Tisseuses de vie, tisseuses de mots� Les femmes du Maghreb �ne se contentent pas de parler et de raconter. Elles �crivent, publient et elles sont lues�, affirme Fatima Bekha� dans son intervention d�ouverture � l�occasion de la rencontre des femmes �crivaines de la M�diterran�e. Aujourd'hui, souligne-t-elle, les femmes �d�voilent enfin ce qu��tait jadis chuchot�, elles d�noncent m�me. Ce sont des b�tisseuses en mots. Elles portent en elles l�histoire, elles revivent en �criture�. Le ton est donn� par l�avocate et romanci�re oranaise, par cette premi�re intervention intitul�e �revivre en �criture�. Pour l�auteur de Un oued pour la m�moire et de la trilogie Izuran, le ph�nom�ne a commenc� apr�s la Seconde Guerre mondiale (en Alg�rie, apr�s l'ind�pendance) quand les femmes ont eu acc�s � l��ducation. R�sultat, la voix des femmes est maintenant �cout�e, parfois m�me r�clam�e. A partir de ce constat, peut-on dire qu�il y a une �criture au f�minin ? Les femmes �crivent-elles d�une mani�re particuli�re ? Questions parmi d�autres auxquelles des �crivaines du Maghreb et d�Europe ont tent� de r�pondre. C�est sur le th�me �R�cits de vie, fiction et po�sie comme contribution des femmes � la pens�e�, qu�une quinzaine d�auteurs ont �t� r�unies � l�occasion d�une rencontre litt�raire � Alger. Trois ateliers- conf�rences ont �t� organis�s, � cet effet, � l'Institut national sup�rieur de musique les 18 et 19 octobre 2010. Une telle initiative s�inscrit dans le cadre de la coop�ration entre le minist�re de la Culture et la d�l�gation de l�Union europ�enne � Alger, avec le concours de l�Agence alg�rienne pour la rayonnement culturel (AARC). Pour Fatima Bekha�, l��closion des �crivaines au Maghreb a �t� favoris�e par leur acc�s � un espace public, acc�s survenu apr�s l�acc�s � l��ducation et la ma�trise des langues. Elles ont ainsi r�ussi � investir tous les cr�neaux, dont la litt�rature. Dans cet �change d'exp�rience et de points de vue, l�universitaire Ouarda Ensighaoui- Himeur ajoute que les trois pionni�res que sont Fadhma A�t Mansour Amrouche, Assia Djebar et Malika Mokkedem ont auparavant cr�� �une double rupture dans la vision exotique de l�Alg�rie et des Alg�riens�. Elles sont surtout parvenues � sortir la femme de la position d�objet pour la placer dans une situation de sujet parlant (l�utilisation du �je� qui permet de s�affirmer). Mais ce travail d��criture n�est jamais solitaire, pr�cise la sociologue Fatima Oussedik qui, dans son intervention intitul�e �Que font les femmes des histoires de vie ?�, se r�f�re � La grotte �clat�e de Yamina Mechakra. Une grotte qui signifie la m�moire, alors que son �clatement symbolise l�affranchissement des contraintes de toutes sortes et du poids des anc�tres. �Mais alors, faut-il op�rer une rupture avec le clan ?� se demande l��crivaine Ma�ssa Bey. Oui, n�cessairement, estime une intervenante au d�bat. Seulement, il s�agit de savoir comment faire cette rupture, car il faut tenir compte des limites impos�es par la soci�t�, des violences int�gr�es� �Il n�y a pas eu de lib�ration sans fracas et sans rupture, rench�rit Ouarda Ensighaoui-Himeur. Certes, il y a des proc�s � faire, mais avec mod�ration.� Et de citer le r�cit autobiographique, un genre litt�raire difficile � publier dans les soci�t�s arabo-musulmanes. Car, ici, il y a la censure familiale, des conditions sociales et des codes que les femmes n�arrivent pas � transgresser. Est-ce pour cela que le livre Mes hommes, de Malika Mokeddem, n�a pas pu �tre traduit en langue arabe ? rel�ve Ouarda Ensighaoui-Himeur. Quoi qu�il en soit, un travail sur le langage existe, fait par les femmes, en t�moigne le travail sur la langue fait par Assia Djebar. Les contraintes sociales (li�es � la posture que la femme doit avoir dans la soci�t�), mais aussi les contraintes de la vie quotidienne expliquent peut-�tre le style d��criture de nombre d��crivaines. Une �criture en fragments, un peu �clat�e due � l�obligation pour la femme d�avoir d�autres occupations que l�acte d��crire. Des contraintes qui l'obligent d�aller directement � l'essentiel. Et si les femmes excellent dans les r�cits de vie, la fiction et la po�sie, c�est parce qu�elles ont la capacit� � cr�er ind�finiment, savent se recr�er. Elles ont d�j� la particularit�, au Maghreb, d��tre les d�positaires d�une m�moire, d�un patrimoine, d�un imaginaire collectif. �Entre r�cit et r�alit�, o� placer la fronti�re ?� s�interroge pertinemment Azza Fillali. Dans son intervention remarqu�e, l��crivaine tunisienne (�galement professeur de gastro-ent�rologie) se demande tout simplement comment faire une s�paration entre un texte �crit et une r�alit�. Pour �tayer sa r�flexion, elle prend l�exemple du petit gar�on mort dans les bras de son p�re et film� en direct. C��tait en janvier 2009, lors de l�agression isra�lienne contre Ghaza. Bien s�r, ici, l��crivain ne peut pas tout de suite intervenir � chaud (c�est l� le travail des m�dias). Trois choses sont alors essentielles pour l��crivaine. D�abord la r�alit�, qui est plurielle et multiple. Ensuite le r�cit, et donc le n�cessaire retour aux mots et qui sont une autre substance que le r�el (la �trans-substantion � du r�el, selon Azza Fillali), car le travail, ici, est comme celui d�un sculpteur. Il y a, enfin, cette fronti�re qui s�pare la r�alit� du r�cit, et qu�il faut trouver. Pour �crire son roman, �il faut trouver la bonne distance dans l�espace et dans le temps, pour �tre plus libre�, explique Azza Fillali. Le choix est variable, individuel, il n�y a donc que de la subjectivit�. �La fronti�re, ajoute-t-elle, se situe dans ce droit que je me donne et cette capacit� que j�ai de travailler sur un r�el que je dois transcender.� Pour elle, le r�cit doit � la fois rendre le r�el et rompre le r�el. �Nous sommes des inventeurs d�un r�el qui est n�tre. L�oubli du r�el est une phase r�tractaire : une fois que le r�el a pris son temps, notre travail � nous peut commencer. Aujourd�hui, tr�s humblement, je peux faire le r�cit du petit gar�on palestinien mort il y a presque deux ans�, conclut Azza Fillali pour qui la litt�rature ne peut att�nuer l�oubli. En effet, �l�oubli est juste une salle d�attente de la m�moire�. De ces histoires de vie, on fait donc de la litt�rature. �On a l�impression que chacun a une vie minuscule, r�sume Ma�ssa Bey. Et toutes ces vies minuscules font un monde. Nous sommes intimement concern�es par ces souffrances, ces violences, ces d�chirures...� Dans son intervention intitul�e �Faits divers. Faits v�cus�, l��crivaine belge Fran�oise Lalande apporte un autre �clairage � cet axe de r�flexion. Celle qui dit ressentir �l�horreur de vivre� dans un monde de brutes et de violences ne veut surtout pas rapporter les faits tels qu�ils se sont pass�s. Elle veut en t�moigner, mais pas � la mani�re anglo-saxonne du triller (tendance voyeuriste qu�elle rejette), ni en versant dans le sentimental et l��motionnel. Pour t�moigner en tant qu��crivaine, il faut donc �crire sans tricher avec soi-m�me. La romanci�re et po�tesse marocaine Rachida Madani consid�re pour sa part que le rapport de l��crivain � la r�alit� s��tablit dans le moment o� il �crit. Dans �R�cit de vie aux prises avec l��criture� (intitul� de son intervention), elle dit notamment : �Moi, quand j��cris, je ne r�fl�chis pas en ligne droite. Le r�cit se transforme en multiples versions de la m�me histoire, la narration est lib�r�e. C�est une autre fa�on de voir la r�alit�. L��crivain, finalement, n�est qu�un d�clencheur du sens.� Zineb Laouedj, po�tesse, souligne, elle, la n�cessit� pour l��crivaine de faire l�effort d�aller vers l�autre. Aller vers la beaut� par la cr�ation. �Ce qui distingue l�homme de l�animal, ce n�est pas l�intelligence mais l�amour et le partage �, rappelle Zineb Laouedj.