Le documentaire de Lina Soualem Leur Algérie a eu un beau parcours en Algérie lors de sa tournée dans plusieurs salles en décembre dernier. Signée par Lina Soualem, dont c'est le premier long-métrage, ce documentaire sélectionné dans plusieurs festivals est décliné sous forme de portraits intimes des grands-parents de la réalisatrice. Divorcés après soixante ans de mariage et autant d'années d'exil en France, Aïcha et Mabrouk choisissent néanmoins de ne pas trop s'éloigner l'un de l'autre, la grand-mère prenant quotidiennement soin de son ex-mari. C'est donc l'histoire de la fin insolite d'un couple mais aussi celle d'une génération d'émigrés partie en France au milieu des années 1950, faire tourner les usines et suer sang et eau pour l'avenir de leurs enfants. C'est également le récit d'une vie construite dans une double peine silencieuse : le travail ingrat et briseur de santé pour l'homme et la jeunesse perdue en corvées et en déracinement pour la femme. Lina Soualem débute son film au moment du divorce et du déménagement de ses grands-pères. Elle les filme et les fait parler souvent séparément, les moments où on les voit ensemble sont rares et silencieux. Leur Algérie renferme des moments forts de cinéma et d'émotion, notamment quand la réalisatrice se met en retrait et laisse ses deux protagonistes modeler l'espace filmique selon leurs humeurs et leurs souvenirs. A contrario, le documentaire perd en densité quand Lina Soualem verse dans le démonstratif et le propos (trop remâché) de la double identité et autres poncifs des films de l'émigration. Par ailleurs, certaines scènes et discours récurrents mettent un bémol à la fluidité du rythme et frôlent parfois la surenchère quand la sémantique narrative tombe dans la facilité didactique et sociologique. Enfin, Leur Algérie peut parfois s'avérer peu transcendant puisqu'il s'inscrit dans un canevas «documentaire-chronique-familiale» assez redondant chez les cinéastes de la troisième génération d'émigrés : on a vu dans le même genre A Mansourah, tu nous as séparés de Dorothée-Myriam Kellou et Des figues en avril de Nadir Dendoune, pour ne citer que ces quatre dernières années. Un cinéma retranché dans un périmètre dramaturgique limité et tourné vers une esthétique peu fouillée où certaines images comme certains propos frisent le réchauffé. Heureusement, dans ce genre de films, et notamment Leur Algérie, ce sont les personnages qui sauvent la mise en insufflant une esthétique brute à travers leur vérité, la pudeur sublimatrice de leurs émotions et la subtilité de leur présence. S. H.