[email protected] Je l'ai rencontr�e par hasard lors de mes p�r�grinations sur la toile, plus pr�cis�ment sur le site du quotidien cairote Al-Destour. Ce journal �tait consid�r� jusqu'� octobre dernier comme une place forte de l'opposition � Hosni Moubarak et � son fils, sous la f�rule de son r�dacteur en chef, Ibrahim A�ssa (1). Ce dernier avait annonc� son soutien au prix Nobel �gyptien, Mohamed Barada�, revenu d'exil et proclam� successeur putatif et lui avait offert une tribune. Tout paraissait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais c'�tait mal conna�tre le r�gime �gyptien et les mauvais tours qu'il peut jouer � la libert� et � la d�mocratie, au nom de sa survie. La recette est simple et fonctionnelle : vous voulez faire taire un journal qui vous h�risse le poil, rachetez-le ! En ao�t 2010, Al-Destour est vendu � Sayed Al-Badaoui, un richissime homme d'affaires �gyptien et dirigeant du parti lib�ral Wafd, un parti d'opposition soft qui ne pique pas lorsqu'on s'y frotte. Quelques semaines apr�s l'arriv�e des nouveaux patrons, Ibrahim A�ssa est d�barqu� du quotidien, mais il garde le contr�le de son site Web. Une poign�e de journalistes le rejoint dans son exil sur internet pour poursuivre le combat politique, et parmi ces plumes, une certaine Nouara Negm, digne fille de son p�re, le po�te Ahmed Fouad Negm. Nouara, Intissar (2) Negm animait dans Al-Destour, version Ibrahim A�ssa, une rubrique �Rions avec le peuple�, o� elle donnait libre cours � la veine populaire de la �Noukta� �gyptienne. Dans le magazine �lectronique o� elle a suivi Ibrahim A�ssa, Nouara a tourn� la page, et le rire a laiss� la place � l'indignation et � un engagement politique plus intense. C'est ainsi qu'elle s'est lanc�e avec fougue dans la traduction syst�matique de toutes les publications de Wikileaks impliquant Moubarak et ses proches. Titulaire d'une licence de litt�rature anglaise, Nouara est une traductrice professionnelle au sein du bouquet satellitaire �gyptien Nile, � vocation culturelle. Depuis le quotidien Al-Destour dissident, elle a annonc� son projet de traduire en arabe le livre de Frantz Fanon, Peaux noires et masques blancs, apr�s l'avoir lu dans la version anglaise. Vendredi dernier, Nouara Negm a d�nonc� le comportement raciste des supporters �gyptiens lors du match de football opposant Al-Ahly et le Zamalek, deux clubs rivaux du Caire. Shikabala, le gardien nubien du Zamalek, a �t� trait� d��esclave noir� et de �portier d'immeuble�. Il avait r�agi en lan�ant sa chaussure en direction des gradins, renouvelant le geste du journaliste irakien contre le pr�sident Bush. �Certains se sont offusqu�s de ce geste de Shikabala, mais j'aurais aim� qu'il dispose non pas d'une chaussure, mais de 50 000 afin qu'il les jette � la face des spectateurs pr�sents�, s'est-elle indign�e. �Je sais que beaucoup d'entre vous se prennent pour Leonardo DiCaprio lorsqu'ils se regardent dans un miroir. Ils se voient avec des cheveux blonds et des yeux bleus, mais ils se leurrent : les Egyptiens sont des hommes de couleur, des Africains�, a-t-elle lanc� � ses concitoyens. Une mise en garde pr�monitoire puisque la phobie de l'autre et l'intol�rance allaient lui apporter une r�ponse sanglante quelques heures plus tard. Peu apr�s minuit, une voiture pi�g�e a explos� devant l'�glise des Saints, la plus fr�quent�e d'Alexandrie, � l'issue de la messe traditionnelle copte. Ce nouvel acte de violence d'une ampleur sans pr�c�dent est d�nonc� par la classe politique �gyptienne unanime, qui c�l�bre la coexistence pacifique entre la majorit� musulmane et la minorit� copte. Le r�gime s'est empress� de d�noncer la main de l'�tranger, mais personne n'est dupe : le fondamentalisme musulman et son �quivalent copte en r�action pr�parent des jours sombres pour l'Egypte. Encore une fois, Nouara Negm, qui n'a rien d'une f�ministe la�que, est mont�e au cr�neau, comme elle l'a fait ces jours-ci en signe de solidarit� avec les �meutiers de Tunisie. Elle d�nonce sur son blog, qui se veut �tre un �Front de lib�ration du peuple par le sarcasme� (3), une violence communautariste programm�e. Notre cons�ur refuse notamment d'admettre que l'attentat de la Saint-Sylvestre est une op�ration mont�e par des mains �trang�res. La seule main de l'�tranger que nous connaissons, dit-elle, c'est celle de ce pouvoir �tranger au peuple et insensible � ses malheurs. La jeune femme n'ignore pas, en effet, le r�le des officiels et des milieux religieux dans le d�veloppement des germes du confessionnalisme. C'est pour cela que dans un premier temps, elle a fait injonction aux fondamentalistes de ne pas manifester leur compassion � l'�gard des victimes. Elle pose surtout une question cruciale qui doit �tre sur toutes les l�vres coptes et qui s'adresse aux musulmans : �Mais qu'est-ce que nous vous avons fait pour que vous nous traitiez de la sorte ? Voulez-vous nous traiter comme les chr�tiens d'Irak et nous forcer � l'exil ? Sont directement interpell�s de la sorte les dirigeants d'Egypte qui pratiquent une politique s�gr�gationniste vis-�-vis des coptes. Un doigt accusateur est point� aussi vers les dirigeants et les th�oriciens de l'islam politique, qui pensent que tout citoyen non musulman est un citoyen de deuxi�me cat�gorie. Ceux qui n'ont pas eu une seule pens�e r�confortante pour les chr�tiens d'Irak, soumis � une pers�cution permanente. Et pourquoi �prouveraient-ils de la sympathie pour les chr�tiens d'Irak, alors qu'ils n'en ont aucune pour leurs concitoyens coptes ? N'est-ce pas un des ul�mas d'Al-Azhar qui disait, il n'y a pas si longtemps, qu'un responsable �gyptien qui autoriserait la construction d'une �glise s'offrirait un visa pour l'enfer. Quelques jours avant l'attentat, une des plumes islamistes d'Egypte avait d�plor�, en guise de v�ux de fin d'ann�e, l'islamophobie qui r�gne en Europe. C'est avec un tel aveuglement que se pr�parent des horreurs comme celle d'Alexandrie. Cette plume exalt�e, c'est celle de Safinaz Mohamed Kadhem Asfahani, un patronyme surgi des mille et une nuits. Quand elle n'exprime pas sa haine des lib�raux et des la�ques , notamment dans les colonnes du journal londonien Al-Chark- Al-Awsat, Safinaz est la maman de Nouara Negm. Elle a �t� mari�e pendant quatre ans � Fouad Negm, mais sans grands effets, semble-t-il, sur sa perception du monde et de l'humanit�. Il est encore heureux que la fille sache voir le c�t� des choses auquel la m�re tourne d�lib�r�ment le dos. A. H. (1) En 2008, il avait �t� arr�t� et emprisonn� pendant quelques jours pour avoir �voqu� le mauvais �tat de sant� de Moubarak. Graci� par ce dernier, il s'�tait empress� de le remercier dans un �ditorial controvers� alors, avant de redevenir l'opposant sulfureux qu'il n'a jamais cess� d'�tre. (2) Nouara est n�e en 1973, en pleine guerre d'octobre et ses parents lui ont donn� comme deuxi�me pr�nom �Intissar� (Victoire). La concern�e a sans doute renonc� � mettre ce pr�nom en avant, consid�rant les r�percussions de cette �victoire� sur l'Egypte d'aujourd'hui. (3) �Djabhat Al-Tahyyiss Al-Chaabia�, sur ce blog, on �crit surtout en dialectal �gyptien tr�s accessible m�me aux profanes, en voici le lien : http://tahyyes.blogspot.com/