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Le concept colonial se nourrit toujours de paradoxes
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 23 - 06 - 2010

Eh oui ! Même les tortionnaires, quitteront ce monde un jour. Bruno, tel était le nom de code de Marcel Bigeard, ancien commandant du 3e régiment des parachutistes coloniaux (RPC), n'est plus.
Il s'est éteint en ce vendredi 18 juin, jour sacré du calendrier musulman et soixante-dixième anniversaire de l'Appel du général De Gaulle, auquel il n'avait pas répondu en son temps. La France était, alors, terrassée par le Panzer nazi. Signe de Dieu ou simple immanence de la faucheuse ?
Mort, sans avoir exprimé un seul regret, aux victimes qui ont survécu à la gégène de l'école Sarrouy et autres détachements opérationnels de protection (DOP), Marcel s'en va rejoindre le panthéon des Pol Pot de l'humanité. Eux, ils se sont arrogés le droit du déni, nous, nous conserverons jalousement la relique mémorielle.
Mohamed Abdedaim, ancien officier de l'ALN, livre dans un témoignage poignant, ce que des multitudes ont subi : «Comme tous les Algériens torturés, j'ai essayé d'oublier et de refaire ma vie au moment de l'indépendance: c'était comme après un divorce. Ils m'ont arrêté en mai 1960. J'avais 22 ans. Surpris en plein sommeil, j'ai pris une balle dans le bras. J'étais responsable politico-militaire, chargé des liaisons et du renseignement, après deux ans de maquis dans le djebel de Bou Saâda. Ils m'ont transporté à Bou Saâda même. Il y avait un colonel et un commandant, je ne me souviens pas de leur nom, ils m'ont d'abord soigné le bras. Le premier interrogatoire s'est déroulé dans la cave de l'hôtel. C'est une honte pour moi de dire que j'étais nu. Toute la nuit, j'ai subi la «gégène» pour rien. Ils voulaient connaître nos caches d'armes, notre état d'esprit, nos effectifs, je me suis très vite rendu compte qu'ils en savaient plus que moi. Quelques heures plus tard, voyage en hélico jusqu'à la caserne de Djelfa. Je suis reçu par des coups de pied, des gifles, des insultes, un transit par le deuxième Bureau, puis direction le détachement opérationnel de protection- DOP» (Livenet.fr /propos recueillis par Ghania Mouffok) De l'autre côté, de timides voix se sont élevées contre la torture, tellement ténues qu'elles n'ont pu transpercer le mur du silence en leur temps.
”Parfois indigné, toujours écœuré, on finissait par s'habituer aux cris, aux gémissements des suppliciés». C'est en ces termes, qu'un ancien praticien des sévices, livre son sentiment, après un mutisme qui aura duré quinze après la fin de la guerre.
«Dans une lettre inédite destinée au journaliste Jean-Pierre Vittori, un ancien des détachements opérationnels de protection décrivait, en 1977, les méthodes de ce service spécial de l'armée, chargé de démanteler les réseaux du FLN. Accablant. Ce document n'était pas destiné à être publié. Il a été écrit en 1977 par un ancien spécialiste de la torture pendant la guerre d'Algérie, décédé il y a quelques années. L'homme, qui voulait rester anonyme, y présentait en détail les activités et les méthodes du service spécial dans lequel il a travaillé pendant cinq ans : un DOP (détachement opérationnel de protection). Cet organe militaire de renseignement, créé fin 1956 et devenu opérationnel l'année suivante, avait pour mission de démanteler les réseaux secrets du FLN - par tous les moyens.”(Le Nouvel Observateur (semaine du 14 décembre 2000-n°1884)-www. nouvelobs.com).
Dos à dos à présent, l'histoire nous départagera un jour. Le ministre de la Défense français, Hervé Morin a, dans une déclaration-épitaphe, rendu hommage au général Marcel Bigeard, décédé à l'âge de 94 ans. Il annonçait, entre autre, que son nom valait à lui seul «tous les titres de gloire et tous les grades». De quelle gloire parlez-vous M. Morin ? De celle de l'humiliation de la cuvette de Dien Bien Phu en 1954 ou de celle du plasticage du 5 rue des Abderrahmane à la Casbah d'Alger, un certain 9 octobre 1957 ? Il s'y trouvait un enfant, une femme et deux hommes seulement, contre une armada de parachutistes armés jusqu'aux dents. Les dommages collatéraux, s'élevaient à plusieurs civils dont les demeures furent soufflées par la déflagration. L'explication cynique de la forte charge, a été rapportée aux bombes détenues par les terroristes et qui auraient explosé par «sympathie». Ou sont donc passées, ce jour là, les qualités que vous reconnaissez aux parachutistes coloniaux en paraphrasant leur chef disparu et que nous évoquerons plus loin.
Tout comme son président, M. Morin qui n'a pas goûté aux affres d'une guerre injuste menée à tout un peuple, ajoute avec un ton teinté de nostalgie coloniale, ceci : «Mon général, sachez que l'amour passionné et jaloux de votre chère France, que vous laissez en héritage, sera précieusement transmis». Cette profession de foi, aurait eu un sens sublime, si elle avait évoqué la participation de Bigeard à la libération de la France occupée ; notamment, son parachutage en Ariège parmi les Forces françaises de l'intérieur (FFI) en 1944. D'ailleurs, le peuple algérien n'a pas manqué de s'en réjouir à sa libération par les Alliés ; malheureusement, il en a été mal payé en retour, un certain mai 1945. . Le jeune ministre, persiste et signe en affirmant solennellement que l'héritage, sera précieusement transmis. De quel héritage parlez-vous M. le Ministre ? Celui de la méthodique destruction d'un pays qui, à la veille de votre «Conquête», construisait ses propres navires et fabriquait ses propres armes ? N'entretenait-il pas des relations diplomatiques avec les puissances du moment dont la vôtre notamment? La population que vous avez spoliée de ses biens, matériels et culturels, était de l'aveu même des chefs des corps expéditionnaires, plus policée et alphabétisée que celles de vos rustres provinces ? Vous concluez en saluant, tous ceux qui (à coté de Bigeard) sont tombés pour une certaine idée de la France. Là, il ne fait aucun doute, que l'idée certaine ne peut être que celle d'une France outrageusement coloniale.
Vous remarquerez avec nous, que les seuls titres de gloire dont peuvent se targuer, les Bigeard et consorts, ne dépasseraient guère les frontières de l'Hexagone occupé. Quoique là encore, les Indigènes d'Outre mer, vous les disputeront et ce, de 1871 à 1954. Des survivants de la sale guerre d'Algérie, issus des mechtas d'El Milia, des ksour de Ain Sefra ou des Monts de Saida se rappellent toujours, ces «centurions», beaux comme des dieux et maléfiques comme Satan. Ils se mettaient à plusieurs, pour violer une fille ou traîner un vieillard par son «chèch», ou sodomiser un jeune homme. Telles étaient, les abjectes manières de domination bestiale ou d'expression raffinée de xénophobie. La devise militaro-philosophique du commandant en chef du 3è Régiment de parachutistes coloniaux que vous rappelez, non sans une pointe d'admiration, était la suivante : Pour «être et durer», il faut être souple comme le cuir et trempé comme l'acier. La souplesse du cuir, ne pouvait évoquer dans son esprit, que le sifflement de la cravache ou la strangulation silencieuse par ceinturon, d'un supplicié sous la torture. L'acier trempé, quant à lui, ne pouvait rappeler que le blindage d'un engin qui semait la mort à plusieurs centaines de mètres, sans grand risque pour le tireur. Blessé au combat et victime d'un attentat manqué, le général portait les stigmates d'une guérilla populaire contre une machine de guerre coloniale dont il en a été, l'un des principaux points d'appui. Martial, il cultivait l'art de la survie en apportant lui-même le danger, par des bombardements à l'aveugle.
Le ministre termine son oraison funèbre, par une sublimation du style Bigeard pour les para-colo (parachutistes coloniaux). «Ce style, cet esprit, il (Bigeard) les résumait par ces mots : l'astuce et la fougue, l'audace et la furia francese, l'intelligence du combat, le sens du terrain, le flair du danger, le goût de la manœuvre, la souplesse de l'approche, c'est tout cela qui rend le parachutiste français le plus para des aéroportés». Voilà, un jeune ministre, qui en toute apparence n'a rien d'un colonialiste, se reconnaît implicitement dans les propos d'un va-t-en guerre qui aurait du être jugé, tout comme les criminels de guerre de par le monde. Ah ! Nous allions presque oublier que les paras français se trouvent toujours en Afghanistan, tout comme ils étaient dans l'Akfadou, les Monts de Collo, au Djebel Tessala et au Djebel Boukhil, il y a plus de cinquante ans déjà. Et que l'on ne vienne pas dire que le général ne faisait qu'exécuter les ordres qui émanaient de la sphère politique ; il ne faisait la guerre que par procuration. N'était- ce pas lui qui disait : «La torture…est un mal nécessaire !» ou encore : «Tout le monde savait qu'on utilisait la gégène… qu'on cesse de m'emm… avec çà !» Le mutisme, aurait été plus honorable, que les glorioles tachées du sang des innocents. Le général de Labordière, qui s'est opposé à la torture par sa tonitruante démission, a mieux servi la France des Lumières, que tous les spadassins à médailles dorées.
Quant au discours subliminal, de M. Morin, voilà, ce que peut encore penser, un homme politique né entre la fin de la guerre d'Algérie et Mai 68, qui n'a subi aucun sort pour se démarquer ainsi. En chantant les vertus guerrières d'un corps expéditionnaires dont la plupart des recrues, sont des aventuriers étrangers sans âme, il ne fait que glorifier des zombies, dont rien ne justifient présentement, les louanges dithyrambiques et nauséeuses.
En dépit de velléitaires tentatives de domination armée, sous le couvert de légitimité internationale, le fait colonial fait, désormais, partie du patrimoine muséal. Dans sa livraison du 19 /6/2010, un quotidien du soir parisien, rapportait les propos suivants attribués au général disparu : «Il faut se souvenir des sacrifices de cette bataille. Je suis fier de mes paras, les morts comme les vivants, qui ont tout donné. A ma mort, je veux qu'on jette mes cendres sur Diên Biên Phu. Ça aura de la gueule. Et avant que mes cendres ne se dispersent, je crierai : Vive la Liberté !» Apparemment, le vocable «liberté» avait, pour le général de corps d'armée, plusieurs connotations.


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