Mohamed-Chafik Mesbah, auteur de l�ouvrage Probl�matique Alg�rie (Editions le Soir d�Alg�rie ), a bien voulu apporter, dans nos colonnes, son analyse des �meutes r�cemment intervenues en Alg�rie. Le Soir d�Alg�rie : Etait-il possible de pr�voir les �meutes r�cemment intervenues en Alg�rie ? Mohamed-Chafik Mesbah : Depuis de nombreuses ann�es, des �meutes r�currentes ont frapp� diff�rentes localit�s du pays � travers des mouvements de contestation sporadiques et circonscrits, suscit�s, en g�n�ral, par des revendications d�ordre socio-�conomique, mais touchant, dans leur ensemble, � la qualit� m�diocre de la gouvernance publique. Consid�rant que ces mouvements sporadiques n�avaient pas vocation � s�agr�ger en se f�d�rant dans un mouvement de contestation de dimension nationale, les pouvoirs publics ont accord� au ph�nom�ne une attention n�gligente. Toutes choses �tant �gales par ailleurs, il suffisait, pourtant, pour appr�cier, correctement, le ph�nom�ne, de se r�f�rer aux situations similaires en Am�rique latine � certes, dans les ann�es 70 � o� des �meutes identiques, tout aussi sporadiques et circonscrites, avaient d�bouch� sur des mouvements de contestation nationale qui ont d�fait les dictatures militaires latino-am�ricaines. Les �meutes qui viennent de secouer le pays d�montrent, � l��vidence, qu�un mouvement de contestation peut se d�rouler, au m�me moment, sur tout le territoire national. Il faut s�interroger, plut�t, comment ces �meutes pourraient se transformer en un mouvement de contestation susceptible de provoquer un changement de r�gime, c'est-�-dire un processus r�volutionnaire comme en Tunisie. L�ensemble de la population n�est pas sortie dans la rue� Dans l�absolu, oui. Ce sont, en effet, des groupes de dizaines, parfois de centaines, de jeunes �g�s de moins de vingt ans, mineurs � l�occasion, qui sont sortis dans la rue. Les �meutes ont touch� l�ensemble du territoire national mais sans exercer d�effet d�entra�nement sur le reste de la population. Il n�en reste pas moins que le reste de la population, tout en se d�marquant des actes de violence, n�a pas contest� le bien-fond� des slogans scand�s par les jeunes manifestants. La lucidit� politique commande, � cet �gard, de ne pas se tromper de diagnostic. C�est la r�alit� sociale dans sa globalit� qu�il faut observer. Les pouvoirs publics semblent, pourtant, se cantonner au constat d�un mouvement de foule circonscrit � des groupes de jeunes manifestants qui ont pu se d�fouler. Erreur fatale pour demain ! L�hypoth�se d�une manipulation est � exclure ? Pour l�heure, ce qui est �tabli, c�est la simultan�it� des �meutes sur l�ensemble du territoire national ainsi que leur arr�t tout aussi simultan�, presque. Il est m�me curieux que des localit�s du grand Sud � Tamanrasset, Adrar� �, traditionnellement �pargn�es par les mouvements de contestation, se soient jointes aux �meutes. Est-ce un pur ph�nom�ne de mim�tisme social ? La question ne trouve pas encore de r�ponse convaincante. Ceux qui avancent l�hypoth�se de la manipulation pensent, en r�alit�, � plusieurs sc�narios qui peuvent �tre ramen�s � deux variantes principales. Dans la premi�re, ce seraient les lobbies d�affaires oppos�s aux mesures gouvernementales visant � l�instauration d�une certaine transparence des activit�s �conomiques � selon l�objectif officiel affich� � qui auraient suscit� les �meutes pour pr�server leurs int�r�ts et obliger les pouvoirs publics � se d�juger. Certes, ces lobbies d�affaires existent et disposent de leviers �conomiques puissants. Peuvent-ils, cependant, produire l�effet qui vient de se v�rifier � travers les �meutes que le pays vient de conna�tre ? La r�ponse est moins �vidente. Cela ne semble pas aussi simple, � moins que ces milieux d�affaires ne soient en connexion avec des centres de pouvoir masqu�s ou des organisations politiques encore non apparentes. Dans la seconde variante, les �meutes seraient le reflet d�une lutte sourde entre clans en pr�sence au sein du r�gime avec pour arri�re plan la succession envisag�e � terme rapproch� du pr�sident Abdelaziz Bouteflika. Certes, les enqu�tes engag�es par les services de renseignement contre la grande corruption ont fini par entacher des personnalit�s proches du chef de l�Etat nourrissant, d�autant, l�exasp�ration de la population contre la dilapidation �hont�e des deniers publics. Certes, les d�clarations officielles du ministre de l�Int�rieur contestant les mesures �conomiques du Premier ministre pourraient laisser croire que la coh�sion gouvernementale, en rapport avec cet enjeu de la succession, est mise � mal. Certes, les insinuations du secr�taire g�n�ral du FLN, lequel sugg�re l�existence d�intentions nuisibles � la personne m�me de Abdelaziz Bouteflika, pourraient sugg�rer que ce sont des parties au pouvoir qui sont, express�ment, cibl�es. Bref, il est possible d�imaginer que la guerre de succession soit d�j� ouverte. C�est, cependant, la probl�matique de fond qui importe le plus, celle qui concerne l�usure du syst�me de gouvernance, dans sa globalit�. Autrement, sur quelle donn�e irr�fragable s�appuyer pour affirmer qu�il s�est agi de d�livrer �un coup de semonce� destin� au clan pr�sidentiel ou de faire annuler les d�cisions �conomiques d�savantageuses du gouvernement ? Faut-il suivre les pouvoirs publics lorsqu�ils ram�nent l�origine des �meutes au seul rench�rissement des produits alimentaires ? Le rench�rissement des produits alimentaires de base est v�cu � l��chelle familiale plus qu�� l��chelle individuelle. Ce rench�rissement du prix a, probablement, constitu� un pr�texte. Ce qui pr�dominait, plut�t, chez ces jeunes manifestants, c�est une immense ranc�ur contre un syst�me de gouvernance qu�ils ressentent comme, fonci�rement, hostile. Ces jeunes aspirent, en r�alit�, � une vie digne, gr�ce � l�obtention d�un emploi et l�acc�s aux loisirs mais, �galement � surtout pourrait-on dire � � travers les marques d�une r�elle consid�ration. Sans doute, cette ranc�ur a �t� encore plus raviv�e par les chiffres colossaux sur les r�serves en devises du pays sans cesse claironn�s par les pouvoirs publics et les sommes colossales d�tourn�es dans les affaires de grande corruption que la presse a r�v�l�es. Ces jeunes manifestants, habit�s par une agressivit� chronique, peuvent recourir aux stup�fiants pour noyer leur amertume. Ces manifestants autant que les postulants � la mort, les harragua, ne sont pas des marginaux au sens pathologique du terme. Ils sont le produit de dysfonctionnements av�r�s du mode de gouvernance de la soci�t� alg�rienne. Ce mal-vie concernerait, seulement, cette frange d�s�uvr�e de la jeunesse ? Il faut avoir pr�sent � l�esprit que les jeunes de moins de vingt ans repr�sentent 60% de la population en Alg�rie, c�est parmi eux que le ch�mage s�vit le plus. L�esprit de contestation qu�ils manifestent se retrouve, n�anmoins, chez le reste de la population. Il n�est pas exag�r� d�affirmer que la soci�t� alg�rienne est scind�e en deux blocs. D�une part, la soci�t� r�elle, la grande majorit� de la population, en particulier tous �les laiss�s- pour-compte� tous �ges confondus, qui peinent pour s�assurer les conditions d�une vie � peine acceptable. D�autre part, la soci�t� virtuelle, c'est-�-dire les appareils et institutions publiques avec les personnels responsables qui les peuplent, en d�phasage chronique avec la soci�t� r�elle. Cette cassure a trouv� � s�illustrer dans les �pisodes ininterrompus de contestation de la gouvernance publique qui se sont d�roul�es et continuent de se d�rouler � l��chelon local. Le taux d�abstention �lev� enregistr� dans les scrutins �lectoraux organis�s depuis une d�cennie, en particulier les �lections l�gislatives et pr�sidentielle, en est une autre illustration. Comment le gouvernement a-t-il pu se m�prendre sur l�impact pr�visible des mesures �conomiques qu�il avait adopt�es ? Un manque de clairvoyance politique, au moins. Le d�ficit de maturit� chez nos gouvernants est patent, un constat qui peut se v�rifier dans tous les actes de gouvernance publique. Dans le cas d�esp�ce, l�objectif officiellement affich�, �tordre le cou� aux lobbies qui tirent profit du commerce informel, �tait, sans doute, louable. Mais la gouvernance publique ne consiste pas, seulement, � �dicter des mesures de r�glementation �conomique. La d�marche doit �tre globale, autant que possible graduelle ou s�lective, en embrassant tous les angles d�approche possibles, notamment politique et sociale. La d�marche du gouvernement laisse croire que ni la r�action des lobbies d�affaires, ni la r�volte des m�nages n�avaient �t� envisag�es. Le gouvernement a-t-il, comme il le laisse imaginer, voulu livrer une bataille donquichottesque � des lobbies puissants et agissants qui, notamment, contr�lent toute la distribution nationale de presque tous les produits agroalimentaires � travers le pays ? Bien inform� celui qui discernera la part de cynisme de celle de l�ing�nuit� dans la d�marche du gouvernement ! C�est le patriotisme �conomique inspir� par l�actuel Premier ministre qui est en cause ? Pourquoi attribuer au Premier ministre, en propre, cette paternit� dans un contexte constitutionnel o�, en principe, il ne fait que coordonner, seulement, l�action gouvernementale, sans l�inspirer ? Quoi qu�il en soit, � s�en tenir � l�argumentaire officiel, ce n�est pas l�ancrage moral et politique du patriotisme �conomique qui serait en cause. Sans s�attarder sur le constat de tous les experts autoris�s qui contestent l�existence d�une r�elle politique �conomique gouvernementale avec visibilit� sur le moyen terme, supposons que le patriotisme �conomique en soit une expression. Ce sont, alors, l'ing�nierie et la ma�trise d��uvre qui posent probl�me car ils souffrent de d�ficit manifeste de maturation. Le gouvernement fonctionne, en effet, en vase clos. Les partenaires �conomiques et sociaux ne sont pas, r�ellement, consult�s. Les experts sont, rarement, sollicit�s. Le Parlement est, le plus souvent, r�duit � un r�le de �chambre d�enregistrement �. En r�gle g�n�rale, les mesures de type administratif, au caract�re unilat�ral, se r�v�lent inop�rantes et m�me contreproductives. Le constat de carence d�passe, cependant, le seul volet de la l�gislation et de la r�glementation �conomiques. Il se rapporte � la perte de comp�tence chronique qui frappe l�administration publique alg�rienne, tous niveaux confondus. Avec les mesures d�apaisement prises par le gouvernement, l��pisode des �meutes est clos ? L��pisode, pas le processus o� le pays est engag�. Tous les sociologues du monde vous le diront, la fermeture de l�espace de contestation institutionnel aggrav�e par l�absence de canaux d�interm�diation conduit, in�luctablement, � une explosion. Quel appareil, en effet, pourra, ind�finiment, contenir le bouillonnement qui agite, en profondeur, la soci�t� ? La mauvaise gouvernance publique persistant, la situation ne pourra que s�aggraver en s�exprimant � travers des mouvements de contestation sociale de plus en plus puissants, peut-�tre de plus en plus violents. Nonobstant leur aspect populiste avec absence d�ancrage �conomique, les mesures d�exon�ration �dict�es par le gouvernement profitent, d�abord, aux lobbies d�affaires. Par ailleurs, l�emprisonnement de centaines de jeunes alg�riens risque d�exacerber la ranc�ur des jeunes plut�t que de la temp�rer. Si les actes gratuits de vandalisme et de destruction ne doivent pas rester impunis, l�emprisonnement de jeunes manifestants, des enfants de l�Alg�rie, ne constitue pas une solution vraiment heureuse. Des mesures intelligentes pouvant concilier les exigences du maintien de l�ordre public et les imp�ratifs de r�insertion harmonieuse de ces jeunes au sein de la soci�t� doivent exister. Encore faut-il les prospecter. Ce qui fait obstacle, c�est la mauvaise gouvernance publique illustr�e par le m�pris que les pouvoirs publics affichent, en g�n�ral, vis-�-vis de l�expertise scientifique, a fortiori lorsqu�elle est alg�rienne. Sur un plan politique, pour endiguer le sentiment de r�volte populaire �voqu�, le pr�sident de la R�publique pourrait prendre une initiative, vraiment, importante ? Par-del� l�attitude que peut adopter le pr�sident de la R�publique, le syst�me, dans son ensemble, para�t frapp� d�ankylose. Il est peu probable, dans ces conditions, qu�il puisse engager le processus de r�formes politiques radicales que le contexte impose. Un processus qui passe par une ouverture r�elle et sans d�lai d�un champ politique et m�diatique, totalement, ferm�. Tout au plus, faut-il s�attendre � des mesures factuelles, par exemple, la substitution � l�actuel Premier ministre d�une personnalit� suscitant moins de crispation chez la population. Une telle mesure �tant, � n�en point douter, sans effet par rapport � l�imp�ratif de r�formes �voqu�, la r�volte populaire qui couve au sein de la population finira, t�t ou tard, par d�boucher sur l�explosion. Il ne faut pas se tromper de diagnostic, l�exigence pressante porte, en effet, sur des r�formes structurelles radicales, pas sur une permutation entre responsables. Ces �meutes auraient, par ailleurs, mis en �vidence la disqualification du courant islamiste � Gardez-vous de conclusions h�tives. C�est une face r�siduelle du FIS qui a �t� disqualifi�e, par l�ensemble du mouvement islamiste notamment, dans sa dimension pl�b�ienne. Il suffit de s�interroger si, objectivement, les causes profondes qui ont permis au mouvement islamiste, dans les ann�es 80, de se conforter et de se d�ployer au sein de la soci�t� ont disparu. Bien s�r que non, m�me si la population est, d�sormais, r�serv�e sur la violence brutale. Le mouvement islamiste pl�b�ien qui a op�r� sa mue est bien ancr� dans la soci�t� r�elle, particuli�rement au sein du lump-en�prol�tariat, d�o� il observe, attentivement, la r�alit� sociale en s�y adaptant, de mani�re pragmatique. Les r�centes �meutes pourraient avoir servi de terrain d�observation du comportement de la population et du mode de riposte des forces de l�ordre. En cas de mouvement de contestation plus large, en l�absence de classe politique performante et de mouvement associatif enracin� dans la soci�t�, les dirigeants de ce courant islamiste pl�b�ien pourront s�en improviser les leaders. Le contexte national et international ne permet plus de recourir � des solutions d��radication bas�es sur la r�pression pure et simple. S�ils y parviennent, les leaders de ce courant, s�ils s�abstiennent de recourir aux violences aveugles, ils pourront, forts du contexte international, se pr�valoir d�une �victoire l�gitime�. Quelles similitudes entre les situations que connaissent, respectivement, l�Alg�rie et la Tunisie ? Examinons, plut�t, les diff�rences. Premi�re diff�rence de taille, la Tunisie est d�munie de ressources financi�res par rapport � l�Alg�rie, qui dispose d�un matelas confortable de devises. La marge de man�uvres du pr�sident Ben Ali �tait, forc�ment, plus r�duite par rapport � celle dont dispose son vis-�-vis alg�rien. Deuxi�me diff�rence de taille, le r�gime tunisien est beaucoup plus homog�ne, beaucoup plus solidaire comparativement au r�gime alg�rien qui souffre de divisions internes tr�s graves. C�est ainsi que le r�gime tunisien, malgr� le d�part du g�n�ral Ben Ali, devrait essayer de r�sister de mani�re plus durable sur la sc�ne nationale. Troisi�me diff�rence de taille, la Tunisie dispose au sein de l�opposition politique, m�me en nombre r�duit, de dirigeants aguerris par le combat et d�un mouvement associatif organis�, notamment un syndicat des travailleurs agissant sur le terrain. La r�volte populaire a �t� spontan�e mais le mouvement associatif s�y est ralli� en lui apportant une efficacit� v�rifi�e. Quatri�me diff�rence de taille, comparativement � l��tat d�exasp�ration de la population alg�rienne qui se manifeste, le plus souvent, par la violence, la population tunisienne pr�sente un niveau de maturit� politique et de conscience civile mieux adapt� aux manifestations pacifiques. Certes au d�nouement de la situation, des actes de violence ont �t� commis par des groupes d�individus relevant des anciens appareils de s�curit� du pr�sident Ben Ali. Ces groupes semblent devoir �tre neutralis�s, rapidement, par l�arm�e que soutient la population. Cinqui�me diff�rence de taille, le r�gime tunisien reposait totalement sur la police, l�arm�e ayant, toujours, �t� �loign�e des t�ches de maintien de l�ordre. Le chef de l�arm�e de terre ayant refus�, rappelons-le, d�engager les troupes dans la r�pression des manifestations, l�arm�e tunisienne s�est trouv�e dans une position qui la pr�disposait � jouer un r�le implicite de garant de la transition. Sixi�me diff�rence de taille, le retentissement � l�ext�rieur du mouvement de contestation du peuple tunisien, gr�ce notamment aux cha�nes satellitaires et aux �changes sur la toile internet, a permis � la pression internationale de mieux s�exercer pour pr�cipiter la fin de r�gne du pr�sident Ben Ali. Le monde occidental, principalement les USA, semble avoir suivi, dans le cas de la Tunisie, une feuille de route plus explicite que celle qui pourrait exister pour l�Alg�rie. Il n�existe aucune menace susceptible de remettre en cause les acquis de cette �r�volution du jasmin� qui se d�roule en Tunisie ? Plut�t que de menaces, il faut parler de d�fis. Le premier d�fi porte sur les difficult�s objectives � liquider, structures et dirigeants, un r�gime qui, sans d�semparer, a dirig� la Tunisie depuis son ind�pendance. Un risque �vident de confiscation de la victoire du peuple tunisien existe. Le deuxi�me d�fi porte sur la n�cessit� de faire �merger, rapidement, de nouveaux dirigeants charismatiques, sans attache r�dhibitoire avec le r�gime pr�c�dent. Cette condition est indispensable pour une prise en charge efficiente de la transition dans des conditions acceptables pour le peuple tunisien. Le troisi�me d�fi porte sur la gestion politique du mouvement islamiste qu�il est impensable, d�sormais, de cantonner dans l�exclusion. Comment associer le mouvement islamiste tunisien � la vie politique sans que cela compromette le fonctionnement d�mocratique du pays ? Voil� un d�fi essentiel pour la transition en cours. Comment les contingences ext�rieures, notamment la pression occidentale, ont-elles pu peser sur la situation interne en Tunisie ? Il suffit de relever, pour l�anecdote, que la r�volte du peuple tunisien est intervenue apr�s la publication par WikiLeaks des c�bles diplomatiques am�ricains fustigeant le caract�re maffieux du r�gime du pr�sident Ben Ali. Sans un parrainage ext�rieur � explicite ou implicite � la position tranch�e du chef de l�arm�e de terre, par exemple, aurait-elle �t� possible ? Il est permis d�en douter. Les USA semblent, en fait, avoir remis � l�ordre du jour le fameux projet de d�mocratisation du monde arabe, diff�r� en 2004. Pour m�moire, ce projet visait � favoriser les processus de r�formes dans les pays arabes pour contenir la violence par la bonne gouvernance, pas par la dictature. Ce n�est pas l� de la philanthropie, c�est, au contraire, une mani�re plus intelligente de sauvegarder et de faire fructifier les int�r�ts de puissance des USA. Il faut supposer, � cet �gard, qu�une feuille de route am�ricaine existe pour le Maghreb, Egypte incluse. Si l�exp�rience qui se d�roule en Tunisie s�av�re concluante, elle pourrait servir de mod�le pratique. De quels moyens dispose le monde occidental, m�me avec l�appui des USA, pour agir sur les processus de r�formes que vous �voquez ? De bien des moyens ! Il faudrait, cependant, revoir les priorit�s de r�les que vous supposez. Il est clair que ce sont les USA qui d�tiennent le r�le pr�dominant dans l�influence exerc�e sur le processus en cours en Tunisie. Les USA ont �labor�, depuis un temps d�j�, un mod�le th�orique test�, notamment, en Serbie, en Ukraine et en G�orgie, sous l�appellation g�n�rique de �r�volution pacifique�. Lorsque, dans un pays d�termin�, la situation est jug�e m�re pour proc�der � la d�stabilisation d�un r�gime dictatorial, les USA, par des relais appropri�s, mettent en application un sch�ma, soulignons- le, d�j� conceptualis�. Ils exacerbent le sentiment d�exasp�ration de la population en montant en �pingle les travers des dictateurs ; ils agissent, efficacement, pour contraindre les forces d�opposition d�sunies � se f�d�rer et ils s�ing�nient � intimider l�entourage du dictateur, chefs militaires et responsables des services de s�curit�, pour les inciter � la neutralit�, sous peine d��tre poursuivis, individuellement, pour crimes contre l�humanit�. Th�oriquement, la pression populaire aidant, le r�gime dictatorial tombe, � la t�te, comme un fruit mur. Ce sch�ma qui peut para�tre manich�en ne peut �tre appliqu�, naturellement, que dans les cas o� la situation interne est propice. Il ne faudrait pas, dans le cas d�esp�ce, que le r�le d�terminant du peuple tunisien soit minor�. Les USA joueraient, donc, un r�le pr�pond�rant dans un espace maghr�bin r�put� sous influence fran�aise ? Jusqu�� preuve du contraire, le statut des USA est celui d�une puissance mondiale. Dans un monde qui est en pleine reconfiguration, les USA veulent s�approprier une place �minente, notamment dans les r�gions d�int�r�t fondamental, par le positionnement g�ostrat�gique ou la disponibilit� de richesses naturelles. Pourquoi, concr�tement, la France marque le pas par rapport aux USA dans cette reconfiguration du monde ? Les USA surpassent la France sur trois plans. Leur processus d��valuation, plut�t dynamique, d�essence tr�s pragmatique, ne p�che pas par pr�jug� dogmatique comme c�est le cas pour la France. Leur mode op�ratoire, tr�s entreprenant, se caract�rise, parfois, par de l�audace tandis que la d�marche de la diplomatie fran�aise reste des plus frileuses. Leurs moyens logistiques, sous toutes variantes, sont, enfin, sans rapport avec les possibilit�s limit�es de la France. Dans le cas de la Tunisie, les USA, capables d�immersion dans toutes les franges repr�sentatives de la population, ont pu, nonobstant la toute-puissance pr�t�e � l�appareil r�pressif du pays, anticiper la chute in�luctable de l�ancien r�gime jusqu��, sans s�encombrer de consid�rations sentimentales sur des accointances pass�es, pousser le pr�sident Ben Ali vers la sortie. La France, par contre, prisonni�re de st�r�otypes �cul�s, n�a pas, correctement, �valu� le bouillonnement de la soci�t� tunisienne, ni m�me les �volutions favorables � une transition d�mocratique � ind�celables � l��il nu, il est vrai � intervenues dans l�administration et l�arm�e tunisiennes. Ind�pendamment des strictes consid�rations diplomatiques, la position de la France semble, cependant, avoir subi, de mani�re cumulative, le poids des relations subjectives � et douteuses � entretenues par les responsables fran�ais avec le r�gime d�funt ainsi que la pression des r�seaux d�affaires connect�s � l�entourage de l�ancien chef de l�Etat. Le sch�ma d��valuation et de r�action de la France et des USA qui vient d��tre �voqu� pourrait, sans grand risque d�erreur, se v�rifier dans le cas des autres pays du Maghreb. Dans le cas alg�rien, en particulier, pour se convaincre que les approches des USA et de la France ne co�ncident pas parfaitement, il suffit de proc�der � une comparaison des descriptions de situation, que les ambassadeurs am�ricain � dont le diagnostic est s�v�re sur l�usure du syst�me alg�rien � et fran�ais � Alger � dont l�approche est presque complaisante, r�sign�e � se contenter d�un r�gime jug� �tre le meilleur rempart contre l�islamisme � ont d�velopp�es dans les c�bles diplomatiques publi�s par WikiLeaks. A court terme, le sc�nario tunisien pourrait-il se v�rifier en Alg�rie ? Il faudrait, au pr�alable, r�cuser la th�se en vogue parmi certains hauts dirigeants alg�riens qui consid�rent que les peuples �chaud�s par des �pisodes sanglants se r�signent, longtemps, � leur sort. De surcro�t, ces m�mes dirigeants estiment que le peuple alg�rien, d�muni de haute conscience politique, est, en r�alit�, un simple �tube digestif�. Ils en d�duisent qu�il n�existe pas de menace s�rieuse de soul�vement populaire en Alg�rie. La m�me approche que les autorit�s coloniales fran�aises qui ont �t�, et pour cause, surprises par le d�clenchement de la guerre de Lib�ration nationale. Revenons au sc�nario tunisien qui, �videmment, ne va pas, forc�ment, se reproduire de mani�re m�canique en Alg�rie. Mais l�effet symbolique jouera, certainement. Observez, en ce sens, la recrudescence des cas d�immolation par le feu au sein de couches diverses de la population alg�rienne. Le climat d��bullition au sein de la population, faut-il le r�p�ter, est presque � son paroxysme. La radicalisation de la situation, cependant, va d�pendre, plus fondamentalement, de trois variables principales. Premi�rement, la capacit� d�anticipation dont fera preuve le r�gime car, pour endiguer une r�volte populaire tout � fait pr�visible, il lui faudra bien donner des gages, en entamant une politique r�solue d�ouverture du champ politique et m�diatique. Deuxi�mement, le positionnement qu�adoptera l�arm�e, toutes composantes confondues, en cas d�aggravation majeure du malaise actuel avec d�g�n�rescence possible des manifestations populaires � intervenir, une simple r�p�tition du sc�nario d�Octobre o� l�arm�e r�primerait la population paraissant, � cet �gard, invraisemblable. Troisi�mement, le degr� de d�termination affich�e par les USA et la France pour faire pression sur le r�gime alg�rien et le pousser vers un r�el processus de r�formes politiques. Pour le reste, les tendances lourdes qui caract�risent la situation ayant �t�, depuis longtemps, identifi�es, le cours des �v�nements pourrait, contre toute attente, se pr�cipiter sous l�effet d�un pr�texte m�me mineur. Bien des �v�nements marquants dans l�histoire universelle ont �t� provoqu�s par un �pisode d�apparence insignifiante, le fameux �grain de sable�� A plus longue �ch�ance, quelles perspectives envisager � propos de l��volution de la situation en Alg�rie ? La r�ponse pr�c�dente, c��tait, d�une certaine mani�re, l��vocation du sc�nario d�une transition pacifique. Si le statu quo actuel persiste, c�est un sc�nario de violence qui s�annonce. Le syst�me ne paraissant ni r�solu � se r�former � ni capable, d�ailleurs, de le faire � l�incapacit� des �lites � agir sur la r�alit� devant, selon toute vraisemblance, persister, la cristallisation des contradictions va imposer la rue comme arbitre final du processus en cours. Au demeurant, les hauts dirigeants alg�riens, peu convaincus que la d�mocratie constitue un antidote � la pauvret� et au sous-d�veloppement, ne voient pas l�utilit� de r�formes politiques. Il faut esp�rer que la violence qui accompagnera ce d�nouement n�ait pas raison de la p�rennit� du pays en termes de coh�sion sociale et d�int�grit� territoriale. Il faut souhaiter, en effet, que le processus de violence � venir ne provoque pas de fractures irr�versibles dans la soci�t� alg�rienne. Il faut esp�rer, tout particuli�rement, que l�institution militaire soit pr�serv�e dans son unit�, laquelle serait mise � mal par toute implication dans des op�rations intempestives de maintien de l�ordre. Les contingences internationales n��tant pas sans effet sur la situation dans le pays, il faut souhaiter, l� aussi, qu�elles ne conduisent pas aux solutions de �dernier recours�. La proximit� de l�Alg�rie avec l�Europe occidentale, son appartenance � la zone sah�lienne ainsi que son statut de pourvoyeur important de l�Union europ�enne en p�trole et en gaz lui donnent un positionnement g�opolitique particulier qui la pr�dispose � subir une formule d�amputation territoriale.