De notre bureau de Paris, Khadidja Baba-Ahmed. Durant les 14 ann�es � 1981-1995 � o� Fran�ois Mitterrand �tait � la t�te de la R�publique fran�aise, quelle fut la politique qu�il mena envers le Maghreb ? Quels types de relations a-t-il entretenues avec les pr�sidents qui se sont succ�d� dans les pays de cette r�gion ? Quels ont �t� ses positionnements sur les crises de diff�rentes natures qui ont travers� le Maghreb durant cette p�riode ? C�est autour de ces questions que Georges Morin, pr�sident de l�association �Coup de soleil�, a organis� une conf�rence-d�bat, o� trois proches collaborateurs de Mitterrand se sont succ�d� pour donner chacun sa vision du �Mitterrand et le Maghreb�. L�approche des trois conf�renciers � Hubert Vedrine, Jean- Louis Bianco et Jacques Fournier � n�a pas emprunt� les m�mes angles de vue, mais manifestement ils ont quelque peu teint� de rose certaines positions ou tout au moins tent� de trouver des justifications � des d�clarations ou d�cisions d�alors que beaucoup reprochent encore aujourd�hui au pr�sident socialiste. M�me si tout n�est pas blanc ou tout noir, conc�dent-ils. Des quatre pays du Maghreb, les interventions comme les d�bats se sont concentr�s essentiellement sur l�Alg�rie. Pour Hubert Vedrine (conseiller diplomatique de 1981 � 1991, puis secr�taire g�n�ral de la pr�sidence (1991-1995) et ministre des Affaires �trang�res de 1997 � 2000, Mitterrand voulait �les meilleurs rapports simultan�s possibles� avec les pays du Maghreb. Cette approche n�en faisait cependant pas une politique �maghr�bine�, pr�cise-t-il. Avec la Tunisie de Bourguiba, les relations de Fran�ois Mitterrand n�avaient pas de v�ritable substance. Quant au Maroc de Hassan II, c��taient des relations de chat et chien avec beaucoup d�accrochages. Par ailleurs, son seul objectif en Libye �tait que Kadhafi quitte et ne contr�le plus le Tchad et il y est arriv�, et c�est pour cette victoire qu�il a bien voulu rencontrer plus tard Kadhafi � Malte. Avec l�Alg�rie, et eu �gard au pass� historique, Mitterrand �s�est employ� � rendre le plus normales possibles les relations avec l�Alg�rie�. Et il a pens� y �tre arriv�, nous dit-il. Et comme pour l�illustrer, Vedrine rappelle �qu�il (Mitterrand) a commenc� � d�velopper avec Chadli des relations fr�quentes, informelles, beaucoup de discr�tions, beaucoup de simplicit� et beaucoup de convivialit�. Les promenades � Tipasa et Z�ralda, a rappel� Vedrine, en sont le t�moin et illustrent la volont� de Mitterrand de donner � ces relations une vision pragmatique, empirique et qui laisse le temps au temps. A l�arr�t du processus �lectoral, nous dit encore l�ancien MAE, Mitterrand qui se trouvait dans l�oc�an Indien, a effectivement exprim� sa position dans un communiqu� dans lequel il �crit que �les dirigeants alg�riens s�honoreraient � reprendre le processus �lectoral�, mais, affirme-t-il, Mitterrand n�a jamais �t� interrog� avant cette interruption ni donn� son accord comme pr�tendu par beaucoup. Et � ce titre, Vedrine r�v�le des extraits d�une communication de Fran�ois Mitterrand consacr�e � l�Alg�rie au Conseil des ministres du 12 octobre 1988 (au moment des �meutes en Alg�rie) et 20 mois avant son fameux discours de La Baule, o� il insistait sur la d�mocratie mais o� il apparaissait �obs�d� par l�esprit de responsabilit� � qui le poussait � mesurer tout ce qu�il dit et son �r�le d�apaisement et d�accompagnement �. Pour compl�ter ce positionnement mitterrandien sur le Maghreb, Vedrine d�clare : �Dans la relation avec les r�gimes maghr�bins, Fran�ois Mitterrand est souvent intervenu pour les droits de l�Homme et notamment au Maroc. Il n�en a jamais fait mention� et il est rest� discret sur ces interventions. Le portrait sans �tre compl�tement dithyrambique est malgr� tout un peu trop �logieux et a fait l�impasse, par exemple sur Mitterrand et le Proche-Orient. Questionn� justement sur l�impact de la politique plut�t pro-isra�lienne de Mitterrand dans ses relations avec le Maghreb et notamment avec l�Alg�rie, Vedrine devait r�pondre que ces relations �taient avant tout bilat�rales, le probl�me isra�lo-palestinien entrant peu en jeu. Par ailleurs, devait encore dire Vedrine, Mitterrand, contrairement � ce qui se disait sur l�alignement d�alors de la SFIO sur les th�ses isra�liennes, a tr�s vite � d�s 1982 � reconnu la n�cessit� d�un Etat palestinien, ce qui a alors d�clench� l�ire de Menahem B�guin. En 1982, n�a-t-il pas dit aux Isra�liens �vous devez n�gocier avec ceux qui vous combattent� ? Le deuxi�me intervenant, tout aussi proche de Mitterrand, est Jean-Louis Bianco, secr�taire g�n�ral de la pr�sidence de 1982 � 1991 et ancien ministre socialiste de 1991 � 1993. Le discours d�velopp� par M. Bianco n�est pas diff�rent de celui de Vedrine, avec cette insistance que de par la responsabilit� exerc�e par Mitterrand et de par l�histoire compliqu�e entre la France et l�Alg�rie, Mitterrand a �vit� les d�clarations incantatoires qui ne m�nent � rien. �D�ailleurs Mitterrand n�a cess� de faire en sorte que le pass� c�de au pr�sent.� Les faits plaideraient en sa faveur : sa d�claration en direction des immigr�s �vous �tes ici chez vous� (suite aux �meutes et � la marche des beurs), l�instauration pour les immigr�s de la carte de 10 ans, l�invitation de Chadli et de son �pouse durant trois jours� Quant au probl�me du Sahara occidental sur lequel l�intervenant a �t� interpell�, Bianco a eu cette r�ponse : �Sur le Sahara, il a essay� un certain �quilibrage. Il a �t� plus ouvert � la position marocaine avec le r�f�rendum comme solution mais sans illusion, � cause, pr�cis�ment, de la constitution du corps �lectoral et l�histoire lui a donn� raison.� Plus globalement, Bianco souligne que Mitterrand a connu une �volution extr�mement importante sur �la France-Afrique, contre la peine de mort�� toutefois, ce qui peut lui �tre reproch�, dit-il, �c�est de n�avoir pas d�missionn� au moment le plus dur en Alg�rie. Il arrive dans une situation o� le ministre r�sident en Alg�rie est le vrai chef et o� la politique r�pressive est forte avec les pouvoirs sp�ciaux et malgr� cela il ne quitte pas le pouvoir. Mitterrand et la guerre d�Alg�rie est justement le troisi�me volet de cette rencontre �voqu�e par Jaques Fournier, secr�taire g�n�ral adjoint de la pr�sidence en 1981 et 1982 et ancien pr�sident de Gaz de France de 1986 � 1988. Face au processus de d�colonisation, Mitterrand se serait rang� dans �la partie la plus �clair�e, celle de Gaston Deferre et Mend�s France mais pour ce qui est pr�cis�ment de l�Alg�rie, il a eu une vision autre : l�Alg�rie, c�est la France�, a-t-il d�clar�, il est vrai accusant sur ce sujet, une certaine lenteur � se d�partir de cette position. Le conf�rencier s�attaquera ensuite vivement au livre Fran�ois Mitterrand et la guerre d�Alg�rie de Benjamin Stora et Fran�ois Mayle dans lequel les deux auteurs �voquent la guillotine et autres exactions alors que Mitterrand exer�ait les fonctions de ministre de l�Int�rieur puis de la Justice. Pour Fournier, �le journaliste � sensation a entra�n� l�historien dans le sensationnel pour faire une pr�sentation tout � fait tendancieuse des faits�. Le deuxi�me volet de la conf�rence a eu trait � la d�cision prise par Fran�ois Mitterrand, � l�issue de son premier voyage en 1981 en Alg�rie, et sur les conseils de Claude Cheysson et la ren�gociation des tarifs gaz. Il a �t� demand� � Gaz de France �d�acheter du gaz plus cher � l�Alg�rie�. Fournier rappelle que c��tait Yousfi qui repr�sentait la partie alg�rienne et qu�en ce qui le concerne, il s�est retrouv� quatre ann�es plus tard � la t�te de Gaz de France g�rant des difficult�s financi�res, d�autant que l�Etat n�avait pas envisag� de compensation du �surco�t� pay� � l�Alg�rie. Pr�sent dans la salle, le journaliste Jean Daniel, qui a tr�s souvent rencontr� Mitterrand et suivi tout son parcours, est intervenu dans le d�bat en �voquant de nombreux points et en ass�nant notamment deux remarques qui ont perturb� plus d�un inconditionnel de Mitterrand : �Lorsqu�il me recevait, Mitterrand commen�ait toujours par me demander �Alors vos Arabes ?� et le journaliste de dire : �Ce n�est pas exactement une expression de proximit锻. Il conclut ensuite sur l�Alg�rie : �Vis-�-vis de l�Alg�rie, Mitterrand a eu tous les complexes.�