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Tournez manège
Publié dans Le Soir d'Algérie le 12 - 01 - 2022

, au quotidien, au point de rupture d'un ronron qui malmène les méninges. Et organise le vertige dans une tête facile à corrompre. Tournez manège, au point où la fatigue coule dans des veines nourries au biberon d'un âge qui vire à l'émeute. Tournez manège, au point où le regard se fait vitreux à force de supporter les mêmes scènes jour après jour. Tournez manège, au point où le cœur crie sa suffocation d'attendre un jour nouveau, le rêve d'un pays en paix avec lui-même, qui refuse de poindre à l'horizon. Tournez manège, au point où le dégoût (le dégoûtage pour nos potaches) est ce bonjour fixé sur des lèvres gercées par une attente inféconde.
Sinon, Yennayer pointe le bout de son nez. Comme chaque année me diriez-vous. Tout à fait ! Comme il revient annuellement, les mêmes esprits chagrinés, abonnés à la borne d'un passé mort et enterré, crie à qui veut les entendre que cette fête n'a rien à voir avec notre pays ; elle est païenne. Et qu'on devrait la rejeter à tout jamais. Bien sûr qu'il y a un relent de « badissia-novembria » dans cette histoire. Ces adeptes du nihilisme n'acceptent que ce qu'ils prodiguent comme normes. Yennayer est « la yadjouz », parce que ce Nouvel An amazigh n'est pas prévu dans le Livre Saint. Puis, le ciel leur est tombé sur la tête le jour où cette journée fut fériée et chômée.
Je ne soulève aucune polémique. Je me refuse à cela. Chacun est libre de ses opinions ; mais il ne faut pas que cette liberté devienne un élément de coercition totalitaire. À ces esprits chagrins, je leur dis simplement de ne pas fêter Yennayer et d'aller travailler le 12 janvier, jour férié et chômé. Ils ne seront pas nombreux à le faire. Le pétrole travaille pour eux, ici et plus bas. Personnellement, je ferai ce qu'il faut pour que cette journée efface la sinistrose de mon quotidien. Je renouvellerai la gestuelle de l'Ancêtre au détail près. Couscous. Poulet. Sfendj. Fruits secs. Sucreries (avec modération). Thé en soirée. Rencontre familiale. Pédagogie en direction des petits-enfants.
Sinon, j'ai cru comprendre qu'il y a pénurie de lait et d'huile de table. Au début, je n'y ai pas cru. Je me suis dit : « Encore des fake news ! » Le mieux, c'est d'aller à la source. Hop, je m'arrête chez mon épicier. Je rassure l'ami Hakim Laâlam, il met un masque. Et dispose d'une bouteille hydroalcoolique. Je l'aborde tout de go. Il paraît qu'il y a pénurie de lait et d'huile. Est-ce vrai ? Il acquiesce avec un grand sourire. Et alors ? J'ai encore deux ou trois packs pour mes clients comme toi. J'ai fait mes emplettes. Légumes frais. Œufs. Dessert. Légumes secs. Tout le toutim, quoi. Je mets tout ça dans ma caisse. Mon épicier arrive dans les mains du lait caché comme pas possible. Il ne faut pas qu'on me voie, sinon ça va être la ruée. J'ai eu honte ; franchement, j'ai eu honte. Honte d'acheter du lait (lahlib !) avec du piston. Avec de la maârifa. Je n'ai pas demandé de l'huile de table. Je vais utiliser l'huile d'olive. Je reviens aux fondamentaux. Ihi, ya kho, tournez manège jusqu'à la syncope. Je ne veux même pas comprendre le pourquoi de cette pénurie. Ce sera la même ritournelle.
« Le virus tue », comme n'arrête pas de le crier, sur tous les toits, le docteur Mahmoud Boudarene. Oui, le virus tue. Il rend malade. Il est dangereux. Il est extrêmement contagieux. Chez nous, on dit « contagieux comme la gale. » Am ujeggid. Il faut donc se protéger et de ce fait protéger les autres. Certains quidams, pour ne pas dire beaucoup, n'en ont rien à fichtre ; ils ignorent toutes les règles de bon sens ; bouche et narines ouvertes à tous les vents, ils promènent leur mépris des autres, principalement les plus fragiles d'entre tous ; ils entrent dans les commerces. Partout, du reste. Ces gens-là doivent comprendre, par quelque moyen que ce soit, qu'il est question de vie et/ou de mort avec ce virus ; et qu'ils doivent, par conséquent, respecter les gestes barrières, de gré ou de force.
J'ai cru comprendre que notre pays allait mettre en place un « pass vaccinal. » Un peu à la manière de ce qui se passe ailleurs. En voilà une nouvelle qui est bonne. Il en a fallu du temps aux autorités sanitaires nationales d'y avoir recours. Je suis pressé de voir l'opération débuter. En somme, tu es vacciné, tu passes ; tu ne l'es pas, tu restes chez toi. Et n'emmerde (ce verbe est à la mode en ce moment, surtout ne le dites pas en derja) pas ceux qui ont à cœur la bonne santé collective. À ces gens-là, je dis : « C'est votre droit de ne pas vous vacciner, ni de vous protéger à l'aide de la distanciation et du masque. Je ne dénie à personne cette liberté. Mais de grâce, évitez de vous soigner, puisque vous ne croyez pas en cette épidémie. N'encombrez pas les hôpitaux, car votre cas est grave. Restez chez vous ! » Franchement, il y a un moment où on est forcé de dire des choses contraires à notre tempérament.
Les gens tordus sont partout. Leur incivisme est flagrant. Le font-ils exprès ? Je ne sais pas. Néanmoins, ils doivent s'en apercevoir à un moment donné. Ce matin, mon organisme avait besoin d'un peu de sucre. Ça tombe bien, me suis-je dit. Il y a une gentille pâtisserie juste à côté. Qui fait de bons gâteaux, comme on dit. Je m'y rends donc. Arrivé devant le temple du sucre, un quidam (un compatriote, un concitoyen, appelez-le comme vous voulez) se nettoyait la lèvre supérieure d'une boulette de chique, sans « massa », juste au seuil de la porte d'entrée. J'étais à moins d'un mètre du chiqueur national. Je peux vous dire, il en a mis du temps. Une fois son poison sur le sol, il nettoie ses doigts sur le revers de ce qu'il lui sert de pantalon et... rentre dans la pâtisserie s'offrir, je suppose, un gâteau. La Palice n'aurait pas dit mieux. Qu'ai-je fait ? J'ai tout simplement fait demi-tour ; car j'ai senti mon cœur se soulever. Puis, je me suis promis de ne plus mettre les pieds, ni les mains du reste, dans cette « gâteausserie ». Dieu du ciel, comment vaincre notre inculture ?
La rumeur me fait savoir que notre ministre du Commerce aurait interdit aux mineurs d'acheter de l'huile de table. Pourquoi donc ? Parce qu'ils sont mineurs, pardi. À moins que ce ne soit pour enrayer la pénurie de ce précieux liquide. C'est une possibilité. Puis je me dis que c'est une trouvaille. Si c'est réellement ce qu'il a dit, c'est grave ; s'il n'a rien dit, c'est aussi grave d'imputer une déclaration aussi irréfléchie à un ministre de la République. Comme je sais que la rumeur est une maladie chez nous, je passerai à autre chose pour ma part. Tournez manège, tournez, il en faut pour résister au temps qui passe.
Y. M.


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