Quand le football s'invite socialement grâce à d'inattendues performances, il devient presque ringard à vouloir alimenter une chronique de fin de semaine en insistant sur des sujets politiques devenus, pour la plupart d'entre eux, des lieux communs. En somme, pour rester dans l'air du temps, ne vaut-il pas mieux s'imposer, par effraction journalistique évidemment, un exercice exclusivement consacré au « foot » ? Etant le sujet unique de l'actualité locale, comment pouvait-on, en effet, ignorer son impact médiatique alors qu'aucun thème politique n'était en mesure de lui voler les discussions de « comptoir » ? Quitte justement à en parler d'une manière approximative, l'on ne perd rien à revendiquer sa part de supporter sportif aveuglément mordu, voire chauvin lorsqu'il manifeste de l'admiration pour les siens et, dans le même temps, de l'agressivité déplacée à l'encontre de l'adversité. C'est, nous semble-t-il, de la sorte que se sont comportés nos compatriotes au cours du concert d'éloges consacré aux feux de joie de ce lumineux samedi de l'ascension pour un deuxième sacre après celui de l'Afrique. Une fois de plus, c'est de nouveau auprès de ce sport qu'il est loisible de scruter les états d'âme d'une Algérie dont on disait pourtant qu'elle était atteinte d'une profonde dépression morale. Peu importe les diagnostics qui la concernent dès qu'elle surprend souvent par des réactions contraires. En effet, l'immense enthousiasme de l'indescriptible soirée n'a-t-il pas délivré, une fois encore, le démenti qu'il fallait à ceux qui faisaient peu cas de ses ressorts patriotiques et de sa résilience capable de surmonter les chocs. L'allégeance du peuple dans ce qui représente le drapeau, même dans les circonstances sportives, n'est-il pas une preuve évidente de son vibrionnant rattachement à son identité quand bien même il est circonspect à l'égard de ses dirigeants quitte à en rester dans de prudents jugements. Autant d'attitudes significatives que l'on rencontre souvent quand, par exemple, une modeste victoire des stades voit surgir des millions d'oriflammes dans les rues alors que les souvenirs se font rares lorsqu'il s'agit de célébrer les dates majeures des célébrations historiques auxquelles manque la spontanéité populaire. D'une certaine manière, l'on se révéla meilleurs pédagogues dans le rapport au patriotisme sportif. Même si l'on rétorquera que cette assertion illustre faussement la comparaison dès lors qu'elle surinvestit politiquement l'exubérance des foules sportives, ceci n'exclut cependant pas le fait que les manifestations de ce genre sont exclusivement alimentées par les compétitions des stades à travers lesquelles s'édifient les mythes de l'héroïsme. D'ailleurs, si ces quelques centaines de mille de jeunes ont applaudi et fêté ces footballeurs en habit de lumière, c'est parce qu'ils ont transféré leurs espérances sur ces « tisserands » de la dignité sportive afin de surmonter les désillusions ravageuses qu'ils n'osent plus nommer. En effet, désabusées par tant de turpitudes commises au fil des décennies, les nouvelles générations ont sûrement trouvé dans le podium des stades quelques raisons positives pour s'auto-réconcilier avec la grande légende de ce que fut ce pays-ci. Tout en sachant que le sursaut d'orgueil sportif ne doit rien aux bricolages en vigueur, cela ne leur pose guère de dilemmes cornéliens. À tout prendre pour le moral, notamment, autant scruter hors de frontières les talents des magiciens de la même descendance ethnique puis les convaincre de cette mission consistant à vendre un certain savoir-faire afin qu'au moins ce sport-roi soit en mesure de les faire grandir dans ce qui s'apparenterait à de l'estime. Ce fut par conséquent grâce aux golden-boys des précédentes années que l'Algérie du sport a pu se prévaloir d'être membre à part entière au sein du gotha du football. Algériens d'origine mais de formation étrangère à laquelle cette discipline connut un excellent tournant dès les années deux mille, ils sont cependant des témoins représentatifs de ce qu'avait été l'échec global de tous les sports livrés à la bureaucratie. Un tel constat ne manqua pas de susciter des commentaires critiques émanant de certains spécialistes étrangers « bien intentionnés » lesquels ne manquèrent pas de relever la prédilection du football algérien à façonner une élite au sommet grâce au travail foncier des centres de formation européens alors que de ce côté-ci de la Méditerranée, nous serions incapables de nous hisser au même rang des catégories des jeunes. Plus qu'une critique, le reproche pouvait froisser l'ego de nos spécialistes même si celle-ci était statistiquement exacte pour peu que l'on se souvienne que la seule fois que l'Algérie envoya une sélection à un mondial junior remonte à l'édition de 1978. C'est-à-dire une quarantaine en calcul d'âges ou encore trois générations de footballeurs. En rappelant la précarité qui menace l'évolution du football national avec son lot de cruelles désillusions, une mise en garde de ce genre n'empêchera guère nos actuels sélectionnés de croire en leur baraka lors des deux rendez-vous qui les attendent (Coupe d'Afrique, 9 janvier 2022, et barrages pour Coupe du monde, mars 2022). De même qu'il est hors de question de douter, insistent tous les sympathisants chauvins qui savent mieux chanter Kassaman que certains « autres ». Car, contrairement à une trop vieille idée reçue, le football n'a, en vérité, jamais été « l'opium du peuple ». Bien au contraire, il peut parfois se venger lorsque ses règles ne sont pas maîtrisées et que la défaite est trop vite qualifiée « d'humiliation ». B. H.