Propos recueillis par Kader Bakou Entre le cin�ma et Bachir Derrais, il y a une longue histoire. Le cin�aste nous parle de Carthage o� le film Le voyage � Alger a remport� deux prix. Le r�alisateur de Gourbi Palace donne son avis sur ce qu�on pourrait appeler �le retour du film de guerre�. Il nous parle aussi du septi�me art en Alg�rie et de ses projets. Le Soir d�Alg�rie : Une r�action sur la double distinction du film Le voyage � Alger de Abdelkrim Bahloul qui vient de remporter deux prix lors des Journ�es cin�matographiques de Carthage, film que vous avez produit ? Bachir Derrais : Si nous avons remport� ces deux prix (Tanit d�or du public et Tanit d�argent du jury), cela est d� au fait que malgr� le maigre budget obtenu pour le r�aliser, ce film s�est fait avec du c�ur et beaucoup de volont� et de professionnalisme de la part du r�alisateur et de toute l��quipe technique et artistique. Je remercie d�ailleurs Hamraoui Habib Chawki pour son concours qui a contribu� � l�aboutissement de ce projet. Ce faible budget n�a amput� en rien la qualit� du film. Nous avons fait appel � de grands professionnels tels Allal Yahiaoui, directeur photo ayant plus de 45 longs m�trages � son actif et Youcef Tobni, monteur qui avait r�alis� le montage de tous les films de Lakhdar Hamina, dont le c�l�bre Chroniques des ann�es de braise, Palme d�or � Cannes en 1975. Ceci, sans oublier notre mixeur et ing�nieur du son Claude Villand qui a trois c�sars � son actif et le grand compositeur Jean-Marie S�nia. Le voyage � Alger n�est pas � sa premi�re r�compense� En effet, je tiens � rappeler que Le voyage � Alger est � son 4e prix international, apr�s avoir remport� le Bayard d�or du meilleur sc�nario au festival de Namur 2009, le Valois d�or du prix de la meilleure interpr�tation f�minine au festival d�Angoul�me et les deux prix que nous venons d�obtenir aux JCC 2010 et je pense qu�il va recevoir d�autres prix dans les prochains festivals comme celui de Montr�al, par exemple. Est-ce qu�un film fait l�histoire ? Le cin�ma est l�art qui donne forme � l�histoire parce qu�il est celui qui peut montrer la r�alit� d�un moment en disposant les fragments de celle-ci selon une organisation originale : la mise en sc�ne. Il est l�art d�une forme sensible de l�histoire et sensible � l�histoire. Comme l��crit Jacques Ranci�re, il �tisse cette �toffe sensible du monde commun �. C�est un autre type de rapport entre histoire et cin�ma qui s�instaure alors : ce n�est pas le film qui tente de reconstituer l�histoire ni de l�archiver en une s�rie de d�tails r�v�lateurs, mais l�histoire elle-m�me qui s�impose dans le mat�riau cin�matographique � travers la forme de certains films, comme r�alis�s pour l�accueillir, pour qu�elle s�y rel�ve. Le film devient un espace d�attente de l�histoire, conscient, voire inconscient, o� celle-ci surgit par la mise en sc�ne, son agencement visuel et narratif particulier. Le cin�ma substitue au regard du spectateur un monde qui s�accorde � l�Histoire. Mais les gens sont davantage influenc�s par un film que par un livre d�histoire� C�est clair que le cin�ma a beaucoup plus d�influence sur le public que le livre. Tout d�abord, parce que dans le cin�ma, on adapte et on r�sume l�histoire. Ceci sans compter le spectacle, la musique et tous les effets sp�ciaux qui vont avec et qui rendent le r�cit facile � regarder. Le film est destin� � un public tr�s large et pas forc�ment instruit ou sp�cialiste de la mati�re. On constate un retour vers le film de guerre et le film historique... A mon avis, ce retour n�est autre que d�ordre financier. Ces films sont produits par le minist�re des Moudjahidine avec beaucoup de moyens, sauf que le r�sultat est catastrophique et loin des esp�rances de notre peuple qui a fait l�une des plus belles r�volutions au monde. Quant � moi, l�Amazigh que je suis, quand je regarde le feuilleton Fathma n�Soumer, A�ssat Idir et d�autres films sur notre r�volution, j�ai envie de casser le poste de t�l�vision. Je suis constern� par cette l�g�ret� vis-�-vis de nos l�gendes. Un film historique demande l�adh�sion de grands sc�naristes, historiens et documentalistes, ce qui est loin d��tre le cas chez nous. Et qu�en est-il des films sur le terrorisme en Alg�rie ? Quant aux films sur le terrorisme, je pense que nous n�avons pas fait assez par rapport � ce nous avons endur� durant les 15 derni�res ann�es, � part Rachida de Yamina Chouikh, El Manara de Belkacem Hadjadj et les trois films que j�ai produits : Morituri, Dix millions de centimes et L�autre monde de Allouache. Il y a une certaine pol�mique sur la qualit� des programmes et la politique de la nouvelle direction de la t�l�vision� Avant toute chose, la responsabilit� de la qualit� des programmes d�pend des producteurs et des r�alisateurs qui n�assument pas leur �chec. Ces m�mes personnes monopolisant le paysage t�l�visuel alg�rien depuis une quinzaine ann�es. Ces individus g�rent des budgets octroy�s par la t�l�vision en toute ind�pendance et se permettent de livrer des produits m�diocres ne r�pondant � aucune norme internationale. En Alg�rie, nous avons coutume de nous trouver des boucs �missaires, ce qui est facile et l�che. Ne pas assumer son incomp�tence et se d�douaner sur le dos de cette nouvelle direction de l�EPTV est une attitude indigne et, h�las, si courante de nos jours. Je trouve que les critiques ont la m�moire courte : le pr�d�cesseur de M. El Eulmi, Hamraoui Habib Chawki, avait mis 5 ans pour atteindre un niveau de production prosp�re. Par ailleurs, tout le monde sait que la t�l�vision alg�rienne, l�Unique, est une caisse de r�sonance au profit du syst�me alg�rien, � l�instar de l�Assembl�e nationale et du S�nat. Ces m�mes personnes critiquant M. le directeur de l�ENTV auraient-ils le courage de critiquer celui qui d�clarait il y a quelques ann�es qu�il est le v�ritable directeur de la t�l�vision alg�rienne, de la radio et de l�APS, � savoir le pr�sident de la R�publique, M. Abdelaziz Bouteflika ? Ainsi, jeter l�opprobre l�chement sur M. Eulmi, un homme int�gre qui ne peut � lui seul r�volutionner la t�l�vision, est une attitude des plus indignes. La t�l�vision est victime d�une politique d�sastreuse ces derni�res ann�es en mati�re d�embauche et d�encadrements de ces cadres ainsi que de l�absence de formation. Pour avoir rencontr� M. Eulmi � maintes reprises, je salue son sang froid et son courage car il se retrouve � devoir assumer la direction d�une entreprise handicap�e d�un lourd retard face aux t�l�visions �trang�res y compris les cha�nes du Maghreb et du Moyen-Orient. Au lieu de d�penser de l��nergie en critiquant la direction de la t�l�vision et en adoptant une attitude l�che et �go�ste, ces m�mes critiques feraient mieux de proposer des solutions pour am�liorer la qualit� des programmes. Ces personnes devraient adresser leurs reproches publics � l�Etat qui se refuse � toute ouverture m�diatique, ouverture accompagn�e de lancement de cha�nes priv�es, cr�ant ainsi de l�emploi, certes, mais surtout une concurrence indispensable � la qualit� et � la r�gularit� des productions. De quoi souffre le cin�ma alg�rien de nos jours ? Le cin�ma alg�rien a besoin d��tre soutenu. Il ne peut survivre sans l�apport financier du minist�re de la Culture, de la t�l�vision alg�rienne, et de tous les autres organismes d�Etat sensibles � la culture. Dans les grandes manifestations culturelles internationales, les cin�astes alg�riens se sentent abandonn�s. Derni�rement, aux Journ�es cin�matographiques de Carthage, les cin�astes alg�riens d�fendaient seuls leurs films tandis que les Egyptiens �taient soutenus et encadr�s par un fort lobby constitu� de diplomates, de cadres du minist�re de la Culture �gyptien et de leurs hommes politiques. D�ailleurs, les critiques et les cin�philes �taient unanimes : selon eux, le film �gyptien Microphone �tait un des moins bons films de cette s�lection riche et vari�e. Mais je suis plut�t optimiste quant � une �ventuelle implication plus cons�quente de l�EPTV en mati�re de production. Quels sont vos projets pour l�avenir ? Je pr�pare la production du prochain film du r�alisateur Alexandre Arcady adapt� du best-seller de notre grand �crivain Yasmina Khadra Ce que le jour doit � la nuit. Le tournage se fera � l�ouest du pays � El Maleh (ex-Rio Salado), � Oran et en Tunisie. Apr�s, je m�appr�te � produire un biopic sur le chanteur Matoub Loun�s, puis un autre sur le symbole de la r�volution alg�rienne Larbi Ben M�hidi. Ce film sur un des h�ros de la R�volution sera une coproduction internationale sur la base d�un sc�nario original de Mourad Bourboune. Mon dernier film Llob, que j�ai r�alis� et produit, est actuellement en phase de montage.