Par Arezki Metref [email protected] Dimanche 16 janvier : L�alto du colonel ! En prenant la poudre d'escampette en m�me temps que la cassette, Ben Ali flanque la frousse � un grand nombre de chefs d'Etat arabes. Comme en un mouvement synchrone, en Egypte, en Jordanie, en Syrie, en Alg�rie, au Maroc, on a miraculeusement baiss� les prix des produits de premi�re n�cessit�, promis humblement la cr�ation d'emplois, et m�me laiss� entendre que n'�tait pas exclu un assouplissement de la chape pos�e sur la presse, les droits de l'homme, les processus �lectoraux, etc. Pour un peu, ces messieurs deviendraient ipso facto des d�mocrates. Des d�mocrates-minute, si tu vois ce que je veux dire ! Le seul r�calcitrant, c'est bien �videmment le colonel Kadhafi. Ah, celui-l� ! Lui, c'est kif-kif la m�me chose. Il ose d�clarer que Ben Ali est, � ses yeux, le seul pr�sident l�gitime de la Tunisie, qu'il m�rite d'aller au terme de son mandat, et m�me demeurer pr�sident � vie. Peu chaut � Kadhafi que le peuple tunisien chasse le tyran de Carthage. Les gens comme le colonel de Tripoli n'entendent que la volont� des dictateurs, la voix des tyrans, les desiderata des despotes. Ils n�entendent jamais les peuples qu'ils sont pr�ts � exterminer pour conserver le pouvoir. La violence appelant la violence, les Libyens chasseraient, eux aussi, leur tyran comme les paysans italiens ont chass� Mussolini. �Le drame des dictatures, c�est qu�elles donnent toute licence aux malades mentaux, aux m�galomanes, aux m�chants, aux malhonn�tes gens d�aller au bout de leur folie, de leur m�galomanie, de leur m�chancet�, de leur malhonn�tet�, Henri Amouroux. Lundi 17 janvier : La victoire, c�est la vigilance ! Formation d'un gouvernement d'union nationale en Tunisie. Quelle union nationale ? Une majorit� de ministres, � commencer par le premier d'entre eux, est un proche du dictateur, le tout saupoudr� de quelques portefeuilles minist�riels octroy�s, pour faire bien, � des opposants. Telle est la diversit� � la tunisienne. Il ne faut pas �tre grand clerc pour craindre que les Tunisiens r�volt�s contre le syst�me RCD-Ben Ali ne se fassent confisquer leur victoire. Les habitu�s des arcanes de la politique maghr�bine l'avaient pr�vu. Fort heureusement, l'opposition a r�agi. Quatre ministres ont d�missionn� pour n'avoir pas � cautionner la p�rennisation du syst�me. La plus grande victoire du mouvement populaire en Tunisie, ce n'est pas tant d'avoir chass� le tyran, d�voil� les basses man�uvres de son r�gne, que d'avoir mis en branle une mobilisation des Tunisiens. La victoire r�side, donc, dans les comit�s de vigilance, le mouvement qui a chass� de son bureau un P-dg de la soci�t� �tatique d'assurances inf�od� � Ben Ali, la capacit� de r�occuper la rue pour exprimer sa volont�. Tant que ce mouvement sera vivant, la r�cup�ration restera relative. �Les dictatures fomentent l�oppression, la servilit�, la cruaut� ; mais le plus abominable est qu�elles fomentent l�idiotie�, Jean-Louis Borges. Mardi 18 janvier : Les d�mocrates d�racin�s ! La Tunisie se d�couvre une esp�ce nouvelle : le d�mocrate sans pass�. Tu sais, le d�mocrate de g�n�ration spontan�e, surgi du n�ant, n� ex nihilo, extrait du magma cosmique qui a pr�exist� � l�univers. Nos camarades tunisiens en sont l� o� nous en �tions quelques �meutes plus t�t. Maintenant que le tyran est tomb�, nous sommes d'accord pour d�noncer sa tyrannie, �tant entendu, bien s�r, que l'on a toujours �t� contre lui. Tu dis quoi ? Que �a ne se voyait pas ? Tu sais, ce n'�tait pas facile. De l� o� je me trouvais, il ne fallait pas montrer tout �a. Mais je t'assure que j'ai toujours �t� un anti-benaliste irr�ductible, d'autant que je marinais dans son entourage. Il fallait juste attendre le bon moment, c'est-�-dire maintenant pour l'assumer. Entendu � la t�l� tunisienne, un com�dien : �J'�tais pr�sent � la manifestation du 14 janvier qui a chass� Ben Ali. C'est excitant de faire la r�volution. � R�action d'un invit� qui, lui, n'en �tait pas : �Nous sommes tous des Tunisiens. Il n'y a pas de bourguibistes, de benalistes, de janvi�ristes. Nous sommes tous fr�res.� C'est bien l� o� le b�t blesse et que la balle r�elle tue ! Les deux millions de membres du RCD, les quelques milliers de nomenklaturistes attel�s � Ben Ali, les quelques centaines de membres des milices �benaliciennes � qui tiraient sur la population, les membres actifs des clans Trabelsi et Ben Ali qui ont bouff� la Tunisie jusqu'� la moelle, tout ce beau monde est fr�re avec les Tunisiens �cras�s, brim�s, m�pris�s. Magie du mot fr�re. �La dictature n�est rien d�autre qu�une machine � fabriquer du pass� avec de l�avenir�, Pierre Mertens. Mercredi 19 janvier : Trop de peur tue la peur ! Vu cette pancarte brandie par un manifestant � Tunis : �Trop de peur tue la peur.� C'est exactement l'explication de ce qui vient de se passer en Tunisie. Le r�gime policier qui a s�vi depuis 1987 ne tenait que gr�ce � la peur qu'il instillait dans la soci�t�, laissant entendre, comme une �vidence, que n'importe qui pouvait �tre arr�t�, tortur�, emprisonn�, banni, proscrit, etc. Coupable de quoi, au fait ? D'exister, tout simplement. Quand la peur paralyse un citoyen jusque dans le fait banal d'exister, comment vouloir encore qu'il puisse tenter d'influer sur son destin par la politique ou le syndicalisme ou le simple engagement associatif ? Cependant, � force de c�toyer la peur, on finit par faire connaissance avec elle. Le courage commence avec cette familiarisation. L'�tape d'apr�s, c'est quand la peur change de camp et c'est d�j� un peu le cas en Tunisie. Alors, vient le r�gne de la vengeance et de la vindicte. Il faut savoir stopper juste avant. �Avoir peur, c�est aimer. Donner peur, c�est ha�r�, F�lix Leclerc. Jeudi 20 janvier : Double blanc ! La question en suspens est de savoir si l'on peut escompter un effet domino de la r�volte tunisienne. La confr�rie des dictateurs arabes a-telle des raisons de se tenir le ventre ? Intrins�quement, chaque pays poss�de son histoire sociale et politique, et ce qui fonctionne ici ne fonctionne pas n�cessairement ailleurs. Le coup qui consiste � chasser Ben Ali ne marchera pas de la m�me mani�re dans l'Alg�rie tumultueuse, pas plus qu'en Egypte. Cependant, il est certain que le succ�s des Tunisiens booste les manifestants de tous les pays arabes en laissant entrevoir que le succ�s est possible. J'ai entendu un Egyptien dire : ��a ne marchera jamais chez nous, nous sommes trop dociles.� Un Alg�rien lui r�pond : ��a ne marchera jamais chez nous, nous sommes trop indociles. � De fait, pour que �a marche, il faut l'addition de plusieurs ingr�dients comme cela a �t� le cas en Tunisie, � savoir la tentative de manipulation et son propre retrait, la d�termination de la population, et surtout, surtout, la volont� des grandes puissances, comme les Etats Unis par exemple, que tel ou tel d�barrasse le plancher. Esp�rons que Washington fera savoir quand elle voudra se d�barrasser de ... De qui d�j� ? Est-il surprenant qu'Isra�l, qui se targue d'�tre une d�mocratie, voie d'un mauvais �il l'instauration de r�gimes d�mocratiques dans les pays arabes ? C'est tellement plus facile de discr�diter des tyrans. �Dictature : un r�gime o� l�opinion publique ne peut s�exprimer qu�en priv�, Walter Winchell. Vendredi 21 janvier : Dictature ininflammable ! L�immolation ? Ah, le feu ! On a l�impression de purifier l�air corrompu en le livrant aux flammes. Combien d�immolations au Maghreb depuis la toute premi�re de Sidi Bouzid qui a enflamm� la Tunisie ? Tous les jours, des jeunes s�immolent. En Alg�rie, en Egypte, en Mauritanie. Chez nous, je crois qu�on d�tient d�j� un record. Y�a qu�en Libye que �a ne va pas ! Ou alors on ne dit rien. Quand bien m�me les trois ou quatre millions de Libyens s�immoleraient de concert pour protester contre la dictature de Kadhafi, on n�en saurait rien. �a, c�est de la bonne vieille dictature ! Ininflammable ! �Le premier �l�ment d�une dictature est une force militaire permanente comme le premier �l�ment d�un civet est le li�vre�, Gustave-Paul Cluseret.