Une nation qui boucle ses soixante années de souveraineté sans faille ne mériterait-elle pas des hommages plus que respectables en comparaison à son histoire tourmentée ? Aussi, a-t-elle attendu le dernier tiers du XXe siècle pour, qu'enfin, elle rompe avec l'insondable malédiction qui fut la sanglante colonisation pour finalement cimenter une identité nationale à peu près correcte et grâce à laquelle elle a survécu à ce jour malgré des soubresauts « intérieurs ». C'est d'ailleurs pour cette raison que l'Algérie donne à présent de solides garanties quant à sa pérennité existentielle quoiqu'on l'eût souvent maltraitée de la part de sa classe politique. Autant dire, par conséquent, qu'une nation qui ressurgit après des siècles d'enfouissement historique a moins le droit que d'autres de déprécier ses propres anniversaires. Dans ce sens, il advint, par le passé, que certaines interprétations claniques furent marquées par d'injustifiables rayonnements historiques alors que d'autres furent presque effacées du calendrier mémoriel comme cela avait été le cas de la date que représente à ce jour la référence du « 19 Mars 1962 ». C'est dire que la symbolique, à forte connotation patriotique, fut parfois privée de sens commun dans la sanctification de quelques moments héroïques alors que la pertinence de l'Histoire aurait dû ressourcer chaque événement en le dotant de la méritoire geste historique. Car, il n'y a pas une once de chauvinisme « préférentiel » à s'en aller à la rencontre de son pays dans ce qu'il a de plus émotionnel, voire à l'exalter dans les moments privilégiés. Et quand bien même la démagogie n'aurait jamais manqué à d'autres « rendez-vous » pour servir l'ego de régents qui officialisèrent ce genre de cérémonies, il n'en demeurait pas moins que la communion citoyenne et lucide de surcroît exerçait opportunément une sorte de clairvoyance orale pour brocarder les maquillages somptuaires destinés à mettre en exergue la courtisanerie de clercs agissant au nom de l'Histoire. À ce propos, le « 5 Juillet », dont l'évocation est tombée en désuétude après avoir balisé la mémoire collective des premiers lustres post-indépendance, n'aurait-il pas dû être fêté dans une autre disposition d'esprit que cette parodie des « Fatiha » prononcées au pied des stèles et à laquelle ne sont conviés que les notables des villages. C'est pourquoi l'on s'interroge toujours sur cette persistance à ne réduire le 5 Juillet qu'à sa signification initiale (celle de l'occupation française en 1830), alors que cette date porte en elle la suprême victoire de 1962. Car, non seulement la date a été, au fil des années, dégradée de son sens secondaire par le régime, afin de ne plus l'associer qu'à un rendez-vous des masses juvéniles (fête de la Jeunesse), mais surtout parce que sa fonction fondatrice pour le compte du nouvel Etat algérien (juillet 1962) excipait précisément de la seule légitimité du GPRA et non du putschisme militaro-ben-belliste dont le QG politique se trouvait à Oujda. Seul, par conséquent, le 1er Novembre était parvenu à garder une solide résonance patriotique unanimement acceptée alors que la fête de l'Indépendance devint une célébration dérangeante pour le régime dès lors qu'elle lui rappelait que l'accouchement de l'Etat ne s'était historiquement pas fait dans la sérénité démocratique du fameux CNRA (Conseil national de la Révolution algérienne) ayant siégé sans délibération à Tripoli. En associant, par la suite, cet anniversaire aux déplorables règlements de comptes, dont les conséquences s'ensuivirent sous la forme de l'émergence militaire à ciel ouvert le 19 juin 1965, les élites politiques ont, à leur tour, fini par admettre que le puissant symbole qu'ils représentaient ne pouvait continuer à servir, sans dommage, de référent à une caste prétendant, elle seule, détenir la philosophie de l'Histoire. Pourtant, il était attendu et même souhaité que le temps était venu, avec Octobre 88 d'abord, pour engager le pays dans la voie de la réécriture de l'histoire nationale et des remises en question des thèses ayant prévalu par le passé malgré la toxicité politicienne de leurs propagandes. En vain, hélas. Et pour cause, lorsque, pour aller dans ce sens, il fallait à l'Algérie officielle qu'elle admette avoir fonctionné avec des miroirs déformants, celle-ci s'empressa vite de réfuter les moindres aveux tout en réactivant les faux emballages pour décréter le bien-être là où la misère s'installa durablement. Inapte à se dépouiller de la subjectivité ponctuant ses discours (lesquels demeurent l'humus de la praxis politique), même le premier régime du XXe siècle s'était interdit le devoir respectable d'accorder à la communauté nationale le droit de se réapproprier et de commenter le passé du siècle précédent. Tout au plus, Bouteflika, d'ailleurs c'est de lui qu'il s'agit, s'amusa, en son temps, à donner le change à l'exigence populaire en multipliant de médiocres séminaires surchargés de thèmes glorificateurs quand d'autres communications ne ressassaient que les visions sectaires et n'entretenaient banalement que les paradigmes de la « cohésion » nationale sans faille ou bien mettant en exergue la splendeur « collégiale » du régime ! Autant d'insupportables mystifications politicardes qui, à l'ouvrage, taisent sciemment les multiples fractures sociales. Rien d'autre que de dérisoires exercices d'embellissement de la gouvernance. En somme, une solennité au rabais lorsqu'on sait que le mal de l'Etat n'est pas dans les lois mais dans la pratique de ses dirigeants. Telle est, en vérité, la genèse de l'architecture des pouvoirs algériens qui en sont à leur 60e année. De changements en révisions, nos Constitutions ont-elles réellement amélioré l'Etat de droit ? Rien n'est moins sûr, dès l'instant où les modalités anciennes n'ont jamais cessé d'être à l'œuvre. À 60 ans d'âge, cette Algérie, désormais millésimée, est en droit d'exiger de solennelles révérences qui lui auraient épargné des outrances politiques dont ses dirigeants majeurs s'en sont rendus coupables. Un simple souhait pour redonner de la force à ce « polygone étoilé » tenant toujours lieu de « patrie de l'émotion » ! B. H.