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Que veut le peuple ?(VI)
Publié dans Le Soir d'Algérie le 29 - 03 - 2011

Le peuple est-il une r�alit� quantifiable comme l�est un corps �lectoral dans une d�mocratie, ou une abstraction comme il l�est dans les r�gimes totalitaires o� cette notion recouvre tout le monde et personne � la fois, et qu�on oppose tout de suite � quiconque sort des rangs ? Que veut le peuple alg�rien � l�heure des mutations arabes ? Le maintien du pouvoir actuel avec des am�liorations sociales ou la r�volution ?
Et si r�volution il devait y avoir, d�boucherait-elle sur plus de d�mocratie ou sur un Etat pr�tendument islamique ? Seules des �lections non truqu�es pourraient le dire. Et si de telles �lections devaient nous r�v�ler que le peuple est toujours int�ress� par l�Etat islamique, que faudrait-il faire cette fois ? O� se trouve le peuple ? Est-on s�r qu�il est dans les partis, dont ceux de l�Alliance pr�sidentielle, et les organisations de la soci�t� civile ? Je pose cette question parce que le peuple qui a fait la r�volution en Tunisie et en Egypte n�est pas venu des partis et des organisations de la soci�t� civile, avec leur reconnaissance explicite d�ailleurs. Dans ces pays, comme dans les commentaires des analystes, tout le monde a parl� de �r�volution des jeunes�, de �g�n�ration Internet �, auxquelles se sont joints, pour leur honneur, partis politiques, personnalit�s nationales et soci�t� civile. D�ailleurs si le peuple qui a manifest� en Tunisie et en �gypte avait appartenu � ces partis et � ces organisations, il y a belle lurette que Ben Ali et Moubarak auraient �t� renvers�s. Qui est le peuple ? Au Y�men, Ali Abdallah Saleh a eu beau clamer qu�il y avait dans les rues autant de manifestants en sa faveur que contre lui, aux yeux de l�histoire et des t�l�spectateurs du monde entier les premiers �taient des �baltaguias� et les seconds �le peuple�. Et en Libye, o� se trouve le peuple ? Du c�t� de Kadhafi ou des insurg�s ? Le �peuple� n�est donc pas la somme arithm�tique de la population. Ce n�est pas une question de nombre, mais de cause. Ils n��taient que quelques centaines de milliers sur dix millions de Tunisiens, et quelques millions sur quatre-vingt-cinq millions d��gyptiens, mais c��tait assez pour mettre � bas deux puissants r�gimes. Dans les quatre pays cit�s, cette cause �tait celle de la libert�, de la lib�ration du despotisme, ind�pendamment du nombre de personnes qui la portaient. Ce sont donc les causes qui font les peuples, et non l�inverse. Un peuple n�a pas vocation � arracher les pav�s ou � servir de corps de bataille. Il le fait quand il est oblig� de rappeler au despote oublieux qu�il est la source du pouvoir et de la l�gitimit�. Lorsqu�il sait ce qu�il veut, lorsqu�il r�unit une masse critique en vue d�un objectif, il prend le titre de souverain, de d�cideur supr�me, et personne ne peut plus lui contester ces attributs. La r�volution de Novembre 1954 a �t� d�clench�e par vingt-deux personnes sur un total de neuf millions d�Alg�riens, dont quelques-unes sont encore en vie (c�est dire s�ils �taient jeunes). A l��poque, le peuple alg�rien �tait en bonne partie dans les formations politiques qui n�ont pas d�clench� la lutte arm�e mais qui finiront par la rejoindre. En fin de compte, le peuple c�est toujours une minorit�, et jamais une unanimit�. Il n�existe pas dans notre pays d�instituts de sondage pour sonder la volont� du peuple et conna�tre son opinion sur tel ou tel sujet. Cependant, il y a des moyens d��tre renseign� sur son �tat d�esprit : les �crits de presse, les �changes sur la Toile, les d�clarations des partis et des organisations de la soci�t� civile, les mouvements sociaux, les marches, les discussions de caf�, les rapports de police, l�ambiance g�n�rale� Que pense le peuple alg�rien de la vague r�volutionnaire arabe et que souhaite- il comme changements pour �viter � notre pays une r�volution dommageable ? Personne ne peut le dire, mais il y a un moyen de le savoir. Imaginons que le pouvoir alg�rien, instruit par les �v�nements que vit le monde arabe, d�cide d�initier des changements et que, pour qu�on ne doute pas de sa sinc�rit�, il laisse le peuple faire conna�tre ce qu�il veut. A cette fin, il ouvre les m�dias publics aux partis, aux associations, aux syndicats, aux ordres professionnels, aux intellectuels, aux personnalit�s ind�pendantes, aux Alg�riens � l��tranger, etc., comme a fait Boumediene en 1976, avant d�octroyer au pays une constitution sovi�tique. Que sortirait-t-il de cette lib�ration de la parole? Certainement une masse colossale de dol�ances qu�on pourrait classer pour l�essentiel en deux cat�gories : les questions socio�conomiques et les questions politiques. Les revendications socio�conomiques �maneront de toutes les communes du pays et porteront sur l�emploi, les salaires, les prix des produits de large consommation, le logement, les services publics, les infrastructures, la bureaucratie, le secteur priv� et m�me le visa. Les revendications politiques �maneront de la soci�t� civile, des partis d�opposition et des personnalit�s nationales. Essayons de les rappeler telles qu�elles sont formul�es de diff�rentes parts depuis des ann�es, en esp�rant n�en oublier aucune d�importance : instauration d�un r�gime d�mocratique ou d�un Etat islamique ; ouverture du champ m�diatique public � la vie politique ; libert� de cr�er des partis, des journaux, des syndicats libres et des associations ; d�signation d�un gouvernement de transition ; �loignement de l�arm�e de la vie politique ; dissolution des Assembl�es en place (APC, APW, Parlement) ; �lection d�une Assembl�e nationale constituante ou r�vision constitutionnelle ; r�vision de la loi �lectorale pour proscrire la fraude ; d�centralisation et r�gionalisation de la gestion du pays ; officialisation de la langue amazighe ; ouverture des dossiers de la corruption ; interdiction de l�exploitation du sigle FLN qui appartient � l�histoire de la nation� Il n�est pas dit que les revendications socio�conomiques et les revendications politiques se recouperont. Tout le probl�me est dans l�attitude du peuple devant ces derni�res. Et s�il s�en lavait les mains ? Et s�il ne s�int�ressait qu�aux prix, aux salaires, � l�emploi et au logement, en demeurant indiff�rent � la nature du r�gime et � l�identit� des partis et des personnes qui les lui assureraient ? Le pouvoir actuel n�aurait plus de soucis � se faire, et il pourrait m�me �tre reconduit au terme d��lections v�ritablement �propres et honn�tes�. Mais continuons le raisonnement comme si le pouvoir lui-m�me tenait � des r�formes politiques r�elles. Qui serait habilit� � recenser les revendications politiques et � les discuter avec lui ? Sens�ment les acteurs qu�on vient de nommer, � condition qu�ils se soient au pr�alable entendus sur un espace de concertation et un m�canisme de repr�sentation collectif. Cela ne s�est pas encore vu, mais peut-�tre y arriveront-ils en consid�ration de l�importance des enjeux. J�en doute cependant. En Tunisie et en �gypte, on a contraint le despote au d�part, et le Parlement, le parti du pouvoir et la police politique ont �t� dissous dans la foul�e. Une Assembl�e constituante va �tre �lue en juillet prochain en Tunisie, tandis qu�en �gypte la r�vision de la Constitution a �t� confi�e � un comit� d�experts, et la nouvelle mouture largement approuv�e par le peuple �gyptien. C��tait le premier scrutin sinc�re depuis Toutankhamon. L�Alg�rie n�a jamais eu de constitution �labor�e par les repr�sentants du peuple. Toutes ont �t� �labor�es par le pouvoir, et chaque nouveau pr�sident en a dispos� � son gr�. En 1962, une Assembl�e constituante avait bel et bien �t� �lue � cette fin, mais le pr�sident de la R�publique de l��poque, Ben Bella, d�cida inopin�ment de la contourner et de confier la r�daction de la constitution au parti FLN. Choqu� par ce comportement, Ferhat Abbas qui pr�sidait cette Assembl�e, a d�missionn� en ao�t I963, �crivant : �La concentration des pouvoirs entre les m�mes mains rel�ve du d�lire� Il n�y a plus de d�mocratie, le peuple est absent, ses repr�sentants r�duits au r�le de simples figurants� Le chef de l�Etat qui est en m�me temps chef du gouvernement ne pourra pas tout faire� Un tel r�gime finira par engendrer des activit�s subversives, des coups d�Etat et des complots� J�ai d�missionn� de la pr�sidence de l�Assembl�e, n�entendant pas sortir du r�gime colonial pour tomber sous la coupe d�une dictature et subir le bon vouloir d�un homme aussi m�diocre dans son jugement qu�inconscient dans ses actes�� Moins de deux ans plus tard, Ben Bella sera renvers� par un coup d�Etat et la Constitution suspendue, et ce, jusqu�en 1976. Quant � Ferhat Abbas, il conna�tra la prison, la r�sidence surveill�e, la confiscation de son passeport, de sa pharmacie, de ses comptes bancaires et les insultes r�guli�res pour un article �crit en 1936. Une Assembl�e constituante, �a veut dire �lire des d�put�s dont le mandat durera le temps n�cessaire � la r�daction de la constitution. Il faudra bien s�r avoir dissous au pr�alable l�actuel Parlement avec ses deux chambres. Mais sur quelles bases juridiques les �lire ? Sur la base de l�actuelle loi �lectorale ? Comment garantir que l�administration ne truquera pas les r�sultats selon les pr�f�rences du pouvoir comme �a s�est toujours fait ? Car la confiance ne r�gne pas. L�op�ration exigera plusieurs mois pour �lire les d�put�s, �laborer un r�glement int�rieur, r�diger un projet, le faire adopter en pl�ni�re, puis le proposer au r�f�rendum. Mais l�Assembl�e constituante est-elle une revendication du peuple ? Le peuple, comme chacun sait, est travers� par plusieurs courants d�id�es. Les �a�abiyate � (comprenne qui voudra) sont toujours en vigueur en son sein, et les d�put�s qu�il aura �lus refl�teront n�cessairement les clivages id�ologiques et culturels existants. A moins que le r�veil des peuples arabes ait entra�n� dans son sillage le n�tre, le basculant � son insu dans le monde du troisi�me mill�naire. Les pr�occupations de l�Assembl�e constituante se concentreraient sur deux th�matiques principales : le r�gime politique et les questions �sensibles�. Les travaux pourraient durer ind�finiment sans aboutir � un consensus. En effet, les d�put�s de sensibilit� islamiste (on est dans un sc�nario d��lections non truqu�es) voudraient accentuer la place de la religion dans l�Etat et affermir sa poigne sur la soci�t�, tandis que les d�put�s de sensibilit� moderniste voudraient l�all�ger pour garantir la libert� de
conscience et l��galit� entre les hommes et les femmes dans tous les domaines. La restructuration des collectivit�s territoriales en r�gions d�centralis�es et l�officialisation de la langue amazighe constitueraient d�autres pommes de discorde. Dissuad�s par les risques de compliquer les choses, les partis et les personnalit�s qui soutiennent cette demande pourraient y renoncer et rejoindre ceux qui plaident pour une r�vision de la constitution actuelle au lieu de son remplacement. Il reviendrait au pr�sident de la R�publique d�initier cette r�vision en concertation, � supposer qu�il le veuille, avec les partis, les organisations de la soci�t� civile, les personnalit�s nationales et les sp�cialistes du droit constitutionnel. En fin de processus, elle serait ent�rin�e par un r�f�rendum. La r�vision serait limit�e aux articles relatifs au r�gime politique (parlementaire, semi-pr�sidentiel comme en France, ou hyper pr�sidentiel comme aux �tats-Unis) et � la r�partition des pouvoirs entre l�ex�cutif et le l�gislatif. Le retour � la limitation du nombre de mandats pr�sidentiels rencontrerait l�assentiment de la majorit� des acteurs. La question des libert�s publiques ne devrait pas poser de probl�mes particuliers, car la plupart sont d�j� inscrites dans l�actuelle constitution. C�est le pouvoir qui a gel� ces dispositions en interdisant l�expression des partis et de la soci�t� civile dans les m�dias audio-visuels publics, et en refusant l�agr�ment � des partis dont les dossiers �taient conformes pour ne prendre que ces deux exemples. Pourquoi ? On peut supposer que ce n�est pas par crainte des promoteurs de ces partis, ou pour les contrarier sp�cialement, mais pour barrer la route aux anciens du FIS, de l�AIS et du GIA qui ont maintes fois affirm� qu�on leur a fait des promesses dans ce sens. Cet argument n�excuse pas le pouvoir, car ce n�est pas ainsi qu�on doit se comporter avec les lois. On les applique, les amende ou les abroge, mais on ne les maintient pas en l��tat pour les violer. Ce serait consacrer le style mafieux. Les r�volutions sont aussi violentes et destructrices que les tremblements de terre de grande magnitude. Ces derniers sont toujours suivis de reconstruction, en mieux. Comme on l�a vu, le Japon a �t� frapp� par un s�isme d�une rare intensit�, suivi d�un tsunami encore plus d�vastateur, mais il se reconstruira selon des normes plus fiables que celles utilis�es par le pass�. C�est un peuple dont la force r�side dans sa culture, ses id�es, son �ducation, sa discipline, son sens collectif. Un peuple comme celui-l� est indestructible. Il l�a d�j� d�montr� pendant la Seconde Guerre mondiale o� seul l�emploi des bombes atomiques (les deux seules que poss�daient les �tats-Unis) l�a contraint � l�abdication. Notre pays a �t� secou� en 1991 par une crise politique qui a fait beaucoup plus de victimes que le s�isme et le tsunami qui viennent de d�truire en partie le Japon. Les Alg�riens doivent reconstruire leur syst�me politique sur de nouvelles bases, selon des normes antisismiques. Pour cela, ils ne doivent pas faire appel aux constructeurs de gourbis et d��difices pr�caires, ni aux t�cherons que leurs malfa�ons ont disqualifi�s. Il faut, pour la prochaine �tape, des architectes comp�tents, des b�tisseurs qualifi�s et des mat�riaux solides. Les �g�n�rations Internet� qui ne se reconnaissent pas dans le paysage politique actuel doivent compter sur elles-m�mes, comme l�ont fait les jeunesses tunisienne et �gyptienne, et initier leurs propres cadres d�organisation. Si elles pensent leur action en termes nationaux, r�alistes et modernes, elles pourront t�t ou tard se poser comme alternative cr�dible au despotisme qui a ruin� le pays et aux �a�abiyate� qui ont compromis la rel�ve. Le peuple alg�rien, pour qui le conna�t, a naturellement tendance � devenir plus mauvais que celui qui lui donne le mauvais exemple, et meilleur que celui qui lui donne le bon exemple.
N. B.
� suivre
VII) Scenarii de changement dans le monde arabe


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