En signant son nouveau roman Cam�l�on, le deuxi�me apr�s La t�te des orphelins paru en 2006, Zoubir Souissi nous invite cette fois � regarder une r�alit� (la n�tre) en face. Plut�t une r�alit� � regarder en farce, le titre du livre donnant d�j� le ton d�une gaiet� libre et truculente que seul un personnage rabelaisien peut g�n�rer. Par le truchement de ce h�ros des temps modernes, qui �se d�guise� au gr� des �v�nements et des circonstances, l�auteur fait en effet l'autopsie de tous les maux et travers qui rongent la soci�t� alg�rienne depuis des d�cennies. Seulement, une telle d�calcomanie de la r�alit� s�op�re dans la d�rision et l�humour, car le rire permet de rester libre lorsque toutes les issues sont bouch�es et tous les r�ves bris�s. En l�occurrence, Cam�l�on est le r�cit d�un id�al avort�, d�une r�volution travestie et des illusions perdues. �Dans les r�volutions, il n�y a que deux sortes de gens : ceux qui les font et ceux qui en profitent�, disait Napol�on Bonaparte. C�est justement le th�me central de ce roman qui, � travers le personnage principal de Bouguerra (notre fameux cam�l�on), met � nu les m�canisme d�un syst�me fond� sur la rapine, le client�lisme, le n�potisme, l�opportunisme et beaucoup d�autres maux. La pieuvre a �tendu ses tentacules partout, au point de corrompre tout le corps social. Et c�est dans pareilles eaux troubles que les monstres froids de la politique, les arrivistes, les aventuriers et autres marchands de vent peuvent nager et s'entre-d�vorer sans �tat d��me. Cam�l�on est, � cet �gard, une sorte de chronologie de toutes les faces sombres de l�Alg�rie contemporaine, depuis les fr�missements annonciateurs de l�ind�pendance jusqu�� ces derni�res ann�es. Un demi-si�cle d�histoire o� r�alit� et fiction se m�langent et s�enchev�trent pour mieux donner du relief � une multitude d��v�nements r�els, de faits v�cus, de drames, mais aussi de palpitations, de r�ves, de bonheurs simples et de moments de vraie vie. En cela, le lecteur apprend parfois � d�couvrir et aimer le c�t� profond�ment humain de certains personnages du r�cit, lorsque Zoubir Souissi s�amuse � le prendre � contrepied dans certaines situations cocasses ou simplement humaines. Par exemple, le personnage grotesque, falot, veule et si changeant de Bouguerra est si bien croqu�, si bien mis � nu dans sa d�tresse (ou sa b�tise) qu�il en devient quelquefois attachant et sympathique. Eh oui, le pantin finit par se faire aimer parce que, justement, il est vrai, si vivant avec ses exc�s. �Dans la grande mascarade humaine qui se joue � ciel ouvert� (p. 253), autant donc avoir de l�esprit et pr�f�rer l�humour, du moment que �c�est � une vraie partie de poker menteur que tout le monde est convi� (p. 247). La cl� de l�histoire est l�, dans cette th�rapie que seul l�humour alg�rien peut proposer, pour que l�autod�rision arrive � faire un pied de nez � la b�tise humaine, � l�honneur de la tribu et aux int�r�ts du clan. Tout le reste, c�est-�-dire les 18 chapitres de ce volumineux ouvrage sont autant de fen�tres (ou de sc�nes, comme dans une pi�ce de th��tre) que le lecteur est convi� � ouvrir pour se retrouver en pleine action. Pour cela, il faut avoir le souffle d�un coureur de fond, certes, mais la lecture devient de plus en plus passionnante et jusqu�au sprint final, l� o� le h�ros endosse un ultime d�guisement bien malgr� lui. Et c�est ainsi que Zoubir Souissi croque les petits d�tails de la com�die humaine dans ce roman plein de verve et qui respire la jeunesse. En plus de ses talents de conteur, il peint ici un portrait au vitriol d�un syst�me politique d�g�n�r� mais qui sait se ressourcer et muter comme un virus aux capacit�s infinies. On l�aura compris, le v�ritable cam�l�on, c�est lui. Quant � notre soci�t�, sa pudibonderie, son hypocrisie, ses tabous, sa bigoterie et tous les maux qui la rongent, l�auteur n�h�site pas non plus � la passer au bistouri, � la diss�quer quitte � dire les choses par leur nom. Ici, son m�rite est de faire de la litt�rature, en appelant un chat un chat, en �tant par cons�quent honn�te vis-�-vis de luim�me et audacieux � l'�gard de la soci�t�. A ce titre, le roman Cam�l�on fait partie de cette litt�rature qui est en train d�acqu�rir ses lettres de noblesse gr�ce � des valeurs esth�tiques de plus en plus affirm�es, qui plongent leurs racines dans une authentique culture nationale naturellement ouverte sur l�universel. Hocine T. Cam�l�on, de Zoubir Souissi, Casbah �ditions, 2010, 418 pages, prix public 680 DA.