraire germanopratin, signe d'une reconnaissance, voire d'une intégration. Le roman aussi est atypique, dans la mesure où il exprime la conscience de cette aliénation postcoloniale s'appuyant sur une domination culturelle et technologique. Il pointe les états d'âme des écrivains africains vivant à Paris qui nourrissent avec plus ou moins d'intensité le rêve de « l'adoubement du milieu littéraire français (qu'il est toujours bon, dans sa posture, de railler et de conchier). C'est notre honte mais c'est aussi notre gloire fantasmée ; notre servitude et l'illusion empoisonnée de notre élévation symbolique ». TUBERCULE. On en était à divaguer sur la claque reçue en particulier par Zemmour devant ce Prix Goncourt. Mais voilà que, consultant Facebook où les uns et les autres se sont épanchés sur le sujet, je tombe sur cette mise au point de l'ami, écrivain et journaliste de Tazmalt, Rachid Oulbsir, qui nous fait redescendre sur terre, en s'étonnant qu'on parle tant d'un Prix Goncourt alors qu'en Algérie le prix de la patate manifeste l'ambition de rivaliser avec le prix du caviar. C'est connu, l'herbe est toujours plus verte ailleurs, et les salauds plus perfides ailleurs. Alors, au lieu de nous intéresser à cette gouvernance qui a réussi l'exploit inédit de permettre que le prix de la patate atteigne ces sommets, on s'égare dans le commentaire d'un auteur sénégalais donnant une claque à un Zemmour en décrochant le prix littéraire institué par Edmond de Goncourt, un écrivain antisémite et réactionnaire, qui se réjouissait du massacre des communards de 1871. N'y a-t-il pas mieux comme diversion ? Oh si ! YACINE ENCORE. L'auteur de Nedjma n'a jamais eu le Prix Goncourt, ni aucun écrivain algérien, bien que certains l'eussent amplement mérité. On dit — chut, c'est entre nous — qu'il est dans l'entourage du jury Goncourt des gens qui ont... juré qu'eux, là, jamais un Algérien n'empochera le prix. Mais va savoir la vérité ! Kateb Yacine, qui était à la fois un artiste et une conscience politique, n'y aspira jamais, connaissant justement les arrière-cours idéologiques de ce genre de distinction. Il avait d'autres préoccupations. Mais Kateb Yacine n'avait rien contre la langue française qui était, pour reprendre sa célèbre formule, «un butin de guerre». Tandis que le prix de la pomme de terre caracole en haut de l'échelle, et tous les produits de première nécessité avec, nos gouvernants ne trouvent rien de mieux à faire que de régler leurs problèmes avec Emmanuel Macron en remplaçant au pied levé la langue française, utilisée dans la conduite de secteurs parfois névralgiques du pays, par l'anglais. Comme si cette substitution pénalisait en quoi que ce soit la France de Macron. A. M. P. S. : mon cousin par alliance et ami Larbi Oucherif nous a quittés. Journaliste, il avait le cœur sur la main. Il a été un militant de l'UNEA et du PAGS. Paix à ton âme, Larbi.