Par Abdellali Merdaci La question � souvent entrevue mais peu discut�e � de la pr�sence des universitaires dans le d�bat public, en Alg�rie, n�a pas connu de r�ponse � l�aune de la qualit� de leur engagement dans les grands chantiers de la soci�t�. Les �crits �pars-li�s (1989-2009) de Lamine Kouloughli, professeur de psychop�dagogie � l�universit� Mentouri de Constantine, �dit�s � Alger par El-Dar El-Othmania, apportent le t�moignage d�une r�flexion soutenue sur l��pineux dossier de l��ducation en Alg�rie, mais aussi avec la m�me constance sur la litt�rature et les mutations sociologiques actuelles. Pour un projet p�dagogique national Dans ce premier ouvrage, Lamine Kouloughli a regroup� une trentaine de contributions publi�es dans la presse nationale ( Alg�rie Actualit�, Horizons, Les Nouvelles de l�Est, El Acil, Le Quotidien d�Oran, El Watan). L�universitaire constantinois ne pouvait qu��tre attendu du c�t� de la psychop�dagogie, sp�cialit� qu�il enseigne et qui a motiv� ses recherches acad�miques. Entre le 1er juin 1989 et le 20 mai 2009, il consacre dix articles � dont un in�dit � aux politiques �ducatives en Alg�rie et en pointe les distorsions, largement analys�es, dans les diff�rents cycles de formation, de l�enseignement fondamental � l�universit�. On citera ici quelques exemples qui indiquent les incertitudes et � lorsqu�elle se d�ploie inconsid�r�ment dans des textes publics � la fragilit� de la gouvernance p�dagogique. Assez t�t, cela devra lui �tre compt�, Lamine Kouloughli d�signe les failles du syst�me de l��cole fondamentale polytechnique et � au-del� des attentes politiques et id�ologique � la base de ce projet � en dresse une appr�ciation pessimiste : �Parce que l��valuation de cette mission ne saurait se faire sans que soient �valu�es les conditions objectives requises de l�environnement pour sa concr�tisation, l��valuation de cet aspect de l�EFP pourrait bien se transformer en une �valuation de l�effort d�instauration d�une soci�t� du travail en Alg�rie.� (p. 13). Cette perspective �conomiste de l�EFP que souligne l�article �L��cole fondamentale polytechnique : quelle �valuation� (pp. 9-13) restait � pour l��poque � stimulante, tant le rapport formation-emploi �chappait � ses concepteurs. Depuis, bien des r�formes ont �t� entreprises dans le secteur de l��ducation nationale et les pr�ventions formul�es scrupuleusement par le professeur Kouloughli, le 1er juin 1989, restent actuelles. L�expertise du psycho-p�dagogue ne s�attardera-t-elle pas aussi sur la d�finition d�ing�nieries p�dagogiques, qui n�est pas toujours parfaitement assur�e ? R�pliquant � une position du linguiste Abderrahmane Hadj Salah, pr�sident au d�but des ann�es 2000 de la Commission de r�forme du syst�me �ducatif alg�rien, plus pr�cis�ment sur son int�r�t pour le �mod�le canadien �, l�auteur note cette v�rit� essentielle : �Chaque nation imprime de son propre cachet, de son style son syst�me �ducatif, et ce qui sied � une situation sociale donn�e ne conviendra pas � une autre car l��ducation est conditionn�e par l�ensemble de la soci�t� qui en forme la matrice.� (p. 25). Ce retour aux fondements culturels de la soci�t�, relev� par le professeur Kouloughli, devrait nuancer le sch�matisme des mod�les p�dagogiques import�s ou sollicit�s de l��tranger. C�est le cas, aujourd�hui, dans l�exp�rimentation par le minist�re de l�Enseignement sup�rieur et de la Recherche scientifique du programme europ�en LMD. Pour autant qu�elle soit passionnante, l�histoire de l�Universit� alg�rienne � toujours en gestation � est certainement celle de ses nombreux rendez-vous rat�s, le plus souvent imputables aux errements de son encadrement. Lamine Kouloughli aborde, sans d�tour, les d�faillances du l�gislateur, souvent peu soucieux de la r�gle �l�mentaire de justice dans la cons�cration et dans la l�gitimation du travail des institutions universitaires, � quelque stade soient-elles. � titre d�exemple, sa lecture de la circulaire minist�rielle n�3 du 20 avril 2000 �portant sur la pr�paration de la rentr�e universitaire 2000-2001� montre � avec indicateurs statistiques � l�appui � que le MESRS a privil�gi� les �grands� �tablissements, notamment les universit�s justifiant et objectivant une assise historique, au d�triment des centres universitaires nouveaux. L�analyse m�ticuleuse du cas de la circonscription acad�mique de Constantine confirme que les demandes d�habilitation de formations de �premi�re post-graduation � ont g�n�ralement b�n�fici� aux �tablissements les mieux structur�s. Une des conclusions du professeur Kouloughli, � propos de cette circulaire n�3, permet de comprendre les contextes (historiques) de maturation d�une universit� nationale et les r�elles distorsions qu�ils entra�nent : �En r�servant �exclusivement aux seuls majors de promotion de l��tablissement organisateur du magister� l�acc�s sans concours en premi�re ann�e de post-graduation, la circulaire favorise ind�ment les �tudiants que les al�as d�une carte universitaire ont amen� � s�inscrire et � poursuivre leurs �tudes universitaires de graduation dans les universit�s et non dans les centres universitaires, les premi�res r�unissant, au moins au niveau formel, plus de moyens permettant l�ouverture de post-graduations � (p. 50). Ce d�calage � ce n�est qu�un euph�misme � n�a-t-il pas �t� co�teux en termes de valorisation par l�universit� de son potentiel humain ? La r�flexion � �tay�e au plan des m�thodes � du professeur Kouloughli sur les politiques �ducatives vaut comme un t�moignage �clair� et profitable sur l�histoire � temp�tueuse � du projet p�dagogique national, pour y inviter non seulement les sp�cialistes de l��cole et de l�Universit� mais aussi les d�cideurs politiques. Dans l�univers feutr� des lettres Mais voil� un Lamine Kouloughli inattendu dans l�univers feutr� des lettres. Inattendu mais aussi surprenant, par la diversit� de ses ancrages et de sa palette d�expressions, de la critique � la cr�ation litt�raires. L�auteur qui annonce la publication, � l�automne, chez le m�me �diteur, d�un essai sur les harraga, donne une �tude dense sur �Harraga dans la litt�rature� (pp. 149-176), � partir d�un vaste corpus comprenant les ouvrages de Sansal, Skif, Bouayed (Alg�rie), Ben Jelloun, Binebine, Fadel, Elalamy, Lalami (Maroc), Ben Brik (Tunisie) et Gaud� (France). Cette �tude, plus descriptive que comparative, laisse ouverte sa conclusion sur un ph�nom�ne aux motivations encore imp�n�trables. Les int�r�ts du critique, on les suppose marqu�s par une f�conde proximit� d�auteurs et de textes. Au premier plan, Malek Haddad, tr�s vite aur�ol� de la caract�ristique � parfois si tranchante et aux effets pervers, parce qu�elle ne r�pond que d�attentes honteusement politiciennes, malheureusement relay�es par l�Universit� � d��crivain d�une ville, Constantine, qui a inscrit son souvenir dans ses pierres et dans ses institutions. Malek Haddad se serait m�fi� de l��rection par sa ville natale de la statue de Commandeur et, authentique �crivain, il n�avait � de son vivant � d�autre aspiration que d��tre lu. Mais a-t-on lu Malek Haddad ? Lamine Kouloughli a raison de relativiser toutes ces adresses o� �les critiques affirment que se trouve Malek Haddad� (p. 121). Le po�te du �Malheur en danger�, comme les auteurs de sa g�n�ration avait grandi, selon le mot de Jean Amrouche ( Le Combat alg�rien, 1958), le v�u d��habiter [le] nom� d�une patrie � venir, l�Alg�rie. Restera-t-il, longtemps encore, inconnu � cette adresse, la seule qui vaille pour l�extirper de la gangue du faiseur localier et le rendre au pays qu�il a m�rit�, loin des incantations provinciales ? Cependant, le critique se retranchet- il � r�solument � sur le rocher de sa ville, comme dans une sorte d�Aventin, pour obtenir la reconnaissance de deux auteurs du cru ? Nourredine Saadi et Hac�ne Saadi (bienheureuse homonymie ?) ne portent pas dans leurs �uvres le semblable imaginaire de Constantine, une cit� prompte � d�lier ses chromos de carte postale. Dans le roman de Nourredine Saadi La Nuit des origines (Paris-Alger, Albin Michel [2000]-Barzakh [2005]), Kouloughli observe combien la charge des mythes � dans la vivacit� de leurs objets mat�riels et immat�riels, des ponts et des gorges du Rhumel aux traditions � surplombe l�histoire et ses transformations. Nourredine Saadi en recherchera � � travers son personnage Abla � l�absolue m�diation pour construire un roman de sensations fortes. La lecture du roman de Hac�ne Saadi Voyage int�rieur autour d�une g�ographie archa�que du temps (Aixen- Provence-A�n-Smara, Pers�e [2007]-Dar El Fadjr [2009]) amplifie-telle le sentiment de la ville et du temps ? Contrairement � Nourredine Saadi qui d�tache par l��criture la figure consomptive de Constantine, Hac�ne Saadi n�est prodigue que de mythes endog�nes (le roman per�u comme m�tabole de la ville et du temps litt�raires), qui font vivre de s�res r�f�rences amoureuses. Lecteur attentif de Hac�ne Saadi, Kouloughli a l�intuition de cette construction. Si l�effort de Nourredine Saadi et de Hac�ne Saadi est d�j� reconnu par la critique, j�ai lu ces derni�res ann�es sur Constantine (en langue fran�aise, bien s�r, mais je ne pr�juge pas de la valeur de leurs contemporains de langue arabe) d��mouvantes pages, parfois d�une magistrale quintessence litt�raire, de Nadjia Abber, Badr�Eddine Mili et Djamil Rachi, qui doivent � une inventivit� renouvel�e de l��criture et du romanesque. Les �crivains de Constantine prennent amplement leur part dans une litt�rature nationale r�nov�e. Et leur contribution fait ressentir l�urgence d�un bilan d��tape. Et, pr�cis�ment, Lamine Kouloughli frappe de gros coups � la porte de cette histoire litt�raire. Ses essais litt�raires inauguraux (po�sie et prose), repris dans ce volume d� �crits �pars-li�s, ne l�augurent-ils pas ? Prenons date de cette entr�e en litt�rature, dans un style alerte, pistant l�audacieuse m�taphore (�Navire aussi, peut-�tre mais d�un monde perdu | Ces chameaux incongrus au bord de cette mer�, �Navires�, p. 187) et, signalons, sous l�invocation des �Chats� de Baudelaire, une angoissante nouvelle (�Bicha�, pp. 191-197). Ce curieux r�cit �gr�ne un chapelet de disparitions, toujours sues le jour d�apr�s, anticip�es dans ce propos de la m�re � fid�le � la rubrique n�crologique du journal local � � sa fille a�n�e, la narratrice : �Lorsqu�on apprenait le d�part de quelqu�un qu�on connaissait un jour apr�s, c��tait un peu comme si on lui avait pr�t� un jour de plus� (p. 192). Je ne saurais trop inciter le lecteur � d�couvrir ce r�cit de disparitions myst�rieuses de la chatte Bicha et de tous les membres de la famille � et, surtout, son insolite chute. Un regard amus� Le professeur Kouloughli pose un regard amus� sur les manifestations farfelues du quotidien : graffitis sur les murs des cit�s (��crits sur nos murs ou la mondialisation traduite�, pp. 107-117), une journ�e � l�universit� (�Saturday morning fever�, pp. 207-211), l��trange perversit� des plaques de signalisation routi�re (�Misogynie � part�, pp. 213-217) ; et, particuli�rement, � la pittoresque communication dans les campus de l�Universit� Mentouri Constantine (pp. 219-221). Il rapporte ainsi une savoureuse campagne d�affichage des responsables de cette universit�, avec notamment cet imp�rissable chef-d��uvre : ��tudiants, �tudiantes. Il est strictement interdit d�occuper les salles pour des raisons immorales contraires au r�glement� (p. 221). La chose �tait-elle alors si av�r�e pour placarder ce solennel avertissement et ne pas tourner � la gal�jade ? Les enseignants et les �tudiants de cette prestigieuse universit� de l�Est ont certainement lu au second degr� cette marque d�humour inalt�rable dans leurs campus qui n�en finissent pas de surnager dans la tristesse du b�ton. Dira-t-on que Lamine Kouloughli a eu la bonne id�e de demander � son coll�gue le professeur Abdelhamid Aberkane, de la facult� de m�decine, d�introduire aupr�s des lecteurs ces morceaux choisis ? F�ru de belle litt�rature, fin connaisseur des arts, Aberkane s�acquitte avec mesure de cette t�che. Ces ��crits �pars-li�s� devraient trouver des lecteurs, nombreux, � la dimension des g�n�reux champs de la pens�e p�dagogique, de la critique et de la cr�ation litt�raires qu�ils proposent.