C'est connu, l'économie du football professionnel tourne autour de la valorisation de trois actifs immatériels : le « capital humain », à savoir l'effectif et le talent des joueurs du club ; le capital « marque » du club, c'est-à-dire sa notoriété et son image ; le capital « clients » des spectateurs et des téléspectateurs, en l'occurrence la valeur actualisée des revenus à venir provenant des supporters et des abonnés, des diffuseurs et des sponsors. Au cœur de cette économie du football professionnel, la question du financement est essentielle. En Algérie, elle conditionne au plus haut point son développement qui passe par l'assainissement, la transparence, la traçabilité et l'imposition de la vertu budgétaire. Le vrai problème, le problème numéro un du football algérien, c'est donc ses modes de financement et l'état actuel des finances des clubs professionnels. La question n'a jamais été réellement prise à bras-le-corps par les pouvoirs publics depuis l'abandon de la réforme sportive du Président Houari Boumediène de 1977, qui a prévu de financer les clubs dits sportifs de performance sur les deniers publics. Depuis l'entrée en vigueur de cette réforme, le football national, amateur comme professionnel, a été livré au libéralisme sauvage, davantage à l'argent mafieux, par définition intraçable. Y compris et surtout le fric nébuleux des réseaux de l'islamisme affairiste en connexion avec l'argent détourné durant les années du bouteflikisme prédateur et déprédateur. Les cas de clubs comme le NAHD et le MCA avant son retour dans le giron de Sonatrach sont édifiants, mais ils ne constituent pas l'exception. Le contrôle des circuits de financement, ainsi que les notions de transparence, de rigueur, de vertu budgétaire et de civisme fiscal sont des valeurs généralement étrangères au foot national. De ce fait, l'argent de l'économie parallèle et de la drogue s'est engouffré dans les circuits sans que les pouvoirs publics et les instances du football habilitées s'en mêlent de près comme les y obligent les textes en vigueur. Pire, 90% des clubs, y compris les trois clubs phares et emblématiques de la capitale, que sont le MCA, l'USMA et le CRB, subissent le poids lourd d'un endettement structurel consécutif au non-paiement des impôts et des charges sociales durant plusieurs années, et ce, depuis 2010, date théorique de la professionnalisation du football en Algérie. À titre d'exemple, le CRB a accumulé, avant l'arrivée du groupe public Madar en 2018, la « monstrueuse » somme de quelque 122 milliards de centimes au titre des Impôts et de la Sécurité sociale. Cette somme est même supérieure à la confortable, généreuse même, dotation financière annuelle de Madar, actionnaire principal du club qui est une de ses filiales. Tous les clubs, à trois ou quatre exceptions près, dont le Paradou de l'ex-président de la FAF et chef d'entreprise privée Kheireddine Zetchi, et la JS Saoura de l'homme d'affaires Mohamed Zerouati, associé à l'entreprise publique Enafor, sont tous structurellement endettés, y compris les clubs bénéficiant d'apports financiers publics comme l'USMAlger, le Mouloudia d'Alger, le CS Constantine et le MC Oran. Point commun entre les clubs disposant de financements publics, le choix de ne pas assumer le passif financier à la date où ils ont pris le contrôle de leurs clubs respectifs. S'agissant de la diversification des sources de financement de base, hors argent éventuel du sponsoring et du merchandising qui n'existe pas encore dans le football algérien, l'idée d'associer l'épargne populaire, idée soufflée au chroniqueur par un ami avisé, est une piste assez intéressante. Elle pourrait être suivie dans le cas du CRB, club emblématique de la capitale, choisi par les plus hautes autorités du pays pour servir d'expérience-pilote, de modèle de vertu budgétaire, d'efficacité managériale et de performance sportive au plan national et à l'échelle continentale. Cas d'école, le Chabab Riadhi Belouizdad présente la singularité d'être détenu, en sa qualité de filiale, par le groupe Madar, à hauteur de 67%, les autres 23% de parts étant détenus par des actionnaires totalement passifs, qui ne mettent pas un seul dinar dans la cagnotte. Ce qui fait de Madar l'actionnaire majoritaire tout en étant financeur du club, au titre de filiale SSPA, à 100% ! Une situation pour le moins anachronique qui n'inciterait pas le groupe, à juste titre d'ailleurs, à être le pourvoyeur de fonds perpétuel et unique, sachant que les dépenses d'un club ambitieux comme le CRB sont extensibles à souhait ! L'idée d'associer l'épargne populaire est donc à creuser dans le cadre d'un partenariat triangulaire argent public/argent privé/argent populaire, de préférence celui des supporteurs du club. Toutefois, cette option à étudier ne serait viable que si les pouvoirs publics décidaient d'effacer toutes les dettes structurelles des clubs pour leur permettre d'assainir leurs comptes et repartir sur de nouvelles bases pour construire des entités économico-sportives dignes de ce nom. À savoir de véritables entreprises de performance sportive et d'efficience managériale. De toute façon, l'amnistie financière sera d'autant plus inéluctable que le gouvernement du foot mondial, en l'occurrence la FIFA et sa filiale continentale africaine, la CAF, imposera au football algérien, à terme, la règle d'or budgétaire. Précisément, le zéro endettement ou l'endettement à un niveau minimal justifié et gérable, de même qu'un déficit acceptable sous un seuil raisonnable bien en dessous de la barre des dix pour cent. Sous peine de rétrogradation ou de dissolution par des tribunaux du commerce, après l'expertise légale de la DNCG, la Direction nationale de contrôle de gestion et d'audit des clubs de football professionnel. En attendant ce jour, cette DNCG algérienne existe, mais sur papier ! Composée de cinq membres et installée officiellement le 3 octobre 2019, elle a pourtant été instituée par le décret 14-330 du 27 novembre 2014 fixant les modalités d'organisation et de fonctionnement des fédérations sportives nationales ainsi que leur statut-type sous la dénomination de « Direction du contrôle et de gestion financière des ligues et clubs sportifs qui lui sont affiliés ». Elle comprend une Commission de contrôle des clubs professionnels (CCCP), un Département d'audit et de contrôle (DOAC) et une Commission d'appel (CA). Elle a pour prérogatives de veiller au respect du cahier des charges des clubs professionnels et des règlements de la FAF, et de mener les contrôles financier et juridique des clubs. Elle a notamment pour mission de contrôler l'information financière, la sincérité et la régularité des comptes, l'examen de la situation financière prévisionnelle et en cours. Mais pour l'instant, la DNCG, fort discrète jusqu'ici, n'a vraisemblablement pas pu mener à bien ses missions. Preuve en est les comptes constamment au rouge des clubs, leur endettement structurel et les circuits opaques de leur financement, hormis quelques exceptions, dont les clubs financés par l'argent public. N. K.