C'est un pays des Aurès non fantasmé, loin de celui des généraux, des cercles occultes et du fameux BTS, que les Témouchentois sont invités à découvrir jusqu'au 20 août grâce à une exposition permanente dans le hall de la maison de la culture. Hôte de cette dernière, c'est une caravane culturelle chaouie qui l'a ramené dans ses bagages. Contrairement à d'autres qui ont précédemment fait le déplacement à Témouchent, celle de Batna a refusé la focalisation sur le passé de résistance anticoloniale et toute forme de légitimité révolutionnaire. De la sorte, c'est l'essentiel de ce qui fait son algérianité, ni au-dessus, ni en deçà du reste du pays, qui est mis en valeur. Et cette approche a été particulièrement illustrée par une exposition photos de grande qualité, alliant la pertinence des sujets. Loin des instantanés qui affectionnent l'exotisme, ceux que le photographe a saisis donne à voir une contrée industrieuse, celle de l'honnête labeur en pays profond. Mais on lit aussi des histoires individuelles dans l'expression, le geste ou la situation que le photographe a su capter. Une centaine de cadres accrochés aux cimaises renvoient de la sorte une image des Aurès comme on ne les imaginait pas ou plutôt loin des préjugés que l'on s'en fait. A commencer par des paysages qui n'ont ni la rudesse ni l'âpreté qu'un certain imaginaire collectif leur accole par ouï-dire ou par bêtise. On est plutôt dans le bucolique des plus paisibles, voire dans la douceur mais surtout dans l'anodin qui, si on est fin observateur, en dit plus long que le plus spectaculaire des sujets de photographie. Par exemple, ce vénérable arbre de la famille du genévrier qu'on croit menacé par l'érosion ayant mis à nu ses racines alors que c'est son espèce toute entière qui est menacée de disparition parce que l'oiseau qui permettait la germination de ses graines ne vit plus dans les parages, ou encore ce banal piémont fait de maquis et de chênes dont la couleur a donné, tenez-vous bien, son nom en amazigh à la région : Aurès. Il y a également ces cultures vivrières en étage et ce que représente de ténacité la colossale somme de travail qu'elles ont nécessité et qu'elles continuent d'imposer à leurs exploitants d'autant que pour arracher leur pitance à son sol ingrat, ils les reconduisent vaille que vaille chaque année en régénérant par des apports de terre végétale rapportée d'ailleurs. La photo traduit une farouche volonté de demeurer sur la terre des ancêtres et que ses occupants ne pensent nullement à un illusoire pays de rechange. Syphax, l'auteur de ces photos, un enfant d'El Madher (24 km de Batna) montre un pays de l'humilité, celui des petites gens. Ceux qui constituent la majorité de nos concitoyens. On dirait d'ailleurs que ses photos, il les a prises à Témouchent, du côté d'Oulhaça, là où sommeille sous les tumulus le site de Siga qui fut la capitale de l'illustre Syphax, le premier grand aguelid de la Numidie. Il y a ces routes en lacet, ces collines et ces riantes vallées, ces villages haut perchés, ces vieux métiers qui persistent crânement à survivre, ce travail de la terre non mécanisé, orphelin des subventions étatiques. Il y a beaucoup de photos de femmes qui sonnent comme des hommages, pas ceux motivés par la galanterie mais par le respect qu'imposent les sujets captés, ceux d'une adolescente portant à l'ancienne son frère sur le dos, cette vieille écrasée par le poids d'une botte de foin, ces paysannes de retour des champs. Et puis, bien d'autres témoignent d'un patrimoine immatériel en péril parce que devenu exclusivement des sujets de recherche des anthropologues. C'est à cela, à l'humain que nous convie avec intelligence et sensibilité notre confrère Rachid Hamatou qui signait Syphax à l'époque où il n'était encore que photographe de presse. Né à la veille de l'indépendance, Rachid est entré dans la vie active comme fonctionnaire à la maison de la culture de Batna. Il a ensuite embrassé une carrière d'enseignant d'abord de français ensuite de photographie à l'école régionale des beaux-arts de Batna. Enfin, il vient à la presse à la faveur de l'ouverture démocratique d'après 1988 en tant que photographe dans un journal régional puis au Matin. C'est le regretté Saïd Mekbel qui, au vu du potentiel que révélaient ses instantanés, lui enjoint de passer à l'écriture. Rachid nomadisera à El Watan pendant deux années avant d'atterrir à Liberté où il est encore à ce jour en tant que journaliste photographe. Remarqué pour ses travaux, il a exposé tant en Algérie qu'à l'étranger, notamment en France et en Espagne.