À la moindre remise en cause de leurs certitudes adossées à la fausse image d'un capitalisme triomphant, ils nous sortent : «Il n'y a plus d'idéologie !», comme pour refuser les changements devant apporter plus de justice, d'humanité, de partage et de responsabilité sur les questions écologiques dans un système finissant, cassé par sa propre boulimie. Non, l'idéologie n'a pas disparu : c'est elle qui dirige leur politique de droite et d'extrême droite, c'est elle qui donne beaucoup à une minorité et presque rien à la majorité. C'est l'idéologie qui dirige leurs guerres et ils sont les seuls détenteurs du droit de tuer à distance, d'envahir les pays, de classer les dirigeants du monde en bons et méchants. La guerre est l'ultime recours d'un capitalisme défiguré par les hégémonies financières et les prétentions de quelques familles possédantes visant à dominer le monde. Jusqu'aux années 1980, le cours de l'Histoire obéissait à une certaine logique, s'inscrivant toujours dans la même dynamique de progrès qui avait permis tant de conquêtes éclatantes pour l'humanité. Avant ce virage désastreux, l'heure était à l'optimisme. La grande révolution culturelle de mai 1968, née de la révolte des jeunes contre le système, donnait un sérieux coup de pied à l'ordre bourgeois. Toute la planète s'était mise à rêver à un monde meilleur, plus humain ; un monde sans exploitation, sans racisme, sans injustice, sans guerre, sans famine. La jeunesse mondiale avait trouvé son héros : Che Guevara et les rêves les plus fous peuplaient nos têtes bouillonnantes de projets. C'était l'ère des grandes espérances... Cette période notable du siècle sonnait la chute de l'impérialisme américain sur les terres du Sud-Est asiatique. L'Occident, ahuri, grimpait sur les vélos pour aller au travail car il n'y avait plus d'essence dans les pompes. Les pays producteurs de pétrole, réunis sous la bannière de la lutte anti-impérialiste, prenaient leur revanche. Boumediène s'en allait prêcher la bonne parole pour revendiquer un ordre économique plus juste à New York, devant le sommet extraordinaire, mais aussi à Lahore où son discours restera un moment fort de la lutte des plus faibles et contre le fatalisme à connotation religieuse. Cette étape était marquée également par les profondes désillusions du monde occidental empêtré dans de grands problèmes économiques et une dérive morale dont Nixon, le chef tout-puissant des Etats-Unis, fera les frais. Le bloc socialiste ne se portait pas mieux mais le discours officiel était toujours à l'enthousiasme révolutionnaire... Personne ne verra venir la lame de fond qui va agir comme une vague déferlante pour emporter toutes les certitudes vers les rivages incertains d'un futur brumeux qui s'est construit sous nos yeux ahuris avant de se déconstruire dans le grand fracas du 11 septembre 2001. La tombée du mur de Berlin allait changer radicalement le cours de l'Histoire. Ce jour-là, personne ne se doutait que le monde était en train de se métamorphoser ! Un à un, les pays satellites de l'Union soviétique allaient s'effondrer. L'URSS, qui pensait à ce moment-là que sa «Perestroïka», entamée plus tôt, allait lui éviter le pire, rejoindra le peloton et cessera d'être le porte-drapeau du camp socialiste... L'implosion de l'URSS changera les données géostratégiques, car le rapport de force qui reposait depuis plus de quarante ans sur l'équilibre entre les deux superpuissances était rompu, ne laissant plus qu'un seul cavalier sur le champ de courses. En 1991, première guerre du néo-impérialisme sous l'étendard d'une coalition menée par les Etats-Unis. Durant la période qui suit, les multinationales renforcent leur pouvoir et imposent leur diktat aux Etats et aux peuples, créant une gigantesque toile d'intérêts capitalistes. Le monde qui en naît est celui de la suprématie du capital sur les valeurs d'humanisme et de progrès social qui ont longtemps fait rêver les générations. Ce monde n'est pas beau : il a la couleur de la guerre menée par Bush contre le peuple irakien. Il a les contours de l'agression de l'Irak et des guerres injustes menées contre les peuples libyen, syrien, yéménite. Il a les senteurs nauséabondes du sale printemps arabe concocté dans les marmites imperialo-sionistes avec l'aide des traîtres de toujours. Il a la laideur de la rapacité et la suite ne portera plus les mêmes espérances qui avaient salué la naissance du siècle précédent, lorsque les progrès technique et scientifique faisaient miroiter des rêves de bonheur et de prospérité pour la majorité. Malgré toutes les promesses qu'il offre sur le plan technologique et scientifique, le siècle nouveau ne porte pas les germes d'un monde meilleur pour les enfants de Soweto, de Ghaza et des favelas de Rio. C'est tout simplement le nouveau Moyen-Age qui s'installe. Comme dans l'ancien, le fossé entre les riches et les pauvres est en train de s'agrandir d'une manière effrayante. La vie humaine n'a plus d'importance. Le retour à l'esclavage marque les systèmes économiques de plusieurs pays émergents où les multinationales s'installent pour profiter d'une masse d'ouvriers corvéables et malléables à merci contre des salaires misérables. Partout, c'est la loi du plus fort, comme durant le Moyen-Age. Ainsi, nous assistons au retour des empires totalitaires, alors que l'obscurantisme et l'arriération font régresser des peuples entiers, déjà confrontés à la famine, l'illettrisme, les maladies, etc. La pandémie sans fin qui déstabilise le monde est une réplique des grandes calamités sanitaires du Moyen-Age. Nous pouvons également citer les nouvelles guerres de religion, l'insécurité grandissante dans les campagnes et les villes, le retour des bandits de grands chemins et des pirates. Que dire du tribalisme, du maraboutisme et du succès des sectes ? Que dire du penchant pour la sorcellerie ? Mais, attention, par-delà les frontières, les races et les croyances, une nouvelle vague de protestation est en train de s'organiser. Elle ne repose pas sur une idéologie claire et ne paraît pas encore assez puissante pour inquiéter l'ordre établi. Prenant de court les analystes et les penseurs, cette vague populaire transnationale est le début de quelque chose de plus puissant, de plus précis qui va s'organiser dans les années à venir pour créer un front mondial des peuples opposés non plus aux Etats, mais aux nouveaux patrons de notre planète : les maîtres du monde, ce groupe de chefs de multinationales, de grands financiers, de patrons d'industries de guerre, dont l'appétit n'a plus de limites et qui veulent supprimer les frontières et les protections érigées par les petites économies nationales... La classe ouvrière des pays occidentaux, longtemps opposée au patronat local, vient de s'apercevoir que ce dernier n'est que le maillon d'une chaîne dont il faut chercher le bout au sommet des gratte-ciel américains. Le chemin est long, mais il faut garder espoir car ce système porte les germes de sa propre destruction. La nouvelle révolution reprendra après la pandémie. Ses contours sont encore flous, mais elle est inéluctable et s'annonce déjà comme une aube pure dans le ciel crasseux de ce nouveau moyen-âge. L'avenir appartient aux peuples. Je crois entendre la voix de Castro marteler : «Aucune force ne nous mettra à genoux !» M. F.