Dr Mohamed Lamine Debaghine. Un intellectuel chez les plébéiens, c'est le titre du dernier ouvrage, assez copieux (400 pages), que l'on doit à Rachid Khettab qui n'en est pas à son premier, loin s'en faut. En effet, l'auteur marque son entrée dans le monde de l'édition avec Frères et compagnons, un dictionnaire biographique des Algériens d'origine européenne et juive pendant la guerre de Libération nationale 1954-1962. Suivra Les amis et les frères, un autre dictionnaire des soutiens internationaux à la lutte de Libération nationale, paru en 2017. Avec ce troisième titre, Rachid Khettab confirme sa volonté qui confine à l'engagement de défricher des sentiers. S'intéresser à un personnage, de forte personnalité certes, mais plutôt peu enclin à s'exprimer, cultivant, de par sa nature, la discrétion, a de quoi surprendre d'autant que les documents sont rarissimes, comme l'explique l'auteur. Et c'est donc dans une véritable galère qu'il va s'embarquer, mais aucune difficulté ne le décourage. Le résultat est probant, puisqu'il nous livre un ouvrage de haute tenue, riche en références historiques quant aux moments très particuliers de la vie du mouvement national et, bien sûr, l'action du personnage, comme sujet d'étude. Mais déjà, afin de ne pas se fourvoyer dans une description du profil psychologique du personnage, l'auteur ne ménage pas ses efforts afin de rendre une image claire et sans ambiguïté du Dr Mohamed Lamine Debaghine. On apprend qu'il est issu d'une famille algéroise connue de la Casbah d'Alger. Ce médecin par accident, comme il le dit lui-même, sera maître d'internat où son aura est reconnue parmi les Benkhedda, M'Hamed Yazid, Saâd Dahlab, Abane Ramdane et Ali Boumendjel. Il pouvait se prévaloir d'une double culture grâce à sa formation dans une école coranique et à l'école publique. À 22 ans, il adhère au PPA (Parti du peuple algérien) en 1939. Il vivra les grands moments de répression coloniale dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale. Le parti nationaliste est dissous, ses dirigeants emprisonnés et pourchassés. L'occasion pour Lamine Debaghine de faire ses premières armes, malgré les interdits imposés par l'infâme «code de l'indigénat». Il jouera un rôle de premier plan dans la réorganisation du PPA, nous dit l'auteur qui précise qu'il était très actif dans le mouvement estudiantin et qu'il était vice-président de l'AEMAN (association des étudiants musulmans de l'Afrique du Nord). Ce natif de Hussein-Dey, dans la banlieue algéroise, grandira à Cherchell. «Sa conscience politique est née de la rencontre de la revendication de l'indépendance chère aux vieux militants de l'ENA issus de l'émigration, et la nouvelle couche urbaine moderniste dont Lamine Debaghine est issu.» Pour Rachid Khettab, celui-ci était le «seul médecin à choisir le parti des ''gueux'' alors que ses confrères ont opté pour les partis assimilationnistes et les élus». À bien suivre les développements de l'auteur, le jeune Debaghine jouera un «rôle de premier plan dans la réorganisation du PPA». Ce «doctrinaire et activiste du PPA-MTLD» pèsera de son poids, nous dit l'auteur, dans le lancement et la conduite du mouvement révolutionnaire. On le trouve ainsi à l'avant-garde du PPA clandestin dans la période 1939-1944 aux côtés, notamment, de Aït Ahmed (encore lycéen), Ould Hamouda, Mohamed Belouizdad, Ali Laïmèche). L'action nationaliste le propulsera en tant que théoricien du parti. Toutefois, sa forte personnalité se heurtera à Messali Hadj à propos de la participation aux élections parce qu'il prônait plutôt «la préparation immédiate à l'insurrection armée et l'activité clandestine». D'autre part, ses initiatives hors contrôle du Zaïm lui seront fatales puisqu'il sera exclu du comité directeur duquel il démissionnera. S'ensuivra une avalanche d'accusations justifiant sa marginalisation-exclusion. L'Histoire lui donnera raison. Tout aussi actif au sein du GPRA, il entrera en conflit, en plein Conseil du gouvernement, avec Ferhat Abbas à propos de la mort d'Allalou Amira. C'est la rupture entre les deux hommes. Il décide de quitter le Gouvernement provisoire en mars 1959. Du reste, il occupera plusieurs fonctions de direction (1954-1962) jusqu'à celle de ministre des affaires étrangères du GPRA. Son parcours ne sera pas de tout repos vu ses positions tranchées qui lui vaudront d'être évincé du CNRA et du GPRA. Outre les nombreux griefs retenus contre lui par le MTLD, Lamine Debaghine ne supportait pas la qualité des débats au sein du bureau politique et Aït Ahmed également en était offusqué, selon un rapport de Benyoucef Benkhedda. Mohamed Belouizdad réagit, lui, en disant qu'«il ne fallait pas se décourager des comportements de ces militants, un peu voyous mais débrouillards (...)». Discret à son habitude, il sera un observateur privilégié de la montée en puissance de l'Etat-Major général (EMG) au détriment du GPRA. Mohamed Lamine Debaghine aura vécu l'aboutissement de son engagement pour l'indépendance du pays pour laquelle il a consacré sa vie qu'il finira à El Eulma dans sa fonction initiale de médecin. L'auteur Rachid Khettab nous apprend que ce militant de la première heure a eu à batailler pour faire valoir son statut d'ancien moudjahid ! Il décédera le 23 janvier 2003 à l'hôpital militaire de Aïn Naâdja. Il est enterré au cimetière de Sidi-M'hamed (Alger) plutôt que dans le carré des martyrs d'El Alia, selon ses dernières volontés. Nous n'omettrons pas de souligner l'excellent travail de recherche, très documenté, ainsi que les documents inédits qu'il s'est difficilement procurés en Algérie et en France. Cet ouvrage se pose comme une référence pour les chercheurs, les historiens, les professeurs et les étudiants. Brahim Taouchichet Rachid Khettab - Docteur Mohamed Lamine Debaghine. Un intellectuel chez les plébéiens. 400 pages - 1500 DA.