A l'initiative du pouvoir, la célébration du 5 Juillet vient de connaître ce jeudi un déploiement de faste rarement vu tout au long des 20 dernières années. Mais est-ce vraiment à la fête de l'Indépendance que cet apparat exceptionnel a été mobilisé dans la capitale et qu'il n'y avait guère d'autres «raisons» hormis le rite patriotique à qui cette somptuosité était destinée ? Sans doute que la question a été abordée dans la plupart des cercles politiques qui reconnurent, à travers cette mobilisation sans pareille, une séquence préliminaire de ce que sera la campagne pour le 5e mandat. Comme quoi la priorité accordée à la communication du pouvoir ne serait efficace que s'il multipliait les manifestations de ce genre afin de faire le lien entre la «grandeur» du pouvoir en place et la geste patriotique de la nation. Ainsi, à la suite de ce 5 Juillet que l'on illustra par des bilans positifs du régime, il y aura le prochain 1er Novembre au cours duquel une autre thématique du pouvoir sera positivement décryptée. Autant dire que cette atmosphère festive n'avait que peu à voir avec la fête de l'Indépendance. Rien, par conséquent, n'est venu rompre avec la vieille indifférence des pouvoirs algériens vis-à-vis de l'exercice mémoriel. Or, notre «5 Juillet» dont l'évocation est tombée en désuétude assez tôt ne méritait-il pas une réhabilitation en le fêtant dans une autre disposition d'esprit que celle qui vient de le livrer aux matraquages de la démagogie orchestrés d'en-haut ? En effet, une nation qui a bouclé ses 56 années de souveraineté n'est-elle pas en mesure de faire confiance aux seuls élites intellectuelles pour lui faire ponctuellement l'apologie de son passé ? Les usages que la plupart des Etats ont en partage n'avaient-ils pas attribué à certaines célébrations plus de sens que de coutumes selon qu'elles furent ou pas déterminantes dans la consolidation de la culture patriotique. C'est de la sorte d'ailleurs que notre 1er Novembre suggère la martialité du combat et des armes quand le 5 Juillet illustre la fierté et la joie du succès. C'est dire qu'il existe plusieurs manières pour aller à la rencontre de son pays. Voire à l'exalter dans ces moments privilégiés. Et quand bien même la démagogie se mêle souvent de cette communion pour servir les princes, il reste tout de même assez de lucidité chez les petites gens pour ironiser sur ces petites impostures. Historiquement donc, la date a été volontairement démonétisée par le système accouché par le putsch de 1965. De plus, celui-ci contribuera à son enfouissement mémoriel en ne la citant qu'accessoirement. Dépouillée notamment de son signe fondateur de l'Etat, il autorisera en conséquence toutes les interprétations relatives à la notion de légitimité révolutionnaire. C'est pour cette raison, entre autres, que la célébration de cette date était devenue dérangeante pour le régime du 19 juin. A cette époque, les doctrinaires du parti unique, placé sous le contrôle du Conseil de la révolution présidé par Boumediène, allaient se charger de légitimer la date du «19 juin» en transférant, pour le compte de celle-ci, les attributs qui, jusque-là, qualifiaient le 5 Juillet. A savoir, le moment historique qui désignait le rétablissement de l'Etat algérien. Sauf que la manipulation en question risquait de heurter, par son énormité, l'opinion si elle venait à être légalisée par une abrogation pure et simple. C'est alors que l'on recourut au cynique subterfuge qui avait consisté à qualifier le 5 Juillet de «fête de la Jeunesse» alors que, dans les manuels d'histoire, cette date désignait le débarquement de Sidi Fredj en 1830 et son contre-point, la signature de la souveraineté recouvrée en 1962 ! Un triste tour de passe-passe destiné à effacer un repère historique indiscutable pour lui substituer un épisode politique dont le caractère déterminant était contestable dès l'origine. Par ailleurs, si le 1er Novembre était demeuré hors de portée de la pratique révisionniste tant sa charge était lourde dans l'imaginaire national, il n'en fut pas de même pour le 5 Juillet cible idéologique du nouveau régime mais aussi et surtout le 19 Mars qui, à ce jour, n'est pas considéré comme date fériée. S'agissant surtout du 5 Juillet, sa démonétisation au profit de la nouvelle idéologie instaurée en 1965 trouvera sa traduction dans les institutions que la caserne ébauchera. C'est de la sorte que celle-ci parvint à réécrire le catéchisme du pays en qualifiant la période antérieure à 1965 de «non-Etat» : celui du chaos. La suite allant de soi, la nouvelle légitimité révolutionnaire devint la référence essentielle susceptible de dicter ou même édicter ceux qui allaient relever du panthéon de la patrie et ceux qui furent exclus des manuels de l'histoire. Etonnamment, n'a-t-il pas fallu attendre 40 années avant que ne disparaisse du calendrier officiel des jours fériés la date du 19 juin ! Alors que la République semblait s'être réconciliée avec la rectitude historique en abrogeant, en 2005, la scorie qui évoque le putschisme du passé, par contre, cela fait bien 13 années qu'elle tergiverse au sujet du 5 Juillet qui attend de retrouver les grands-messes des fêtes nationales. A présent, l'on vient de se demander si la grande fête de jeudi était une opération de rattrapage concernant la majesté de la date ou, au contraire, une énième esbroufe pour faire campagne au profit de la future présidentielle. Les courtisans prompts à faire l'éloge du prince affirment que cette réhabilitation est définitivement inscrite dans la somptuosité de ce jeudi. Or, rien n'est plus inexact que ce faux argument pour peu que l'on s'intéresse à l'agitation des ministres quand ils font de la publicité dans ce sens. Et surtout quand ils rajoutent cette «ponctuation» orale qu'ils instillent entre deux vantardises afin d'attribuer cette prétendue décision à la géniale sagesse de qui l'on sait ! Un insupportable recours à la flagornerie qui affecte le peu d'estime sur laquelle ils pouvaient compter. Alors que la mystification politique n'est jamais absente même lorsqu'il s'agit d'une célébration nationale, comment l'opinion peut-elle croire que les parades et les défilés traversant la capitale honoraient d'abord l'histoire du pays quand pas un laïus commandité par les caméras de la télévision officielle n'a omis de faire l'éloge du chef de l'Etat exclusivement. Et puisque ce 5 Juillet 2018 est placé sous le signe d'avril 2019, pourquoi ne pas exiger, d'ores et déjà, que la prochaine célébration soit aussi somptuaire et n'évoque que les pères fondateurs de la nation ? Proposition fantaisiste qui jure avec ce pays du doute où la moindre promesse n'engage que les naïfs qui applaudissent par avance. B. H.