Qui se souvient d�Aline-A�cha, la conseill�re municipale Nadji Mekki, celle qui mit � mal le DOP (D�tachement op�rationnel de protection) de Bou-Sa�da en 1959 ? Apr�s une longue maladie, Aline-A�cha est d�c�d�e le 9 janvier 2005 en France, � Elancourt (Yvelines) dans l�indiff�rence la plus totale du pays, l�Alg�rie, pour lequel elle s��tait battue. Elle qui avait alert� la France de la justice et le monde entier pour d�noncer les exactions de l�arm�e fran�aise, celle des fameux DOP, d�tachements op�rationnels de protection, connus pour �tre des centres de torture cr��s durant la guerre d�Alg�rie afin de �mater la r�bellion alg�rienne�. Mais l�Alg�rie ind�pendante et surtout Bou-Sa�da, dont elle tira des griffes des DOP 72 citoyens, ne s�en souviennent m�me plus ! Elle v�cut dans son Alg�rie lib�r�e jusqu�au moment o� elle comprit que le pays ne correspondait plus aux valeurs pour lesquelles elle s��tait battue. C�est en France qu�elle va se r�fugier et o� elle mourra dans l�indiff�rence. Elle y repose, depuis 2005, aupr�s des siens, au cimeti�re communal d�Elancourt. Qui �tait cette militante ? Il ne fait pas de doute que ses valeurs de lutte contre l�injustice, elle les tient de ses parents, r�sistants de deux guerres. Son p�re, Abdelhafid ben Mohamed dit Haffa, originaire de Bou- Sa�da, est n� en 1895. Il est mobilis� lors de la Premi�re Guerre mondiale pour sauver la �M�re Patrie�. Il rencontre Georgette-Marie-Blanche Bonnet, une militante emprisonn�e � dix-sept ans dans les ge�les prussiennes. Mais c�est durant la Deuxi�me Guerre mondiale que le couple et ses cinq enfants vont reprendre le combat. C�est � Bobigny, dans l�appartement de la petite famille � l�H�pital franco-musulman nomm� aujourd�hui Avicenne, fond� en 1935 et o� travaillait Haffa, que se constitua le r�seau des musulmans et juifs r�sistants, constitu� de malades, de m�decins et de personnel hospitalier pour assurer les soins des bless�s. Les m�decins, le Dr Somia Ahmed et le Dr Bensalem, tunisiens, ou encore le Dr Ali El Okbi, alg�rien, tout comme les enfants de Haffa et notamment Aline-A�cha, vont constituer une cha�ne de r�sistance au sein m�me de l�h�pital, qui cache, approvisionne en m�dicaments et �vacue les r�sistants, musulmans et juifs, vers l�Alg�rie, en collaboration avec Ali Gitoune, originaire de G�ryville, alors chef du �service des affaires nordafricaines �. C�est ainsi que le Dr Thalheimeir, juif, chirurgien � l�h�pital, fut sauv� de justesse par Haffa qui l�avertit que les nazis le recherchaient. C�est dans cette ambiance de r�sistance et de d�vouement que les enfants Haffa vont apprendre les valeurs de la lutte contre l�occupant. Les Alg�riens ne manqueront pas dans cet h�pital et, parmi eux, les Bou-Sa�dis, nombreux � y trouver refuge gr�ce au concours d�Abdelhafid Ben Mohamed Haffa, solidarit� tribale oblige ! C�est alors qu�Aline- A�cha, n�e en 1926, va rencontrer Nadji Mekki, n� en 1914 � Bou-Sa�da, venu se r�fugier dans cet h�pital asile des musulmans apr�s s��tre sauv� du camp d�Ecrouves o� il avait �t� emprisonn� pour faits de r�sistance. Le couple va s�installer en Alg�rie, � Bou-Sa�da o� Mekki �tait propri�taire d�un caf�, le fameux �Caf� d�Alger�. Un autre combat l�attendait, celui de la guerre d�Alg�rie. D�s les premiers moments de la guerre, Aline-A�cha compris que le combat �tait aussi politique. Connue pour son dynamisme, elle va occuper les fonctions de conseill�re � la Mairie de Bou- Sa�da, aupr�s de Mohammedi Mostefa, interpr�te judiciaire, �lu ensuite maire. C�est en 1958 que son combat se pr�cisa : soutenue par son mari et toute la famille Nadji, elle afficha son alliance politique avec le maire dans la liste dite des �lib�raux� contre celle dite de �Kaddour�. Ce sont deux listes qui, en r�alit�, ne pouvaient exister sans l�aval du FLN/OPA (organisation politico administrative) de Bou-Sa�da, dirig�e par le lieutenant Amor Driss, chef de la Wilaya VI, install� chez les Ouled Na�l entre le Djebel Boukhaiel et Djebel Messa�d. Le militaire avait besoin du politique pour survivre ! La liste de Mohammedi, soutenue entre autres par le Dr Nicola�, m�decin exer�ant en cabinet priv� � Bou-Sa�da, et Georges Chicheportiche, juif issu d�une grande famille influente de la ville, fut �lue � une �crasante majorit�, et ce, gr�ce, en particulier, au dynamisme de Aline- A�cha. Sous les yeux de l�arm�e, tr�s pr�sente, elle arpenta sans crainte les rues de Bou-Sa�da dans sa petite voiture, mobilisant les tribus, notamment celle des Oulad Na�l (les Ouled Ahmed, Ouled Ameur, Ouled A�ssa, Ouled Firadj), du c�t� de son mari, ainsi que du c�t� de son p�re, les citadins de Bou-Sa�da. M�mes les enfants et les femmes de la famille Nadji �taient mis � contribution, qui pour coller les affiches de la �liste jaune� qui pour tenir les urnes. Elle est alors �lue conseill�re municipale de Bou-Sa�da, fait surprenant dans une ville connue pour son conservatisme � l��gard des femmes, de surcro�t dans une commune mixte c'est-�-dire � majorit� �indig�ne�, dirig�e par un administrateur militaire. On n�en conna�t pas d�autre exemple m�me dans les communes de plein exercice � majorit� europ�enne. Nous sommes en 1959, les combats font rage. Et les Bou- Sa�dis ne savent plus � quel saint se vouer ! Cern�s de tous les c�t�s, entre les nombreux groupuscules qui se sont form�s apr�s la mort de Bellounis, en juillet 1958, tels celui de Meftah, de Abdellah Selmi, ou encore de Si Ch�rif (Ali Mellah), avec son Fafam (forces auxiliaires francomusulmanes), install� � A�n Boucif. C��tait la guerre des gangs pour le pouvoir, orchestr�e bien s�r par l�arm�e coloniale dont le seul but �tait la liquidation co�te que co�te du FLN/ALN, �l�ennemi intime� le plus dangereux que Salan et ses g�n�raux se donn�rent comme objectif d�abattre. Bou-Sa�da sera l�un de ces sanglants th��tres de mort. Les liquidations sommaires, le racket des populations, les intimidations et les tortures seront monnaie courante dans la paisible Bou-Sa�da, l�enchanteresse cit� du bonheur ! Bou-Sa�da, avec ses populations, va souffrir plus que jamais lorsque l�arm�e, dirig�e par le fameux lieutenant-colonel Watel, chef de secteur du DOP de Bou- Sa�da, tua, dans la triste op�ration des monts des Oulad Na�l, au djebel Thameur, pr�s de A�n Rich, Si El-Haoues et Amirouche, le 29 mars 1959 tandis que Amor Driss fut captur�, puis tortur� jusqu�� ce que mort s�ensuive en juin 1959. Apr�s cette op�ration, il s�agissait pour le DOP du secteur de d�manteler le FLN/OPA de Bou-Sa�da. Pour des raisons tactiques militaro-politiques, il fallut attendre la fin des �lections municipales d�avril 1959. Une vaste op�ration fut alors men�e contre les populations de Bou- Sa�da et celles environnantes des Ouled Ameur, Ouled Sidi Brahim, Ouled Ahmed, Ouled Firadj, etc., afin de retrouver les t�tes dirigeante du r�seau FLN/OPA de Bou-Sa�da. Qui se souvient de ces fameux deux mois de l�ann�e 1959 o� Bou-Sa�da �tait en sursis ? Plus de 200 personnes (la cit� comptait 80 000 habitants) furent interpell�es entre mars et avril 1959. 72 furent retenues dans les ge�les du quartier r�serv� de Bou-Sa�da, devenu � l�occasion un sinistre lieu de torture. Trois d�entre eux n�ont pu survivre aux tortures subies, Ahmed Meche, El Bahi Attia et Kermadouche Rabah, tu�s apr�s leur �tentative de fuite�, selon l�explication classique fournie par l�arm�e coloniale. Tandis que 15 vont subir les pires supplices avec leur transfert vers les camps sinistrement c�l�bres de Bossuet et de Sidi Chami d�Oran et Dou�ra. Pour ne citer que quelques-uns, Nadji Mekki, Brahimi Ahmed, Lomri Hamza, Khatibi Bena�ssa, Merkouf Mohamed, Mohamed Ben Lakhdar, Bisker Benadji... C�est le tristement c�l�bre g�n�ral Zeller de la Bataille d�Alger qui va s�occuper en personne de ces nouveaux r�sidents. C�est l� o� A�cha-Aline va intervenir. Apr�s avoir constat� les tortures subies par son mari, Nadji Mekki, et l��tat des autres Bou-Sa�dis lors de leur d�tention � Bou-Sa�da, elle comprit qu�elle �tait dans le collimateur du DOP de Bou-Sa�da et en particulier du lieutenant-colonel Watel pour qui elle �tait la plus dangereuse de toute la ville. Elle va donc quitter la cit� en toute urgence, cach�e par la famille dans la malle d�une voiture. Elle rejoint le r�seau d�Alger qui va la transf�rer en France, dans sa famille, chez sa m�re et ses fr�res et s�urs. L�une de ses s�urs, Aliette Haffa, fera office de messager et l�h�pital franco-musulman de Bobigny va, encore une fois, servir de bo�te aux lettres. Quant � la famille Nadji Mekki, elle va subir les pires harc�lements de la part du DOP. El Hadj Achour, gravement bless�, est emprisonn� et l�un de ses cousins est tu� dans la bataille de Zemra, les 27 et 28 mars 1959, tandis que son fils Belkacem est port� disparu � ce jour. Puis dans un r�glement de compte mis�rable entre fractions FLN, son fr�re Nadji M�hammad, membre du Parti communiste, dirig� alors par Baiod A�ssa, est l�chement assassin� en 1960, sous l��il complaisant de l�arm�e. Une grenade jet�e dans la maison familiale d�Aline-A�cha, visant un membre de la famille, va m�me faire des bless�es parmi les femmes et enfants qui s�y trouvaient. Ils en portent encore les stigmates. Arriv�e en France, son premier combat est d�alerter l�opinion publique. Sous l�impulsion de Jean-Jacques Servan- Schreiber, c�est le Monde qui va se saisir de �l�Affaire de Bou- Sa�da�. Dans sa livraison du 30 avril 1960, il titre : �La R�publique du silence. On torture � Bou-Sa�da�. Ne s�en tenant pas l�, elle multiplie l�envoi de lettres � tous les r�seaux mais celui qui va �tre le plus efficace et dont la notori�t� est sans doute la plus forte, c�est le magistrat Maurice Patin, pr�sident de la Commission de sauvegarde de droits et libert�s individuelles, cr��e en 1957 et redynamis�e par l�arriv�e du g�n�ral de Gaulle au pouvoir. Il va se saisir de l��affaire� pour enqu�ter sur les exactions de l�arm�e fran�aise et les s�vices qu�elle fait subir aux Alg�riens et � leurs sympathisants. Les affaires Audin, avec le comit� portant son nom, dirig� par Vidal Naquet, Djamila-t, Louisette Ighil Ahriz, le r�seau Jeanson, la question d'Henri Alleg, Albert Camus et ses interventions, sont autant d�occasions pour la commission de d�noncer la torture, quelle qu�elle soit. Mais Aline-A�cha ne s�arr�te pas l�. C�est une course contre la montre qu�elle va mener car il faut faire vite pour faire sortir les Bou-Sa�dis de la prison o� ils croupissent depuis avril 1959. Au camp de Bossuet, dans le bloc 01, on ne r�siste pas tr�s longtemps. Elle va demander alors audience au g�n�ral de Gaulle, sensible aux demandes des anciens r�sistants. Une commission, form�e de deux magistrats, est alors diligent�e en Alg�rie pour enqu�ter sur ce qui va devenir �l�Affaire de Bou-Sa�da�. La presse fran�aise et les comit�s de soutien, fran�ais et internationaux, vont se multiplier pour venir en aide aux Alg�riens et notamment pour les faire venir en m�tropole afin de purger leur peine dans des prisons plus �cl�mentes�. Nos enqu�teurs vont se d�placer entre Bou-Sa�da, Alger et Bossuet pour rencontrer et entendre les uns et les autres. Il faut masquer, il faut impressionner, les plus grosses prises sont � �l�honneur de l�arm�e� qui, du point de vue militaire, avait an�anti la r�bellion. �Amirouche, Amor Driss et El Haoues �, liquid�s en mars et juin 1959, le FLN/OPA de Bou-Sa�da, compl�tement d�mantel�, et tous les membres du Comit� des 5 et le Comit� des 3 sont �mis hors d��tat de nuire� et emprisonn�s. Tandis que, les maquis MNA, r�cemment ralli�s au FLN, notamment dans la bataille de Zemra �taient compl�tement annihil�s, 110 personnes y trouveront la mort. L�arm�e, qui dit n�avoir fait que son travail, se f�licite de ses �succ�s� devant la commission laquelle, venant de Paris, se trouve bien g�n�e pour r�pondre � l�opinion mondiale qui la suit de pr�s. Mais Maurice Patin, le pr�sident de la commission de sauvegarde, a le dernier mot car Aline-A�cha n�en d�mord pas. D�autres articles de journaux vont suivre. Le g�n�ral Zeller et son commandement de Bou- Sa�da vont finalement l�cher prise : les 15 prisonniers du bloc 01 de Bossuet seront enfin lib�r�s le 25 juin 1960, avec interdiction de s�jour � Bou-Sa�da. Aline-A�cha n�en finit pas avec son combat pour son Alg�rie : elle rejoint le GPRA � Tunis. Mais son couple ne r�siste pas � la guerre. En 1962, elle rentre avec ses enfants dans son pays o� elle va vivre, le c�ur gros, la d�b�cle de son Alg�rie lib�r�e. Elle est alors employ�e dans une administration alg�rienne o� elle reste jusqu'� sa retraite. Mais en 1988, elle prend la d�cision de quitter son pays. D�munie de tout, elle rejoint p�niblement la France, son autre patrie plus bienveillante. Elle y vivra, s�y soignera et y mourra le 9 janvier 2005. Elle y repose aupr�s de sa fille Sa�dia. Ne laissons pas dans l�oubli notre grande tante Aline-A�cha Nadji Mekki n�e Abdelhafid ben Mohamed Haffa ! F. B. * Ferhati Barkahoum est anthropologue, directrice de recherche au CNRPAH, Alger Elle a publi� les ouvrages suivants : - Le mus�e Etienne-Nasr Eddine Dinet de Bou-Sa�da, Gen�se,(1930-1993). Alger, Inas �ditions, 2004. - De la �Tol�rance� en Alg�rie pendant la p�riode coloniale fran�aise. Alger, Dar Al Othmania, 2007 Le costume f�minin de Bousa�da, Alger, Mille-Feuilles.