Par Ahmed Halli [email protected] Il ne faut pas r�ver : la place du 1er-Mai n'est pas la place de la Lib�ration. Ce ne sont pas les m�mes lieux ni les m�mes occupants. Sur la place du Caire, il n'y avait pas des protestataires et des spectateurs. A Alger, les badauds �taient l�, mi-hostiles mi-indiff�rents, attendant pour les uns de voler au secours de la victoire, pour les autres de donner le coup de gr�ce � la d�faite. Non, vraiment, la place du 1er -Mai, ce n'est pas �M��dan Al-Tahrir�. A la diff�rence des �gyptiens, les Alg�riens divergent sur la nature de la tyrannie et sont d'une m�fiance obsessionnelle les uns vis-�-vis des autres. Il y a de quoi, quand on sait de quelle mani�re se font les reconversions et les retournements de vestes, sans compter les ralliements inesp�r�s. �tre exclu de la rente, par vocation personnelle, ou contraint et forc�, ne suffit pas � faire un bon opposant, d�termin� et offensif. Or, tous les ingr�dients d'un �chec annonc� �taient d�j� pr�sents, place du 1er- Mai, avant m�me que les compteurs ne rel�vent plus de policiers que de manifestants. Revoyons objectivement les faits : les Alg�riens qui sont autour du 1er- Mai, habitants ou passants par hasard, ne sont pas tous des supporters de Bouteflika. Mais ils �taient tous sortis et s'�taient rassembl�s autour du jet d'eau pour acclamer les vainqueurs d'Oum-Dorman. Les r�sidants de Belcourt et des quartiers avoisinants ne sont pas tous originaires de Kabylie, mais je suppose qu'il doit y avoir quand m�me dans les parages un bon tiers de Kabyles. Ceux-l� ne se montrent jamais, parce qu'il suffit qu'on leur dise que ce sont �les Kabyles qui manifestent� pour qu'ils restent chez eux et se branchent sur Al- Jazeera pour savoir ce qui se passe sous leurs fen�tres. Il est connu, en effet, que si Al-Jazeera n'a pas la latitude de filmer sous ses fen�tres, elle aura toujours des cam�ras braqu�es sur nos rues et sur nos places. Quant aux balcons, il faut dire qu'ils sont aussi tr�s dangereux lorsqu'on ne dispose pas de gilets pare-balles ou de masques anti-gaz lacrymog�nes. T�moins curieux, mais prudents, les marcheurs r�tractiles se montrent encore plus intraitables lorsque le voisin d'en face est de la partie. Ainsi, le militant du FFS boycottera syst�matiquement toute marche initi�e ou anim�e par le RCD, et r�ciproquement. Il y a entre les deux formations un mur beaucoup plus solide que celui de Berlin, et c'est peu dire. On attendait aussi place du 1er-Mai, la nouvelle alliance de l'opposition, conduite par un ancien Premier ministre, mais le nouveau-n� �tait encore en couveuse. On ne demande pas � un pr�matur� de se mettre � marcher, avant m�me d'avoir re�u du pouvoir compatissant ses premi�res b�quilles. N'oublions pas aussi que les marches contre le pouvoir sont aussi un probl�me de g�n�rations, voire un conflit de g�n�rations. Lorsque les jeunes investissent la rue pour crier leur col�re, pas un seul �senior� n'est l� pour canaliser les griefs, emp�cher que les manifestations ne d�g�n�rent en �meutes destructrices. R�sultat : l'incendie s'�teint de lui-m�me, avec tous les d�g�ts engendr�s, et les jeunes ont accumul� de nouveaux griefs contre leurs parents. Sur �Meydan Al-Tahrir�, il n'y avait pas de conflits de g�n�rations : les jeunes �taient l�, en premi�re ligne, comme d'habitude, mais ils n'�taient pas seuls. Ceux de 1952 et m�me ceux de 1919 �taient l� avec eux. Modestes, ils revendiquaient pour le mouvement le titre de �R�volution des jeunes�, mais ils �taient pr�sents et constamment � l'�coute des revendications. Les �seniors� �gyptiens n'ont pas c�d� � la tentation d'entrer en pourparlers avec le nouvel homme fort du r�gime. Ils ne se sont pas pr�cipit�s vers la table de n�gociations, comme l'ont fait imprudemment les Fr�res musulmans, avant de se r�tracter. Prudents, les �Fr�res� n'on rejoint la r�volution qu'au quatri�me jour, lorsqu'il leur �tait apparu que c'�tait du s�rieux, cette fois-ci. Ce qui ne les a pas emp�ch�s d'�tre les premiers � accepter l'invitation � la table de Suleymane. D�savou�s par les jeunes manifestants, ils ont op�r� une prudente retraite avant de multiplier les d�clarations apaisantes. C'est ainsi qu'ils ont adopt� le fameux slogan olympique en proclamant que l'essentiel pour eux n'�tait pas de gagner, mais de participer. Recul tactique aussi avec cette d�claration incroyable de leur commandeur qui a affirm� qu'il ne cherchait pas � instaurer un �tat islamique, ajoutant m�me que �l'�tat islamique est contre l'Islam�. Attendons ! Notre confr�re �gyptien Oussama Gharib s'est arr�t�, dans le quotidien dissident Al- Destour, sur ces attitudes parfois incompr�hensibles du mouvement islamiste. Il y a quelques ann�es, rappelle-til, Moubarek avait invit� quelques parlementaires, dont un �lu fr�re musulman, � rompre le je�ne en sa compagnie. Le �fr�re� avait ensuite d�clar� � la presse, sans aucune trace d'ironie, que la soir�e avait �t� extraordinaire. �Nous avons eu � la table du Ra�s des plats, farcis et non farcis, extr�mement savoureux. Vraiment, je suis tr�s optimiste pour l'avenir du pays sous la direction de Monsieur le Pr�sident. Je suis aussi convaincu qu'il est le seul � avoir des solutions pour tous les probl�mes de l'�gypte.� �En fait, dit Oussama Gharib, les Fr�res musulmans sont lass�s de cette appellation de �mouvement interdit� qui leur est accol�e. Leur seul d�sir est d'�tre reconnus et accept�s. Aussi, je n'ose penser � ce qu'ils auraient fait ces jours-ci si Omar Suleymane leur avait pr�sent� des mets recherch�s, avec des plateaux de confiseries et de p�tisseries au dessert.� Sur le m�me registre, la cha�ne Al- Jazeera a eu beau jeu d'ironiser sur les retournements de vestes de certains journaux, acquis la veille encore � la cause de Moubarek. Dans la presse officielle, Al- Ahram et Al-Akhbar ont accouch� au forceps de titres comme �La R�volution des jeunes a triomph�. Toutefois, le pompon du genre revient � l'�ditorialiste du quotidien Al-Goumhouria qui joue l'�tonn� devant la fortune suppos�e de Moubarek. �Ainsi, �crit-il, le pr�sident d�missionnaire poss�dait 70 milliards de dollars dans des comptes � l'�tranger. Comment se fait-il que le magazine Forbes ne l'ait jamais inclus dans le classement des plus grosses fortunes mondiales ?� Mais s'il fallait r�compenser les girouettes soumises aux moindres sautes de vent, la palme reviendrait au quotidien Al-Destour qui a op�r� un virage de 180 degr�s, avec sa manchette d�sormais historique : �Moubarak est enfin parti !�. On peut demander comment les rotatives r�gl�es sur l'all�geance � Moubarek ont pu supporter quelque chose d'aussi �norme, ce qui a d� faire sauter beaucoup de rivets. Jusqu'au mois d'ao�t dernier, Al-Destour �tait un quotidien r�solument oppos� au r�gime dont il r�clamait le d�part sous la plume de son r�dacteur en chef Ibrahim A�ssa. Il est subitement vendu � un homme d'affaires et dirigeant du Wafd qui le transforme en journal au service du pouvoir. Depuis son acquisition, le nouveau patron a recrut� de nouveaux journalistes � prix d'or, sans r�ussir � faire d�coller son tirage. Avec cette nouvelle pantalonnade, on peut se demander comment il va r�ussir � faire sa propre r�volution, pour se faire accepter par celle du 25 janvier. Peut-�tre ira-t-il, dans les prochains jours, jusqu'� demander � Ibrahim A�ssa et aux autres journalistes de la version �lectronique dissidente de r�int�grer le bercail ? Il ne faut douter de rien !