Par leur qualité d'analyse et leur rigueur, les contributions de cet universitaire émérite apportent un éclairage précieux sur notre littérature.Le professeur Abdelallali Merdaci, qui enseigne la littérature française contemporaine et la théorie de la littérature à l'université Mentouri de Constantine, est plutôt réfractaire aux hommages. Issu d'une famille qui a donné au pays plusieurs plumes de la recherche et de la presse, il a été élevé dans le sens de l'humilité, celle qui met en avant le travail et non l'auteur. Ses recherches comme ses contributions dans la presse donnent toute sa valeur à la critique littéraire universitaire dont les limites dans notre pays expliquent aussi les errements de la critique littéraire journalistique, en manque de sources et de références établies. Abdellali Merdaci, tout entier à son sacerdoce, a attendu les années 2000 pour en quelque sorte franchir les murs de l'université et gagner l'espace d'expression publique. En 2003, paraissent aux éditions Simoun, une série d'éditions critiques d'ouvrages d'Algériens écrivant en langue française, entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle. Il fait découvrir ainsi Ahmed Bouri et son fameux Musulmans et chrétiennes (1911-1912) et le non moins fameux Khadra, la danseuse des Ouled Naïls écrit par Etienne Dinet et son ami de Bou Saâda, Sliman Ben Ibrahim. Il « déterre » surtout un personnage emblématique, le premier journaliste algérien et premier romancier de langue française, Omar Samar, né vers 1870, près d'Annaba dans une famille de propriétaires terriens. Abdellali Merdaci publie deux romans-feuilletons de cet auteur et se livre à une analyse fouillée de leur structure, de leurs personnages, trame, etc. Cette pratique de l'édition critique, hélas très rare en Algérie, est pourtant un formidable moyen de confrontation rigoureuse d'un texte littéraire aux hypothèses, méthodes et conclusions d'un critique. A l'occasion, A.M. nous permet de découvrir un personnage attachant qu'il qualifie de médiateur de la modernité et dont on ignore tout en dehors de sa vie journalistique qu'il clôt en 1896, après l'échec du lancement de Mansourah, journal de littérature et de critique. Des 26 ans de ce météore, on retiendra ses débuts au Réveil Bônois mais surtout sa participation à la création en 1893 de l'hebdomadaire El Haq dont il sera le responsable de la rédaction. Non, la critique… Toujours aux éditions Simoun, Abdellali Merdaci a publié en 2003, en collaboration avec Sihem Berrahal, Constantine, itinéraires de culture. Puis, il publie cinq ouvrages : L'institution du littéraire dans l'Algérie coloniale ; Une histoire littéraire déviée et La littérature algérienne de langue française avant 1950, tous aux éditions Médersa… en 2006 et qui seront suivis en 2007 du Dictionnaire biographique des auteurs algériens de langue française, ouvrage de référence indispensable à tout étudiant ou chercheur en littérature. Son dernier ouvrage Parcours intellectuels dans l'Algérie coloniale (2008) élargit la réflexion au delà des littératures pour aborder la question de l'émergence d'une élite prise en quelque sorte dans le feu de l'histoire. L'histoire, c'est là aussi que réside l'intérêt des approches d'Abdellali Merdaci, qui confronte sans cesse les textes littéraires aux conditions de leur émergence. Le contexte permet de situer et d'analyser le texte et, inversement, le texte devient parfois un outil d'illustration ou de compréhension du contexte. Avec la publication de ses Cahiers de lecture (Ed. Médersa, 2008), il confirme cette aisance à convoquer l'histoire, la sociologie ou la politique pour décortiquer la fiction littéraire, sans se départir de ses grilles de lecture, liées à l'écriture et aux univers romanesques (situations, personnages…). Ce recueil de chroniques récentes parues entre 2005 et 2008 dans divers titres (El Acil, Le Quotidien d'Oran, La Tribune, El Watan et Le Miroir de Constantine), s'il ne se lit pas comme un roman - et pour cause -, se laisse lire avec aisance et parfois même plaisir. Pour en avoir publié trois dans nos colonnes, nous pouvons même reconnaître que leur juxtaposition dans cet ouvrage leur donne une très forte cohérence qui n'apparaît sans doute pas assez au gré des rythmes journalistiques. Il a donc eu raison de les réunir ainsi d'autant que leur profondeur d'analyse dépasse la périodicité d'un journal et que le papier des quotidiens est naturellement très périssable ! On y apprendra comment le mythe du Café Nedjma de Constantine est « lié abusivement à Kateb Yacine et son œuvre » éponyme, alors que le célèbre écrivain n'y serait rentré qu'une seule fois dans sa vie, encore que cette unique fois mérite l'intérêt puisqu'il y remit des exemplaires de son recueil Soliloques à un ami de sa famille. L'article est un sommet d'écriture raffinée et de connaissance de la chronique urbaine de Constantine. Les phrases tendent parfois à la littérature, fluides, bien construites, bien mieux que de prétendues littératures, tel cet extrait : « Mais qui connaît le Café Nedjma d'aujourd'hui, qui a perdu sa terrasse, son arrière-salle et même sa soupente légendaire, réduit à une peau de chagrin et déserté par sa clientèle citadine d'antan, point de chute de quelques hobereaux de l'Hinterland, vidant entre deux bus, d'improbables querelles avant de s'en retourner dans leurs terres ? ». On signalera aussi la magistrale analyse des déclarations de Boualem Sansal autour de son roman Le Village de l'Allemand qui donnent à A. Merdaci l'occasion d'une plongée passionnante dans l'histoire des liens réels ou supposés avec le IIIe Reïch. Idem en qualité et intérêt que ses lectures de La Cité des Roses de Mouloud Feraoun, des œuvres du Capitaine Ben Chérif, de Malek Haddad, de Salah Fellah, des poètes arabophones (pour certains surréalistes !) qui trouvèrent refuge dans les publications des Oulémas, des expressions féminines, etc. auxquelles l'auteur a donné, pour certaines, des prolongements inédits dans un épilogue. Non, la critique n'est pas aisée. Cahiers de Lecture, Abdellali Merdaci. Ed. Médersa, Constantine, 2008, 160 p.