Au regard de son histoire tourment�e, l�Alg�rie est toujours apparue comme nation plus encline aux dislocations cycliques qu�� une continuit� de sa souverainet�. Aussi, a-t-elle attendu le dernier tiers du XXe si�cle pour, enfin, rompre avec une telle mal�diction. Sa sanglante d�colonisation lui ayant permis de cimenter une identit� nationale � peu pr�s correcte, l�on s�effor�a depuis de la doter d�un Etat capable de survivre � tous les soubresauts. 44 ann�es plus tard, ce pays peut se pr�valoir d�avoir exorcis� ses anciens d�mons et d�envisager, sans crainte aucune, sa p�rennit�. Pour toutes ces raisons et notamment, ici plus qu�ailleurs, la c�l�bration d�une ind�pendance fondatrice aurait d� m�riter bien plus de solennit� dans la communion collective que ces �5 Juillet� moroses que l�on a fini par exp�dier comme une formalit� d�usage. Autant dire qu�une nation qui ressurgit apr�s des si�cles d�enfouissement historique a moins le droit que d�autres de d�pr�cier ses propres anniversaires. Car une identit� longtemps ni�e et une communaut� ali�n�e par les occupations successives se doivent, m�me un demi-si�cle plus tard, s�autoc�l�brer en grande pompe. Les tablettes des croyances autant que les usages des nations ont depuis longtemps plac� la communion collective au centre de la p�dagogie des peuples et des pouvoirs. A partir des singuliers symboles � forte connotation patriotique, le sens commun et l�humilit� politique s�en vont ponctuellement se ressourcer, chacun � sa fa�on afin de se reconna�tre dans ce qui �unit� et att�nuer ce qui �s�pare�. Nulle part ailleurs, l�on ne qualifie de chauvinisme le fait d�aller � la rencontre de son pays et de le faire, avec beaucoup d�orgueil. Voire jouer sur l��motion et exalter son identit� dans ces moments privil�gi�s. Et quand bien m�me la d�magogie officielle s�y inviterait pour ne servir que les desseins des princes, il reste que la communion citoyenne et lucide demeure toujours plus clairvoyante que les oripeaux des pouvoirs qui souffrent autant de la sanction de l�histoire que de leur contestable l�gitimit� du pr�sent. Le �5 Juillet�, dont l��vocation est tomb�e en d�su�tude apr�s avoir balis� la m�moire collective des premiers lustres post-ind�pendance, aurait d� �tre f�t� dans une autre disposition d�esprit que cette parodie de �Fatiha� dans les cimeti�res que l�on r�cite sans �motion et qui ne constitue en fait qu�un pr�ambule � des r�ceptions entre notables. Non seulement la date a �t�, au fil des ans, volontairement d�mon�tis�e par le r�gime qui l�associa � un jamboree de scouts et autres sympathiques d�ploiements juv�niles, mais encore il contribua dans le discours officiel � ne s�y r�f�rer qu�accessoirement. D�pouill�e de son signe fondateur de l�Etat, le 5 Juillet a �t� donc escamot� politiquement dans l�unique but de d�tourner un d�bat de fond : celui de l�origine lointaine des l�gitimit�s et par voie de cons�quence l�occultation d�une page sombre de l�Etat � sa naissance. Autant le 1er Novembre a gard� une certaine charge patriotique unanimement partag�e, autant le 5 Juillet est devenu une c�l�bration d�rangeante pour le r�gime. Moment crucial qui accoucha d�une nation, ne fut-il pas simultan�ment celui qui mit � nu les app�tits de pouvoir jusque-l� cach�s au peuple ? Comme on le sait, l�accouchement de l��t� 62 ne s��tait pas fait dans la s�r�nit� r�v�e. Le clanisme politique enterra vite les derniers vestiges d�une promesse �nonc�e en 1954 et r�it�r�e en ao�t 56. Les urnes et la d�mocratie furent � leur tour balay�es sans scrupule. En associant cet anniversaire aux sanglants r�glements de comptes au sommet de la direction du mouvement national, les Alg�riens ont fini m�me par admettre que le puissant symbole qu�il incarnait ne pouvait sans dommage continuer � servir de r�f�rent � une caste qui pr�tend elle seule d�tenir les explications de l�histoire. C�est, donc, implicitement que l�on s�achemina vers une �d�nationalisation� du 5 Juillet, avec pour motif (justifi� cette fois), que les d�positaires du premier acte de souverainet� n��taient rien d�autres que des putschistes. Or il �tait attendu et surtout souhait� que, 44 ann�es plus tard, l�on convint, avec la hauteur de vue qui sied, que ce pays doit renouer avec son histoire imm�diate. Que le temps, de surcro�t, �tait venu pour l�engager dans la voie des bilans historiques et des remises en question de certaines th�ses archa�ques. En vain. Car pour aller dans ce sens, il fallait � l�Alg�rie officielle qu�elle reconnaisse qu�elle m�me a jusque-l� fonctionn� avec des miroirs d�formants. Faux reflets des �v�nements et faux emballages pour d�cr�ter le bien-�tre l� o� la mis�re s�installe durablement. Inapte � se d�pouiller de sa propre subjectivit� (laquelle est d�ailleurs son humus politique), m�me ce r�gime du XXIe si�cle s�interdit le devoir respectable d�accorder � la communaut� nationale le droit de se r�approprier le pass� du si�cle pr�c�dent. Triste constat pour un pays d�cervel�. Esp�rance trahie, apr�s dix ans de terrorisme islamiste, qui aurait d� donner un autre �lan � cette r�publique. En effet un �5 Juillet� r�investi de sa valeur fondatrice aurait pu constituer le moment fort pour marquer cette seconde r�surrection. Or, il n�a finalement d�bouch� que sur de m�diocres s�minaires destin�s � la glorifications quand ils ne ressassent que les visions sectaires du pass� et entretiennent banalement les paradigmes de la �coh�sion � nationale sans faille ou bien celui de la �coll�gialit� du r�gime. Deux insupportables mystifications politiques qui taisent sciemment les multiples fractures et le despotisme dans toutes ses variantes. Rien d�autre que de d�risoires exercices d�hagiographes qui persistent � jurer avec tous les travaux s�rieux. De ceux qui ont analys� les d�litements du tissu social et le clanisme exclusif et excluant � l�origine de la faillite actuelle. Une faillite certes avou�e du bout des l�vres en �haut lieu� mais qui ne trouve de rem�de magique que dans les r�visions constitutionnelles ! Un caut�re sur une jambe de bois et dont l�annonce co�ncide avec un �5 Juillet�. En somme une solennit� au rabais, lorsqu�on sait que le mal de l�Etat n�est pas dans les lois mais dans la pratique de ses dirigeants. Telle est la gen�se de l�architecture des pouvoirs. Bouteflika souhaitant remodeler pour la cinqui�me fois la loi fondamentale ne fera s�rement pas pire que ses quatre pr�d�cesseurs, cependant il ne fera pas mieux. De changements en r�visions, celles-l� ont-elles r�ellement am�lior� l�Etat de droit ? Rien n�est moins s�r d�s lors que l�on constate que les modalit�s anciennes n�ont jamais cess� d��tre � l��uvre. Dans les faits, ces r�am�nagements �taient uniquement destin�s � redoper le syst�me et � renouveler son personnel. Autrement dit, la filiation des pouvoirs est lin�aire. De Ben Bella � Boumediene, et de Bendjedid � Bouteflika en passant par Zeroual, la matrice est la m�me. Sauf que l�habillage change selon l�air du temps. Tous descendent du �burnous� tiss� en septembre 1963 et que l�on continue � retailler selon les saisons politiques. Les constitutionalistes avis�s nous expliqueront dans les prochaines semaines � quels desseins r�pondra cette cinqui�me mouture en 43 ann�es. Mais auront-ils en m�moire les vieilles antiennes d�un certain A�t Ahmed qui, � une �poque lointaine, exprima son d�saccord au sujet d�une constitution stalinienne et d�un parti omnipotent. Lucide pour son �poque et proph�tique a posteriori, il eut la probit� du d�mocrate de s�y opposer jusqu�� la dissidence. -�Un parti fort (�) n�a nul besoin de dissoudre un autre parti comme le Parti communiste�, d�clara-t-il � la tribune de la premi�re Assembl�e. Et d�ajouter : �Je pense que la pr��minence du parti FLN n�entra�ne pas n�cessairement l�unicit�.� Comme l�histoire se r�p�te, m�me en b�gayant, ne sommes-nous pas retourn�s � la m�me configuration de l��t� 1963 ? Dans un pluralisme fictif, le FLN fonctionne comme une instance partisane exclusive. Il initie des r�visions constitutionnelles et orchestre des chasses aux sorci�res � l�int�rieur m�me du pouvoir. Et c�est au nom du �5 Juillet� qu�il s�appr�te � mener la cinqui�me campagne pour une m�me imposture.