Par Ammar Belhimer [email protected] Quelle est la responsabilit� de la Banque mondiale et des autres institutions financi�res internationales dans la constitution du terreau n�olib�ral explosif qui a suscit� la col�re populaire de janvier dernier dans de nombreux pays arabes ? Aucune, clament-elles haut et fort. Dans une r�cente �valuation de la situation et des enseignements d'exp�riences qu�elle n'a jamais cess� d�applaudir(*), la Banque mondiale esp�re s�en sortir � bon compte en se r�jouissant de ce que les �conomistes ne parlent plus de �d�ficits budg�taires� et autres �besoins de financement� mais de �gouvernance �, de �transparence� et de �responsabilit�. Elle conf�re � ces �l�ments nouveaux une fonction de �lien entre le citoyen et l�Etat dans un contrat social capable d�apporter �la s�curit�, la justice et des emplois��. Ce faisant, elle reprend, mot pour mot, son pr�sident, Robert B. Z�llick, qui �voquait dans un discours prononc� le 6 avril dernier �un nouveau contrat social pour le d�veloppement� au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Quelle signification concr�te peuvent prendre ces nouveaux �mat�riaux� �rig�s en nouveau s�same du d�veloppement ? En mati�re de �gouvernance�, la Banque mondiale d�clare vouloir s�engager aux c�t�s des r�volutions arabes �afin de les soutenir, pour autant qu�ils souhaitent et accueillent favorablement son aide dans leur transition vers un nouveau r�gime�. Une telle disponibilit� s�est traduite, entre autres, par un pr�t de 500 millions de dollars � la Tunisie. Cela ne semble pas suffisant pour rassurer : �L�issue est encore incertaine mais il reste que des millions de citoyens ont exprim� l�espoir que les nouveaux gouvernements soient � leur �coute et soient tenus de leur rendre compte de leurs actions ; que la voix des gens ordinaires soit entendue l� o� les anciens dirigeants faisaient la sourde oreille�, souligne la Banque mondiale. Celle-ci attend des r�volutions arabes qu�elles accompagnent les changements politiques �par la mise en place d�institutions �conomiques fortes et r�form�es (�) ouvrant la voie � la croissance et aux d�bouch�s �conomiques. Une r�forme des institutions qui permet aux populations de surveiller et �valuer les actes de leurs �lus peut pousser les dirigeants � prendre conscience de la contrainte qu�impose sur leurs actions le regard des citoyens. Sans le contr�le des populations, les nouveaux dirigeants reproduiront les actes de leurs pr�d�cesseurs�. Le mal cibl� ici est l�absence de l�gitimit�, d�Etat de droit, de responsabilit� politique, de contr�le, de contre-pouvoirs dans nos m�urs : �Finalement, le manque de responsabilit� des anciens dirigeants et l�opacit� et l�arbitraire qui r�gnaient dans l�application des principes de l�Etat de droit ont �rod� les fondations de l�Etat et les conditions d�une pratique saine des affaires.� Toujours en mati�re de �bonne gouvernance �, il lui est attach� un �l�ment dit �fondamental� : la gestion et la libert� de l�information, soit le droit pour tous les citoyens d�acc�der � l�information de mani�re �gale. Peine perdue, y compris aujourd�hui encore, lorsqu�on voit l��tat de d�labrement de l�appareil m�diatique. Une elle carence se paie au prix fort : �Les hommes politiques, quand ils ne sont pas tenus de rendre des comptes, sont tent�s d�utiliser les deniers de l�Etat et de manipuler les politiques publiques � leur profit et au profit de leurs familles et de leurs proches. Plus cette pratique se d�veloppe et le cercle s��largit et plus ce comportement s�enracine, appelant une gestion plus pouss�e de la corruption. Mais si, gr�ce � des processus de surveillance et d��valuation, le voile est lev� sur les actions des dirigeants, vous verrez que leurs motivations changeront et qu�elles s�aligneront davantage sur les besoins des citoyens. D�s lors que les citoyens sont inform�s de la fa�on dont les fonds publics sont d�pens�s et qu�ils peuvent mesurer l�efficacit� des services auxquels ils devraient avoir acc�s comme la sant�, l��ducation ou l�infrastructure publique, ils peuvent demander des comptes � leurs �lus. Et ceci est particuli�rement vrai pour les couches les plus pauvres de la population, qui d�pendent davantage des services publics.� La Banque mondiale rappelle avoir �lentement mais inexorablement� mis en garde les cons�quences �conomiques de ce syst�me de gouvernance en d�poussi�rant pour l�occasion un rapport de 2009 intitul� : �Des privil�ges � la concurrence�. �Les dirigeants d�alors ne l�ont gu�re accueilli favorablement et sa couverture m�diatique a �t� limit�e. Bien s�r, avec le recul, la Banque se demande aujourd�hui si elle n�aurait pas d� se montrer plus offensive. Ce rapport f�cheux d�crivait des secteurs priv�s rachitiques et des �conomies et march�s peu diversifi�s, que dominaient des groupes prot�g�s et privil�gi�s sans grande productivit� et peu motiv�s � innover. C��taient des secteurs priv�s incapables d�offrir des emplois � une population active jeune et instruite de plus en plus nombreuse. � Le document en question date de novembre 2009, il est intitul� : From Privilege to Competition : Unlocking Private-Led Growth in the Middle-East and North Africa (Des privil�ges � la concurrence : renforcer la croissance par le d�veloppement du secteur priv� dans la r�gion du Moyen-Orient et de l�Afrique du Nord). Il y �tait �crit : �Pour am�liorer la performance du secteur priv�, les pays de la r�gion Mena sont appel�s � r�duire les pratiques arbitraires et discr�tionnaires qui affaiblissent l�environnement des affaires, afin d�encourager l�entreprenariat, l�investissement et la concurrence. �. Il ne suffisait pas que plus de 80% de la valeur ajout�e, hors secteurs des mines et des hydrocarbures, soit produite par des entreprises priv�es. Aussi, fallait- il �largir l�impact des r�formes dans la r�gion Mena par davantage d��quit� et de pr�visibilit� dans leur mise en �uvre. Pr�s de 60% des investisseurs consid�raient alors que les r�glementations sont appliqu�es de mani�re incoh�rente et impr�visible. Les pays de la r�gion doivent s�engager � rendre l�environnement d�affaires plus �quitable afin d�encourager plus d�entrepreneurs � investir. Le rapport sugg�re qu�un tel engagement ne peut �tre cr�dible que si les r�formes mises en �uvre r�duisent les situations de rente, r�duisent le pouvoir discr�tionnaire dans les administrations et engagent un secteur priv� mieux repr�sent� dans la conception et surtout l��valuation des politiques �conomiques. Le rapport propose ainsi une strat�gie � trois piliers pour poser les bases solides d�une croissance � long terme : - la r�duction des barri�res formelles et informelles qui limitent la concurrence, ainsi que des situations de rentes et La Banque mondiale et les r�voltes celles de conflits d�int�r�t entre responsables publics et investisseurs priv�s ; - le renforcement des institutions charg�es de mettre en �uvre les r�formes, la r�gulation des march�s (tiens ! tiens !) et l�interaction avec les entreprises, dans le but avou� de r�duire les immixtions et les pratiques discr�tionnaires et arbitraires dans l�application des r�glementations ; - l�instauration d�un nouveau partenariat entre le secteur priv� et les gouvernements, afin que tous les acteurs soient davantage impliqu�s dans la pr�paration, la mise en �uvre et l��valuation des politiques �conomiques. A ce titre, il est estim� que �seul un partenariat �troit pourra asseoir un consensus autour des r�formes et renforcera leur cr�dibilit� et leur efficacit�. Un dialogue plus large et plus ouvert permettra �galement de limiter l�influence d�int�r�ts particuliers au d�triment de l�int�r�t g�n�ral�. La Banque mondiale incrimine ainsi les malades qu�elle a eu � traiter � ou au mieux leur reproche de n'avoir pas scrupuleusement suivi ses rem�des � pour ravir au d�bat public sa responsabilit� et la qualit� des traitements qu�elle leur a prodigu�s en accompagnement structurel des mesures imm�diates d�ajustement de son fr�re jumeau le Fonds mon�taire international. A. B.