[email protected] �C'est au moment o� il a sembl� se diffuser aupr�s des couches de la population mues par des revendications sociales plut�t que politiques que l'arm�e a d�cid� de sacrifier Moubarak au maintien du r�gime�, rappelle un fin observateur de la sc�ne �gyptienne (*). Nous sugg�rions mardi dernier l�hypoth�se du maintien et du rafistolage des r�gimes en place, avec l��largissement de leur base sociale aux mouvements islamistes fra�chement ins�r�s dans les arcanes du pouvoir, � l�instar d�Ennahda en Tunisie et des Fr�res musulmans en Egypte, en contre-partie de la rupture d�finitive avec les illusions du mouvement national et des ind�pendances. Ce qui se profile laisse enti�re la question du n�cessaire juste �quilibre entre les libert�s politiques et �conomiques, une meilleure r�partition des ressources et la fin de la corruption. Dans leur nouvelle configuration, les pouvoirs arabes paraissent d�finitivement disqualifi�s pour traiter l��quation. Patrick de Casanove, m�decin, secr�taire g�n�ral du Cercle Bastiat, a bien vu l�hypocrisie en �crivant r�cemment : �Les bien-pensants et lib�rateurs de la derni�re heure se sont, chez nous (il parle de l�Europe- ndlr), multipli�s dans les m�dias pour leur apporter leur soutien, et r�clamer eux aussi la libert� politique. Aucun ne revendique la libert� �conomique� (**). �La libert� de pens�e, de parole, d�expression ne suffit pas. La Libert� est une et indivisible. C�est un droit naturel, intrins�que � l�homme. Elle est bancale sans la libert� �conomique �, rappelle-t-il fort opportun�ment. En effet, un affam� n�a pas de voix. De quoi s�agit-il concr�tement ? �La libert� �conomique concerne l�autonomie mat�rielle des individus. Elle permet de produire et d��changer des services utiles. Elle recouvre un champ tr�s vaste et son contr�le par l�Etat va bien au-del� de l��conomie au sens strict. La libert� �conomique engendre croissance et prosp�rit�. Elle donne aux gens les moyens mat�riels d�assumer leur vie, d��tre autonomes, de ne plus d�pendre de l�Etat. Sans ind�pendance mat�rielle, la libert� politique n�est qu�un leurre pour attraper les citoyens �lecteurs�. L�abstention g�n�ralis�e et r�p�t�e a, dans l�ensemble, fini par discr�diter les r�gimes arabes, contraints, plus souvent pour la forme et les besoins de consommation et d�image ext�rieures, � de pitoyables mises en sc�ne �lectoralistes. Or, comme la libert� �conomique et la libert� politique ont �t� dissoci�es pour que les politiciens puissent s�en servir de leviers de commande pour se maintenir au pouvoir, forc�ment, alors, une libert� n�en entra�ne pas automatiquement une autre.�. �Ce n�est pas l��lection qui fait la libert�. L��lection que ce soit en d�mocratie repr�sentative ou en d�mocratie directe a pour but unique de donner le pouvoir � un groupe. Ce pouvoir est absolu par essence, parce qu�il a la triste propension � s��tendre sans cesse. Tout devient alors politique.� �L�espoir que font na�tre les changements de r�gime dans les pays arabes pourrait tr�s vite �tre d��u si les individus oublient que la libert� comprend aussi la libert� �conomique (�) Comme partout dans le monde, il y a des groupes qui veulent s�emparer du pouvoir pour agir sur, et � la place de leurs concitoyens pr�sum�s incapables. Ces groupes, ces partis autoris�s auront t�t fait de confisquer la �r�volution� � leur profit. Ils connaissent parfaitement les enjeux. Ils sont rod�s et pr�par�s � s�emparer du pouvoir parce que c�est leur but, leur raison d��tre. Ils ne sont pas la garantie de la libert�. Ils battront de vitesse les individus �pris de libert�, conclut Patrick de Casanove. Free Markets Free Muslims (Des march�s libres pour des musulmans libres) lui fait �cho Foreign Affairs, en republiant, pour l�occasion, un article de Jon B. Alterman sous ce m�me titre (***). L�id�e ma�tresse est que la victoire de march�s libres dans nos pays signerait la d�faite de l�extr�misme et garantirait la promotion de la �lib�ralisation sociale�. L�auteur revient notamment sur le �miracle Duba�, cette bande de terre cuite sur le golfe Persique qui, �pouss�e par une grande id�e d�elle-m�me (il ne pouvait pas si bien dire !), est devenue une �m�tropole multiethnique �tincelante � malgr� sa faible densit� de population. �Du jour au lendemain, Duba� voit �clater ses actifs financiers et pousser les h�tels les plus luxueux du monde, et attire plus de six millions de visiteurs chaque ann�e � ce qui n�est pas un mince exploit pour un �mirat de seulement 100 000 citoyens.� En 2009, reconna�t toutefois l�auteur, la bulle sp�culative qui avait soutenu une grande partie de la croissance de Duba� a �clat� : les grues sont � l�arr�t et d�ambitieux projets languissent sur les planches � dessin. Bien pire, il a fallu aligner des dizaines de milliards de dollars de garanties financi�res � Abu Dhabi pour maintenir l'entreprise � flots. Avec le recul du temps, on saisit beaucoup mieux la pr�cipitation de ce �petit poucet arabe� � pr�ter le peu de force dont il dispose, � titre symbolique d�Etat arabe, aux forces occidentales d�intervention et d�occupation dans la r�gion. Plus fondamentalement, tout l�espoir est plac� dans les chefs d�entreprise du secteur priv� et le dynamisme et la mod�ration des classes moyennes (leur religiosit� est consid�r�e comme un chemin � travers lequel les communaut�s musulmanes peuvent s'int�grer au reste du monde) pour construire �l�alternative � l�intol�rance et � l�extr�misme religieux �. Comme si l�Islam ne pouvait se conjuguer qu�avec capitalisme, �les vieux dogmes populistes qui mettaient l'accent sur l'injustice et la r�sistance sont en d�clin�, se r�jouit M. Alterman ! En corr�lation avec �les luttes de l'Iran, le succ�s de la Turquie, de br�ves �tudes sur l'Egypte et le Pakistan�, l�auteur sugg�re que, lorsque s'�panouit le capitalisme, la tol�rance et la mod�ration gagnent en Islam. Il est alors autoris� � conclure la nouvelle chanson du moment : �La r�surgence de l'islam est plus porteuse de promesses que de menace.� N�anmoins, ces belles promesses reposent sur un pr�alable id�ologique : �La m�re de toutes les batailles qui ouvrira la voie � la d�faite d�cisive de l'extr�misme et � la lib�ralisation sociale sera la bataille pour lib�rer les march�s.� Autrement dit, tout le destin d�une grande R�v�lation est r�duit � ce que le vulgaire march� veut bien en faire. Les musulmans ne l�entendent certainement pas de cette oreille. A. B. (*) Jean-No�l Ferri� � �gypte : une r�volution sans opposition - CERI/Alternatives Internationales � mars 2011. http://www.ceri-sciencespo. org (**) Patrick de Casanove, Printemps arabe : n�oubliez pas la libert� �conomique! Le Temps, mercredi 9 mars 2011. (***) Jon B. Alterman, Free Markets Free Muslims, Foreign Affairs, November/December 2009.