Dans mes promenades de montagnard mortellement matinal, il m'arrive souvent de m'arrêter pour un brin de causette avec les travailleurs de la terre. En l'occurrence, il y a un sujet qui a toujours hanté mon esprit et accompagné mes pas sur la terre retournée, les sentiers herbacés ou les pistes boueuses. Il tient dans cette question aux relents de détresse : que restera-t-il de ces espaces dans quelques années ? Beaucoup de gens y ont déjà répondu. On peut les trouver sans nuance et expéditifs mais ils ne manquent pas d'arguments. En tout cas, ils sont plus proches de la réalité-vérité que les doux rêveurs qui s'accrochent encore à quelque miraculeux sauvetage. La voilà, la réponse : «Il ne reste déjà plus rien.» Pour ceux qui ne se retrouvent pas encore dans ce texte et je les comprends, il s'agit là des terres agricoles qui font les prolongements d'Alger. Il n'est nul besoin de rabâcher la sentence, elle est connue de tous : «Le béton a tout bouffé.» Oui, les plans d'urbanisation ont été et sont toujours calamiteux. Pour autant, il y a encore des pans à sauver en les maintenant dans leur vocation nourricière et environnementale. Il y a encore des «hommes de la terre» qui s'y accrochent et quelques rêveurs qui leur parlent dans la foulée d'une virée matinale. Hier, quelque part entre Baba Hassan et Kheraïssia, je me suis arrêté pour saluer l'un d'eux. Au milieu de son champ d'orge, il cesse de scruter le ciel pour me parler. Alors ? «C'est inquiétant. Il pleut selon les cœurs et les nôtres sont trop noirs pour susciter la générosité du ciel. Mais Dieu a toujours de la clémence pour ses créatures. Il ne va pas nous laisser tomber.» Et la prière alors ? «Nous qui travaillons la terre et connaissons la valeur des choses, nous implorons la providence à chaque instant, peut-être que nous serons entendus. Les... autres perdent leur temps.» Ils attendent que la météo soit favorable ? Notre bonhomme lève encore la tête vers le ciel, cette fois en souriant malicieusement. De cette malice de vieux paysan racé à qui on ne fait pas avaler des couleuvres. Sans commentaire. Alors, on va construire des immeubles sur son champ d'orge ? Peut-être bien que oui mais il espère bien que non : «Ce serait vraiment dommage, nous n'avons jamais autant travaillé et produit.» Dans ma promenade de montagnard mortellement matinal, il n'y a aucun élan bucolique. Il n'y a pas non plus de place à quelque regain d'exotisme. A la suite de mon interlocuteur du jour, je me suis rendu compte qu'il y a deux raisons d'aimer la terre : en avoir travaillé ou en avoir manqué. S. L.